Le cash n’est pas près de disparaître, les Suisses stockent les billets de 1000 francs
La pandémie a encouragé commerçants et consommateurs suisses à favoriser les moyens de paiement électroniques et sans contact. Mais elle a aussi poussé les ménages, inquiets, à stocker des billets de 1000 francs
Le cash est encore loin d’être en voie de disparition. La pandémie a rendu pièces et billets suspects – considérés comme des vecteurs du coronavirus – et donné un coup d’accélérateur sans précédent aux paiements sans contact. C’est vrai également dans nombre de pays développés, où commerces et utilisateurs ont préféré régler les achats via des moyens électroniques.
Et pourtant, les pièces et billets en circulation ont augmenté depuis le début de la crise sanitaire. Selon les statistiques de la Banque nationale suisse (BNS), cette masse avait diminué au cours des deux premiers mois de l’année (en général, la demande pour le cash augmente au moment des fêtes de Noel, puis elle diminue de nouveau). Avant de remonter dès mars. Ainsi, à fin février, l’argent aux mains de la population atteignant 82,5 milliards de francs. A fin mai, date des derniers chiffres disponibles, le total avait augmenté à 84,3 milliards.
Constituer «des réserves de valeurs»
Paradoxe? Pas forcément. «La hausse de l’utilisation d’un moyen de paiement ne se fait pas forcément au détriment d’un autre», explique un porte-parole de la Banque nationale suisse (BNS). «D’une manière plus générale, si l’on prend le nombre total de billets en circulation, la demande en espèces a en effet continué à augmenter, même avec le Covid-19. Comme souvent dans les situations de crise, la demande de grosses coupures a été plus forte pendant cette période, à des fins de réserve de valeur», poursuit-il. A l’inverse, la demande en petites coupures et en pièces a, elle, diminué pendant le confinement, en raison de la réduction de l’activité, la baisse des transactions du commerce de détail, de la restauration et une gestion prudente de l’argent liquide, ajoute la BNS.
Les Suisses ne sont pas les seuls à se rassurer en empilant du cash – comme ils ont d’ailleurs également tendance à le faire avec des lingots d’or. Le phénomène de ruée sur les gros billets s’est produit ces derniers mois dans beaucoup de pays, surtout occidentaux. Dans une étude publiée dans Vox EU, Jonathan Ashworth, économiste indépendant, et Charles Goodhart, professeur émérite du centre de recherche sur les marchés financiers de la London School of Economics, ont passé au crible un grand nombre de régions. Conclusion des deux économistes britanniques: presque partout, le cash en circulation a augmenté. Aux Etats-Unis, par exemple, en avril, mai et juin, la hausse de 2% par mois a égalé celle du bug de l’an 2000. A la fin juin, il y avait 13% de plus de cash en circulation par rapport à l’année dernière. C’est bien plus que lors de la crise financière de 2008.
Les deux économistes notent également des «énormes hausses» de la monnaie en circulation par mois dans la zone euro, «deux à trois fois plus élevées» que la moyenne. «La demande de billets de 200 euros explique cette hausse, ce qui est cohérent avec une accumulation compulsive en cas de panique», écrivent-ils. Ces coupures, qui représentent 7% des billets en circulation, comptent pour 30% de la hausse entre mars et mai. Le phénomène a été particulièrement visible en Italie, en France, en Espagne et en Allemagne.
«Alors que les confinements et l’utilisation accrue des achats en ligne ont diminué la fonction traditionnelle du cash comme moyen d’échange, il semble que cela ait été plus que compensé par une détention de billets de banque due à la panique», constatent Jonathan Ashworth et Charles Goodhart. Ces derniers s’attendaient à un retournement après la hausse du mois de mars, mais en réalité, la tendance s’est poursuivie.
Pénurie de pièces
Le phénomène de ruée sur les gros billets s’est produit ces derniers mois dans beaucoup de pays, surtout occidentaux
Les Etats-Unis se sont même retrouvés face à une pénurie de pièces de monnaie, forçant la Réserve fédérale à rationner ses livraisons de pièces aux banques. Dans la mesure où des commerces ont été fermés et que les consommateurs sont restés à la maison, les pièces ont arrêté de circuler, a commenté en juin Jerome Powell, président de l’institution. Un problème exacerbé par le ralentissement temporaire des fabriques de l’US Mint, qui frappe la monnaie, pour préserver ses employés de la pandémie.
Bill Maurer, un anthropologue de l’Université de Californie, cité par le Financial Times, voit dans cette détention de liquide «une rationalité contextuelle». Les Américains ne sont pas inquiets de la façon dont la Fed distribue le cash, mais de tout le reste, comme en cas de catastrophe naturelle: le réseau électrique ou le réseau mobile par exemple, dont une panne bloquerait l’accès au cash et aux paiements.
La tendance à détenir des billets – en particulier des grosses coupures – a déjà augmenté avec l’introduction des taux d’intérêt négatifs et des craintes sur la solidité des banques. A l’exception d’une baisse pendant l’année 2019, le nombre de billets de 1000 francs aux mains de particuliers n’a cessé de croître depuis 2008 et représente une part importante de la masse des billets à disposition: sur les 84 milliards de francs en circulation, 46 milliards représentaient des coupures à quatre chiffres. Soit un peu plus de cinq de ces papiers par personne en Suisse.
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