Lisbonne ne s’est pas prise au jeu
FOOTBALL La capitale portugaise montre un engouement très limité pour l’inédite phase finale de la Ligue des champions qu’elle accueille. Ce «Final 8» devrait tout de même animer la saison touristique estivale, frappée de plein fouet par la crise sanitair
Trouver trace de la Ligue des champions à Lisbonne, alors que le Paris Saint-Germain et l’Atalanta Bergame en ouvrent officiellement le «Final 8» ce mercredi soir à l’Estadio da Luz, n’est pas une mince affaire.
En début d’après-midi, des techniciens s’affairaient encore pour dresser la réplique géante de la coupe aux grandes oreilles au centre de la place Dom Pedro IV, face au Théâtre national. Comme un symbole, le trophée gonflable manque encore de souffle à quelques heures du début de la compétition. Autour de l’estrade montée par l’UEFA, des dames d’un certain âge s’égosillent pour vendre des écharpes dédiées à l’affiche de ce premier quart de finale, tandis qu’un groupe de tifosi de l’Atalanta se fait alpaguer tous les 10 mètres par des équipes de télévisions étrangères en quête de témoignages.
Un maillot de Neymar par ici, des terrasses de cafés clairsemées par là: les artères de la capitale portugaise n’ont pas grand-chose à voir avec celles de Madrid, qui avaient accueilli plus de 100000 Anglais venus soutenir Tottenham et Liverpool, opposés en finale de la compétition il y a quatorze mois. Une bonne partie des Lisboètes a rallié les stations balnéaires du sud du pays, et le nombre d’étrangers qui déambulent dans la rue piétonne Augusta et sur la Praça do Comércio a chuté par rapport aux années précédentes, coronavirus oblige.
La drague aux Benfiquistes
Dans les kiosques, seul A Bola fait sa une sur ce tournoi inédit. Record et O Jogo, les autres quotidiens sportifs, n’y font même pas mention et préfèrent se concentrer sur l’actualité des équipes locales. Aux quatre coins de la cité bordée par le Tage, des panneaux publicitaires de la bière officielle de la Ligue des champions et d’autres consacrés au RB Leipzig tentent de rappeler que le gratin du football européen s’est donné rendez-vous ici. Le torse bombé, Christopher Nkunku, Marcel Sabitzer et Marcel Halstenberg semblent défier les passants, tandis que le slogan («As tuas cores ainda estao em jogo», «Tes couleurs sont encore en jeu») invitent les supporters de Benfica à se joindre à la cause du club allemand.
Croisé près du Jardin botanique, Alexandre alias «Lexo» est un fan invétéré du Paris-Saint-Germain qui a vécu dix-sept ans à Lisbonne et aime y revenir régulièrement. «Je n’ai jamais vu la ville comme ça en plein été, c’est d’une tristesse, lâche le quadragénaire vêtu d’un maillot vintage du club parisien. Je n’avais pas vraiment prévu d’être là, mais mon patron m’a donné une semaine de chômage partiel supplémentaire et j’en ai profité pour sauter dans le premier avion. Ce soir, je vais essayer de trouver d’autres supporters parisiens autour de l’Estadio da Luz pour soutenir les joueurs, comme pour le huitième de finale retour contre le Borussia [2-0, le 11 mars], où on avait fait une super fête à côté du Parc des Princes.»
Près du célèbre rond-point Marquês de Pombal, on aperçoit le car de l’Atlético de Madrid parqué devant l’hôtel Epic Sana, qui a placardé sur son immense façade vitrée la devise du club madrilène dirigé par le tenace Diego
Simeone: «Otra forma de entender la vida» («Une autre façon de comprendre la vie»). Quelques journalistes espagnols tournent des directs, des policiers assurent la sécurité, mais aucune trace de supporters colchoneros.
En attendant les touristes
Dans le lobby du Sheraton, qui accueillera Manchester City, c’est le calme plat. Hormis deux jeunes femmes qui reviennent du shopping, pas de touristes à l’horizon. La dizaine d’employés présents discutent ensemble, par petits groupes. André Braga, le barman, alterne entre son activité habituelle, la réception, l’accueil de la piscine et le service de restauration, au sein d’un staff réduit. «Ça me permet d’apprendre de nouvelles choses», philosophe le jeune homme, tandis que le réceptionniste préfère ne pas s’étendre sur le nombre de chambres inoccupées.
