L’Orangerie, théâtre du crépuscule de l’humanité
Au théâtre genevois, quatre vieilles dames papotent et, sans transition, évoquent le péril climatique et la désolation. Du pur humour anglais, grinçant, parfaitement orchestré par Andrea Novicov
Quatre drôles de (vieilles) dames. Qui semblent passer le temps en bavardages inconsistants. Mais qui, par instants, touchent le fond dense de nos existences. D’autant que l’une d’elles, en oiseau de mauvais augure mais de bon jugement, annonce le chaos de l’humanité lié au dérèglement de l’environnement…
Du ciel tombaient les animaux est un texte fort de l’auteure britannique Caryl Churchill, âgée de 81 ans. Une perle qu’Andrea Novicov a découverte quand il ficelait sa saison de l’Orangerie, en janvier dernier. Et qui résonne parfaitement avec l’actualité alors que la partition date de 2016… Il faut aller voir ces quatre comédiennes chères à notre coeur et porteuses, ici, d’une petite musique qui fait frissonner d’horreur.
«Here comes the sun», chantent les Beatles, tandis que trois amies épousent l’insouciance de ce titre. L’une, Vi, (Anne-Marie Yerly) peint ses humeurs. La seconde, Sally, (Josette Chanel) reçoit dans son jardin. La troisième, Lena, (Mercedes Brawand) se prélasse, le regard au lointain. Au-dessus d’elles, une couronne de plantes semble dire: «Voici les lauriers d’une existence bien remplie».
En fait de lauriers, ce sont plutôt des épines. C’est que Mrs. Jarrett (Yvette Théraulaz) amène une couleur plus sombre à cette tea party. Chignon dressé comme une tiare, la pythie annonce des apocalypses par milliers. Inondations, incendies, virus et numérisation affamant les populations: Caryl Churchill déborde d’imagination pour peindre la fin de l’humanité.
Effondrement et cannibalisme
Dans ces moments, la scène vire au vert (lumières de Jean-Marc Serre), le son devient flippant (musique d’Andrès Garcia) et la Cassandre se fige sur le devant du plateau: «Quatre cent mille tonnes de roche financées par le patronat se détachèrent de la montagne... Des villages entiers furent ensevelis et de nouvelles communautés de survivants sous la terre élaborèrent des méthodes pour se nourrir de cadavres.» Voilà ce dont l’auteure britannique est capable…
Mais Mrs. Jarrett n’est pas la seule au pays des ombres. Par instants, Lena évoque sa dépression, Sally détaille sa phobie des chats et, plus fort encore, Vi confesse le meurtre de son mari. Des failles qui montrent, si besoin, que l’humain est d’abord empêtré dans son karma quotidien avant de gérer le dérèglement climatique devant lequel il se sent souvent impuissant.
Andrea Novicov orchestre cette drôle de pièce avec ce qu’il faut d’accélérations lors du babil et de ralentissements lorsque la parole devient de plomb. Quant aux quatre comédiennes, elles excellent dans ce mélange d’anodin et de désolation. Il fait bon avoir 70 ans et plus, même en période de virus!
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