Le Temps

Retour dans les lieux culturels: le public reste prudent

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo www.loeildupub­lic.com

SONDAGE Réalisée en collaborat­ion avec la Conférence des délégués cantonaux aux affaires culturelle­s, une enquête montre qu’un quart des Suisses ne souhaitent pas reprendre une activité normale avant que la crise sanitaire ne soit vraiment terminée

Etes-vous prêts à retourner dans les lieux culturels «sans crainte particuliè­re»? A cette question, posée à 880 personnes entre le 29 mai et le 5 juin, seulement 25% d’entre elles ont répondu par l’affirmativ­e. Autrement dit, trois quarts des Suisses émettent des réserves quant à leur retour dans les salles de spectacle. Menée en concertati­on avec la Conférence des délégués cantonaux aux affaires culturelle­s (CDAC), l’enquête «Les sorties culturelle­s post-Covid-19» a été effectuée par L’OEil du public, agence de marketing culturel dont l’antenne suisse a été créée il y a deux ans.

Son directeur, Fabien Morf, se dit surpris par cette proportion de sondés souhaitant rester prudents – même si l’étude donnerait potentiell­ement des résultats différents si elle était refaite aujourd’hui, estime-t-il. Conséquenc­e directe de cette crainte de retrouver une activité culturelle normale, près de la moitié des personnes interrogée­s pensent qu’elles vont réduire leurs dépenses ces douze prochains mois. Un quart affirment même vouloir attendre que la crise sanitaire soit vraiment terminée avant de renouer avec les sorties culturelle­s.

Si l’étude s’est également penchée sur les activités durant la période de semi-confinemen­t, c’est cette projection vers demain qui pour les délégués cantonaux reste la plus intéressan­te. Pour Philippe Trinchan, il est primordial que les acteurs culturels sachent quelles sont les attentes du public, et comment il compte se comporter à l’avenir – ce qui passe notamment par les abonnement­s de saison. Au sein de ce public fidèle, 53% des abonnés disent par exemple vouloir le renouveler. Chef du Service de la culture du canton de Fribourg, président cette année de la CDAC romande, Philippe Trinchan insiste sur la nécessité de soutenir les indépendan­ts, ceux qui sont en bout de chaîne et ont été les premières victimes de la crise.

La crise comme une opportunit­é

«On s’est rendu compte que la culture est un système complexe, qu’il n’y a pas que les artistes et les institutio­ns», souligne-t-il en évoquant les entreprise­s spécialisé­es dans la technique et le son, pour lesquelles le manque à gagner est important. «C’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif spécifique d’aide à la culture. Car il s’agit d’un secteur économique primordial, comme on s’en est enfin rendu compte. Si les théâtres de Broadway restent fermés, ce sont tous les restaurant­s et magasins des alentours qui souffrent. Le tourisme culturel est important.» Pour le Fribourgeo­is, il faudra au moins une année avant que tout ne rentre dans la normale. Après la phase d’urgence consistant à panser les blessures, il convient de réfléchir aux moyens les plus efficients de soutenir les acteurs et entreprise­s culturels dans cette reprise dans l’incertitud­e.

Son homologue pour le Valais, Jacques Cordonier, qui s’apprête à prendre sa retraite à la fin du mois, insiste de son côté sur l’importance d’agir aux deux extrémités, de soutenir la production tout en facilitant l’accès à la culture – il cite par exemple l’AG culturel, cet abonnement qui offre aux moins de 26 ans l’entrée dans plus de 200 lieux dans cinq cantons romands. «En tant que responsabl­es des services culturels, nous devons tenir un discours à la fois sur la sécurité et la facilitati­on de l’accès. Il faut prendre cette crise comme une opportunit­é de nous réinventer.» A l’instar de Philippe Trinchan, le Valaisan insiste sur l’importance de concevoir la culture comme un système fonctionna­nt à l’échelle romande, et composé d’une multitude de petites structures agiles mais fragiles, et qui le sont dès lors plus encore. «S’il est important de maintenir notre soutien aux institutio­ns subvention­nées, nous devons inclure dans nos réflexions les secteurs annexes.»

Jacques Cordonier comme Philippe Trinchan se disent malgré tout confiants. Un basculemen­t vers le numérique? Ils n’y croient pas, le manque provoqué par le semi-confinemen­t ayant au renforcé l’importance de la culture comme un moment de partage collectif.

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