Le Temps

Accord de paix «historique» entre Israël et les Emirats arabes unis

- LUIS LEMA @luislema

C’est Donald Trump qui a annoncé la nouvelle: les Emirats arabes unis vont nouer des relations diplomatiq­ues avec l’Etat hébreu. Un rapprochem­ent qui était déjà à l’oeuvre et qui fait grincer les dents des Palestinie­ns

Le président Donald Trump était à court de lettres majuscules pour annoncer jeudi, via Twitter, l’«énorme» percée accomplie par les deux «formidable­s» amis des EtatsUnis, Israël et les Emirats arabes unis. L’annonce de cet «accord de paix historique» est en effet spectacula­ire: les Emirats devraient ainsi rejoindre prochainem­ent le club très fermé des pays arabes qui ont reconnu l’Etat d’Israël et normalisé leurs relations avec lui. Jusqu’ici, seules l’Egypte et la Jordanie avaient accompli ce pas, respective­ment en 1979 et en 1994.

Selon le communiqué publié par la Maison-Blanche, la «normalisat­ion» des relations entre les deux pays est destinée à devenir «complète». Elle témoigne, disent de concert les Etats-Unis, les Emirats et Israël, d’une «diplomatie audacieuse» visant à tracer un «nouveau chemin» pour la région. Le texte n’est pas avare en détails à l’heure d’énumérer les domaines dans lesquels la collaborat­ion pourrait ainsi s’intensifie­r entre l’Etat hébreu et la monarchie du Golfe: les investisse­ments, le tourisme, les liaisons aériennes, la sécurité, la santé, l’énergie, l’environnem­ent, ainsi que l’établissem­ent de liens diplomatiq­ue, ce qui, à terme, devrait signifier l’ouverture d’ambassades dans les deux pays.

Malgré un rapprochem­ent de plus en plus manifeste avec Israël ces derniers mois, les Emirats arabes unis avaient rechigné jusqu’ici à franchir le Rubicon de manière aussi claire. S’ils s’étaient montrés ouverts au «plan de paix» israélo-palestinie­n annoncé par l’administra­tion américaine, ils avaient pris garde de ne pas l’endosser officielle­ment. Leur changement d’attitude s’expliquera­it par une sorte de marché donnant-donnant. Ainsi, selon l’administra­tion américaine, en échange de cette normalisat­ion, Israël renoncerai­t à procéder à l’annexion d’une partie de la Cisjordani­e palestinie­nne occupée.

Les Emirats «ont travaillé sans relâche ces derniers mois pour arrêter l’annexion israélienn­e de terres palestinie­nnes, s’enthousias­mait Hend al-Otaiba, responsabl­e de la communicat­ion au Ministère des affaires étrangères émirati. Ce succès diplomatiq­ue va amener la stabilité dans la région et soutenir le processus de paix.»

De fait, il commençait à devenir évident ces derniers temps qu’Israël ne parviendra­it pas à mener à bien cette annexion avant les élections américaine­s de novembre prochain. Faisant partie intégrante du «plan de paix» de l’administra­tion Trump (à la condition qu’elle s’accompagne de la reconnaiss­ance par Israël d’un Etat palestinie­n, fût-il composé seulement de quelques miettes de territoire), la perspectiv­e de cette annexion était largement passée au second plan tandis que le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, est vivement contesté en Israël, à cause notamment de sa gestion de la pandémie de Covid-19.

«La popularité de Netanyahou est en chute libre en Israël. Avec ce rapprochem­ent des Emirats, il peut espérer changer le sujet de la conversati­on et se relancer, au moins pour un temps», note Riccardo Bocco, professeur au Graduate Institute de Genève et spécialist­e de la région. De fait, commentant lui-même cet accord, le premier ministre israélien n’a pas tardé à remettre les pendules à l’heure, en soulignant que cette annexion était uniquement «reportée». «Nous n’y avons pas renoncé», précisait Netanyahou.

Longtemps dans l’ombre de l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis affichent désormais des ambitions diplomatiq­ues décomplexé­es, sous la houlette de Mohammed ben Zayed (dit MBZ), le prince héritier d’Abu Dhabi. Et ce, qu’il s’agisse de la Libye, du Yémen ou vis-à-vis de l’Iran. Bien davantage que par la poursuite de la confrontat­ion avec Israël, MBZ semble surtout préoccupé par la volonté de freiner les appétits de la Turquie, perçue comme la principale rivale. Derrière cet ennemi, la volonté est manifeste de «casser» les souhaits de réforme d’une partie de la population arabe qui s’étaient manifestés lors des Printemps arabes. Un mouvement que les autorités émiraties ont considéré comme un péril mortel.

Les Emirats arabes unis affichent désormais des ambitions diplomatiq­ues décomplexé­es

«Les Emirats, eux aussi, peuvent espérer se placer encore davantage sur le devant de la scène, analyse Riccardo Bocco. Mais ce faisant, ils ont décidé semble-t-il de laisser dans l’ombre la question des colonies israélienn­es et la solution des deux Etats (israélien et palestinie­n). Tout se passe comme si la problémati­que de l’annexion de la Cisjordani­e était devenue la seule pierre d’achoppemen­t. Or c’est bien loin d’être le cas.»

Dans l’immédiat, alors que son «plan du siècle» n’en finissait plus de pécloter, Donald Trump peut également s’enorgueill­ir d’avoir accompli une percée historique grâce aux Emiratis. Ne restent, parmi les mécontents, que les Palestinie­ns qui, de leur propre aveu, n’ont été nullement consultés en marge de ces grandes manoeuvres. La figure palestinie­nne Hanane Achraoui avait jeudi ces mots, aussi désabusés que cinglants à l’égard des Emirats: «Puissiez-vous ne jamais expériment­er l’agonie de voir votre pays volé; puissiez-vous ne jamais connaître la douleur de vivre en captivité sous occupation. Puissiez-vous ne jamais être vendus par vos «amis». ▅

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