Le Temps

L’Orangerie, théâtre du crépuscule de l’humanité

Au théâtre genevois, quatre vieilles dames papotent et, sans transition, évoquent le péril climatique et la désolation. Du pur humour anglais, grinçant, parfaiteme­nt orchestré par Andrea Novicov

- MARIE-PIERRE GENECAND «Du ciel tombaient les animaux», jusqu’au 19 août, Théâtre de l’Orangerie, Genève.

Quatre drôles de (vieilles) dames. Qui semblent passer le temps en bavardages inconsista­nts. Mais qui, par instants, touchent le fond dense de nos existences. D’autant que l’une d’elles, en oiseau de mauvais augure mais de bon jugement, annonce le chaos de l’humanité lié au dérèglemen­t de l’environnem­ent…

Du ciel tombaient les animaux est un texte fort de l’auteure britanniqu­e Caryl Churchill, âgée de 81 ans. Une perle qu’Andrea Novicov a découverte quand il ficelait sa saison de l’Orangerie, en janvier dernier. Et qui résonne parfaiteme­nt avec l’actualité alors que la partition date de 2016… Il faut aller voir ces quatre comédienne­s chères à notre coeur et porteuses, ici, d’une petite musique qui fait frissonner d’horreur.

«Here comes the sun», chantent les Beatles, tandis que trois amies épousent l’insoucianc­e de ce titre. L’une, Vi, (Anne-Marie Yerly) peint ses humeurs. La seconde, Sally, (Josette Chanel) reçoit dans son jardin. La troisième, Lena, (Mercedes Brawand) se prélasse, le regard au lointain. Au-dessus d’elles, une couronne de plantes semble dire: «Voici les lauriers d’une existence bien remplie».

En fait de lauriers, ce sont plutôt des épines. C’est que Mrs. Jarrett (Yvette Théraulaz) amène une couleur plus sombre à cette tea party. Chignon dressé comme une tiare, la pythie annonce des apocalypse­s par milliers. Inondation­s, incendies, virus et numérisati­on affamant les population­s: Caryl Churchill déborde d’imaginatio­n pour peindre la fin de l’humanité.

Effondreme­nt et cannibalis­me

Dans ces moments, la scène vire au vert (lumières de Jean-Marc Serre), le son devient flippant (musique d’Andrès Garcia) et la Cassandre se fige sur le devant du plateau: «Quatre cent mille tonnes de roche financées par le patronat se détachèren­t de la montagne... Des villages entiers furent ensevelis et de nouvelles communauté­s de survivants sous la terre élaborèren­t des méthodes pour se nourrir de cadavres.» Voilà ce dont l’auteure britanniqu­e est capable…

Mais Mrs. Jarrett n’est pas la seule au pays des ombres. Par instants, Lena évoque sa dépression, Sally détaille sa phobie des chats et, plus fort encore, Vi confesse le meurtre de son mari. Des failles qui montrent, si besoin, que l’humain est d’abord empêtré dans son karma quotidien avant de gérer le dérèglemen­t climatique devant lequel il se sent souvent impuissant.

Andrea Novicov orchestre cette drôle de pièce avec ce qu’il faut d’accélérati­ons lors du babil et de ralentisse­ments lorsque la parole devient de plomb. Quant aux quatre comédienne­s, elles excellent dans ce mélange d’anodin et de désolation. Il fait bon avoir 70 ans et plus, même en période de virus!

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland