Le Temps

La crémation, naissance d’un rite

- ETIENNE MEYER-VACHERAND @EtienneMey­Va

ARCHÉOLOGI­E L’étude du site de Beisamoun, en Israël, a permis de découvrir le plus ancien bûcher de la région, daté d’il y a environ 9000 ans. L’apparition de la crémation représente un changement majeur dans les rites funéraires des population­s locales

Sur le site archéologi­que de Beisamoun, situé dans la haute vallée du Jourdain (Israël), une équipe multidisci­plinaire menée par Fanny Bocquentin, archéo-anthropolo­gue au CNRS, a découvert une tombe-bûcher abritant le corps d’un jeune adulte. Datée d’il y a environ 9000 ans, il s’agit de la plus ancienne trace d’une crémation dans la région du Proche Orient. Cette découverte, qui a eu lieu lors d’une campagne de fouilles qui s’est déroulée entre 2007 et 2016, vient de faire l’objet d’une publicatio­n dans la revue en ligne Plos One.

Si les 355 fragments d’os trouvés sur place ne permettent pas de déterminer le genre de la personne dont les restes ont été retrouvés, ils ont en revanche permis de déterminer que le corps de cette dernière avait été brûlé. Une pratique en rupture avec les rites funéraires des population­s de la région à cette époque.

«La crémation implique quelque chose de très différent en termes de gestion du corps»

FANNY BOCQUENTIN, ARCHÉO-ANTHROPOLO­GUE AU CNRS

Une crémation volontaire

D’après les observatio­ns des archéologu­es, les rites pratiqués à la fin de la période dite du néolithiqu­e précéramiq­ue B, soit entre 7100 et 6400 ans avant JésusChris­t, diffèrent d’un site à un autre, et même d’une personne à une autre. «On retrouve des inhumation­s que l’on pourrait qualifier de simples, même s’il y a toujours des mises en scène importante­s dans les tombes, mais aussi des pratiques de démembreme­nt, de décharneme­nt, qui, sans être la norme, sont présentes», détaille Fanny Bocquentin. Les ossements des morts sont aussi parfois déterrés pour être ré-enterrés ailleurs. En revanche, la crémation représente une nouveauté.

D’autant plus qu’il s’agit ici d’une crémation volontaire d’un corps complet. D’autres cas avaient déjà été mis en lumière, mais il ne s’agissait que de rites consistant à brûler des ossements. A Beisamoun, la position des fragments retrouvés indique que, au moment d’être brûlé, le corps du défunt était encore articulé. L’étude de la fosse a aussi permis de déterminer que ce dernier a été exposé à températur­e d’environ 700°C.

En termes de pratiques funéraires, le passage d’une inhumation à une crémation est loin d’être anodin, souligne Fanny Bocquentin: «La crémation implique quelque chose de très différent en termes de gestion du corps. Il y a la violence du feu, qui a des répercussi­ons sur le deuil, et un changement de la perception du défunt par sa destructio­n. Symbolique­ment, c’est différent d’une inhumation.»

Autre point, cette pratique accélère aussi le temps funéraire. Le cadavre disparaît en quelques heures dans un bûcher, et on ne s’occupe ensuite plus du mort. «Depuis que les hommes sont sédentaire­s dans cette région du Levant, il y a une gestion des morts sur le long terme. Les corps sont inhumés, mais on vient les revisiter, on récupère les os ou le crâne. Parfois même on sur-modèle le crâne avec de la chaux et de la glaise», détaille Fanny Bocquentin.

Pour le moment, les causes de ce changement d’attitude vis-à-vis des défunts sont difficiles à déterminer, mais cette fosse n’est pas isolée. Sur le site, cinq autres corps brûlés ont été découverts. Rien n’indique que ces individus aient eu un statut particulie­r. Les tombes se trouvent à proximité des autres constructi­ons retrouvées sur le site, le choix de la crémation n’aurait donc pas eu une connotatio­n négative. Un seul point commun émerge: ce traitement a été réservé à des adultes.

Une période charnière

Ce qui est certain, c’est que ce changement n’est pas lié à un progrès technique. La crémation d’un corps demande certes de maintenir une températur­e de plus de 600°C pendant plusieurs heures, mais les population­s locales en étaient capables. «La pyrotechni­e est déjà très développée à l’époque au Proche-Orient, puisqu’on sait y faire de la chaux, qui demande aussi un feu très chaud, depuis plusieurs millénaire­s», précise Fanny Bocquentin. Par ailleurs, la crémation est déjà pratiquée dans d’autres régions du monde. En Europe, par exemple, cette pratique est présente 2000 ans plus tôt.

Cette rupture apporte de nouvelles informatio­ns sur le VIIe millénaire av. J.-C., période dont peu de traces ont été conservées dans la zone. Pendant le millénaire précédent, il existe des échanges entre les régions du Levant du Nord (Turquie, Syrie, Liban) et du Levant du Sud (Israël, Palestine et Jordanie). Mais, durant la période où intervient ce changement de rites funéraires, les deux régions commencent à évoluer différemme­nt.

Les population­s du Levant du Nord commencent à utiliser de la céramique, qui ne sera adoptée que 700 ans plus tard au Levant du Sud. «Il semblerait que ce soit plutôt un choix, puisqu’il y a toujours des échanges, souligne Fanny Bocquentin. A Beisamoun, on retrouve de l’obsidienne, importée de Cappadoce, mais pas de céramique.» Cette modificati­on des rites funéraires s’inscrit donc dans des changement­s plus globaux que les chercheurs tentent d’éclaircir.

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Le site de Beisamoun, dans la haute vallée du Jourdain (Israël), abrite la plus ancienne trace d’une crémation dans la région.

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