Une bourse pour les actifs tokénisés se dessine
FINANCE NUMÉRIQUE Plusieurs banques suisses ont mené un test grandeur nature visant de nouvelles formes de financements d’entreprises, de l’émission d’actions de PME sous forme de jetons numériques à leur échange sur une plateforme de négoce
Toutes les pièces du puzzle de la finance numérique sont dorénavant en place. Plusieurs banques suisses ont récemment échangé des actions d’une société anonyme genevoise émises sous forme de jetons numériques (également appelés «tokens»). Les participants à ce test grandeur nature ont utilisé un prototype de plateforme d’échange pour actifs tokénisés, développé par Swissquote. De l’émission à la négociation sur une bourse dédiée, l’ensemble du processus de levée de fonds peut maintenant s’effectuer sous forme numérique.
Pour le moment, une PME qui souhaite émettre des actions sous forme numérique doit les détenir dans un portefeuille électronique puis les transférer à un acquéreur. Ce dernier, s’il souhaite les vendre, doit à son tour trouver un acheteur, par exemple via un système de petites annonces ou en se faisant connaître sur des sites spécialisés. La transaction, enfin, suppose que les deux parties se mettent d’accord sur un prix. Ce fonctionnement encore artisanal pourrait laisser place d’ici à quelques mois à un processus beaucoup plus sophistiqué et institutionnel, utilisant les technologies
ARIEL BEN HATTAR, SECRÉTAIRE DU COMITÉ EXÉCUTIF DE LA CMTA ET AVOCAT CHEZ LENZ & STAEHELIN de registre distribué comme la blockchain.
Mi-juillet, un test organisé par l’association CMTA (qui définit des standards en matière d’actifs tokénisés) a permis aux banques SEBA, Sygnum, Arab Bank, Vontobel et Hypothekarbank Lenzburg d’échanger des actions d’une PME émises sous forme numérique. Un marché secondaire pour ce genre d’actifs était jusque-là le chaînon manquant dans le développement de la finance numérique.
Concrètement, «des jetons représentant les actions de cette société non cotée ont été créés en quelques minutes, pour un coût de quelques francs lié à la blockchain et leur transfert a pris quelques dizaines de secondes», résume Ariel Ben Hattar, secrétaire du comité exécutif de la CMTA et avocat chez Lenz & Staehelin, qui a conseillé l’entreprise en question. Pour le moment, un investissement dans une PME passe encore souvent par l’échange bilatéral de certificats papier. Une bourse permettra de trouver des contreparties et d’améliorer la liquidité.
La loi sur l’infrastructure des marchés financiers (LIMF) permet la création de plateformes boursières moins lourdes que les marchés comme celui opéré par SIX en Suisse par exemple. Ces nouvelles bourses peuvent prendre la forme de systèmes multilatéraux de négociation (SMN) ou de systèmes organisés de négociation (SON). Cette dernière formule, qui a été retenue par Swissquote dans ce dossier, n’a pas de restriction concernant la nature des intervenants admis (seuls des intermédiaires financiers surveillés peuvent opérer sur des SMN).
Révolutionner le financement des PME
L’enjeu derrière la mise en place d’un processus numérique pour émettre et échanger des actions tokénisées est simple: révolutionner le financement des PME. Rendre ce type d’investissement novateur accessible à tout individu ou intermédiaire financier, et pas seulement aux aficionados de la blockchain ou de la technologie en général.
«D’une part, des clients privés pourront acquérir des actifs numériques via leur compte bancaire de la même manière qu’ils achètent une action traditionnelle tout en bénéficiant de toutes les protections qui s’imposent pour ce type d’investissement; d’autre part, des investisseurs institutionnels pourront également entrer dans la partie, sans forcément avoir besoin de détenir leur propre infrastructure de stockage des tokens», enchaîne Sébastien Dessimoz, cofondateur de Taurus, une société technologique genevoise qui a fourni la solution d’émission et de stockage pour ce test. L’arrivée d’acteurs institutionnels devrait également être favorisée par la standardisation des tokens et la sécurité juridique apportée par ce processus, qui a été audité par PwC.
Le modèle de la CMTA a été développé pour les sociétés suisses, mais des sociétés étrangères pourraient appliquer des solutions similaires, pour autant qu’elles aient le droit d’émettre des jetons numériques. Pour nos interlocuteurs, le test effectué mi-juillet devrait déboucher sur de véritables transactions dans les mois qui viennent. Etape suivante: travailler sur l’émission de dette tokénisée.
«Des jetons représentant les actions de cette société non cotée ont été créés en quelques minutes, pour un coût de quelques francs lié à la blockchain»
L’arrivée d’acteurs institutionnels devrait également être favorisée par la standardisation des tokens et la sécurité juridique apportée par ce processus