Trois rues plus haut, l’hôtel Real Parque est encore plus désert. Revendu peu avant la crise, cet établissement quatre étoiles est resté portes closes, tout comme le Real Sports Bar au rez-de-chaussée, pourtant habitué à recevoir les fans de football de passage à Lisbonne. Une poignée de taxis est malgré tout postée devant, attendant en vain les touristes. «Il y en a environ cinq fois moins que d’habitude à cette époque», soupire l’un des chauffeurs.
A l’heure du déjeuner, on ne croise pas grand monde non plus à O Reserva, une brasserie du quartier de Rato. Dans ce temple du ballon rond dont les murs sont recouverts de maillots et d’écharpes de Benfica et du Sporting, les mastodontes du football lusitanien, mais aussi de Lille, de Flamengo ou encore de Boca Juniors, les clients se comptent sur les doigts d’une main. Humberto ne désespère pas pour autant de voir les supporters des équipes qualifiées débarquer les soirs de matchs. «On a eu une quinzaine d’Italiens le soir de Juventus-Lyon», tente de se rassurer le serveur brésilien, qui prend bien soin de désinfecter le zinc et les tables séparées par des panneaux en plastique.
Vingt-cinq journalistes au stade
Dans les environs de l’Estadio da Luz, où se joue ce soir le premier acte de ce Final 8 entre le PSG et l’Atalanta Bergame, un père de famille accompagné de ses deux adolescents arbore un masque de l’équipe dirigée par Gian Piero Gasperini. Il observe les équipes de télévision qui commentent l’avant-match au pied du stade, avec la statue d’Eusébio, la légende benfiquiste vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1962. Joao Henrique Marques, correspondant du site brésilien UOL qui a suivi Neymar à Paris à l’été 2017, après l’avoir été à Barcelone, n’a pas obtenu d’accréditation pour la rencontre de ce soir, à l’instar de son camarade Tiago Leme. Le service de presse du PSG tente de leur obtenir le précieux sésame auprès de l’UEFA, mais celle-ci se montre intransigeante: pour cette édition spéciale de la Ligue des champions, seuls 25 journalistes et dix photographes sont accrédités pour chaque rencontre, bien que ce Final 8 se joue à huis clos. Nombre d’envoyés spéciaux se retrouvent donc sur le carreau et sont même privés des quinze minutes d’entraînements ouverts à la presse les veilles de matchs.
«Malgré l’absence de public dans les stades, on attend un peu plus de 15 000 supporters et environ 3400 personnes qui vont travailler sur le tournoi»
DANIEL SÁ, DIRECTEUR DE L’INSTITUT PORTUGAIS D’ADMINISTRATION ET DE MARKETING
Malgré le peu d’engouement suscité par ce format réduit de la Ligue des champions, Lisbonne va bénéficier d’un coup de projecteur inattendu ces dix prochains jours. «Cela ne compensera bien évidemment pas les pertes dues à la crise du coronavirus, mais la tenue de cette compétition est une excellente nouvelle pour le Portugal, relève Daniel Sá, le directeur de l’Institut portugais d’administration et de marketing. C’est la meilleure campagne de publicité que l’on pouvait espérer. L’an dernier, 400 millions de téléspectateurs ont suivi la finale de Madrid, durant laquelle on a compté plus d’un milliard d’interactions sur les réseaux sociaux.»
Si la ville n’est pas aussi animée que les étés précédents, le tournoi promet tout de même de rapporter une cinquantaine de millions d’euros à l’économie locale. «Malgré l’absence de public dans les stades, on attend un peu plus de 15000 supporters et environ 3400 personnes qui vont travailler sur le tournoi: les employés des clubs, les journalistes, les sponsors, le personnel de l’UEFA…» Une petite victoire pour Lisbonne et le football européen face au Covid-19.
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