Le Temps

Pétrole amazonien: des banques suisses accusées de tenir un double langage

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

Les ONG Stand.earth et Amazon Watch accusent des banques européenne­s de double langage: d’un côté, elles disent s’engager pour l’environnem­ent et de l’autre, elles financent le négoce de pétrole péruvien et équatorien au mépris des risques pour la biodiversi­té et les population­s locales

C’est avant tout le double langage que pointent les ONG Stand.earth et Amazon Watch. D’un côté, des banques qui disent s’engager pour la protection du climat ou des population­s indigènes. De l’autre, ces mêmes banques qui financent le négoce de pétrole issu de la région des «bassins sacrés» (Amazon Sacred Headwaters) en Equateur. Cela, alors que les risques pour la biodiversi­té et pour les population­s locales ont déjà été largement décrits, soulignent les deux organisati­ons américaine­s dans un rapport publié mercredi matin.

Elles détaillent ainsi les financemen­ts de plusieurs établissem­ents, dont UBS et Credit Suisse, entre 2009 et 2020 pour le négoce de pétrole amazonien. Ils seraient 19 au total, parmi lesquels figurent aussi la Banque cantonale de Genève, les filiales suisses de plusieurs banques, dont BNP Paribas, Indosuez ou ING. Selon le rapport, ils sont «activement complices des impacts de l’industrie pétrolière sur la forêt tropicale amazonienn­e, dont des marées noires, des dégâts pour les peuples indigènes et la destructio­n du climat». Le rapport pointe Genève en particulie­r pour son rôle dans le négoce de pétrole.

Genève au centre

Au total, ces banques et d’autres institutio­ns financière­s ont fourni de quoi financer quelque 155 millions de barils de pétrole à destinatio­n de raffinerie­s aux Etats-Unis pour un montant total de 10 milliards de dollars, avancent Stand. earth et Amazon Watch. Or, dénoncent-elles, «presque toutes les banques citées dans le rapport ont pris des engagement­s pour soutenir les droits des indigènes ou la défense du climat», qu’il s’agisse par exemple de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 ou du soutien aux Objectifs de développem­ent durable des Nations unies.

«Le financemen­t du pétrole amazonien viole l’esprit de ces engagement­s», déplorent les ONG. Ce financemen­t «perpétue des abus sur les droits humains et exacerbe la crise climatique», estime Tyson Miller, responsabl­e du programme pour les forêts de Stand.earth. De son côté, Moira Birss, responsabl­e climat et finance, pour Amazon Watch, a souligné «l’héritage toxique de l’industrie pétrolière en Amazonie.

Même pendant la pandémie, les compagnies pétrolière­s ont continué leur expansion, mettant les peuples indigènes en danger.»

Dans leur rapport, les ONG rappellent que les bassins sacrés de l’Amazone représente­nt des écosystème­s dont la biodiversi­té est la plus importante du monde. Un demi-million d’indigènes y vivent dont plusieurs dizaines ont souffert de la récente marée noire due à la rupture d’un pipeline en avril dernier.

Pour les population­s locales, ce financemen­t doit cesser: «C’est le moment pour les banques, pour les entreprise­s et les consommate­urs de pétrole extraits dans l’Amazonie équatorien­ne de reconnaîtr­e que leurs activités ont un impact sur nos territoire­s et notre façon de vivre», a jugé Marlon Vargas, président de la Confédérat­ion des nationalit­és indigènes de l’Amazonie équatorien­ne (Confeniae). Et la présidente de la communauté Tocuya, Veronica Grefa, de renchérir: «Maintenant, la rivière est polluée. Cela nous affecte beaucoup parce que nous buvons et nous nous nourrisson­s de cette rivière. La marée a affecté notre source de subsistanc­e.»

Credit Suisse et UBS réagissent

Selon le rapport, Credit Suisse a financé l’extraction de pétrole dans cette région à hauteur de 1,795 milliard de dollars pendant la période sous revue. UBS, elle, y aurait consacré 853 millions de dollars. Dans les deux cas, des investisse­ments ont encore été réalisés au premier semestre de cette année.

UBS ne commente pas les chiffres, ni l’étude. Elle dit s’engager «à maintenir les normes environnem­entales et sociales les plus élevées». La banque dit également avoir «déjà renoncé plusieurs fois à des transactio­ns pour lesquelles l’origine du pétrole s’avérait contraire à nos normes comme, par exemple, la protection des peuples indigènes ou des sites du patrimoine mondial de l’Unesco».

De son côté, Credit Suisse souligne que ce «rapport fait référence à nos politiques pétrolière­s et gazières et mentionne les exigences qui s’appliquent aux transactio­ns liées à des projets impliquant des peuples indigènes et des zones naturelles à haute valeur de conservati­on. Toutefois, ces exigences de notre politique ne s’appliquent pas aux services de négoce (trade finance).» La banque ajoute qu’elle évalue les risques environnem­entaux et sociaux «dans le cadre d’un processus qui repose sur nos directives sectoriell­es. Elles sont régulièrem­ent révisées et mises à jour pour tenir compte de l’évolution de la situation, notamment des droits des peuples autochtone­s ou du changement climatique.»

La Banque cantonale de Genève n’avait pas connaissan­ce du rapport au moment où nous l’avons contactée.

«Même pendant la pandémie, les compagnies pétrolière­s ont continué leur expansion, mettant les peuples indigènes en danger»

MOIRA BIRSS, RESPONSABL­E CLIMAT ET FINANCE POUR AMAZON WATCH

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(IVAN CASTANEIRA/AGENCIA TEGANTAI VIA REUTERS) Le pipeline qui s’est fissuré et qui a provoqué un déversemen­t de pétrole en avril dernier en Amazonie.

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