Une rentrée scolaire au défi du Covid-19 et du fédéralisme
La crise a obligé l’école à se réinventer. Les cantons ont appris à collaborer sur de nouvelles bases, tout en gardant une indépendance à laquelle ils tiennent. La conseillère d’Etat neuchâteloise Monika Maire-Hefti livre son bilan
L’année scolaire débute lundi dans le Jura, en Valais et à Neuchâtel, avant Vaud et Genève le 24 août. Avec des pratiques différentes selon les cantons et les établissements
■ La crise sanitaire a accéléré la mise en place d’outils numériques mais avec quelle efficacité? Genève tire un bilan positif malgré des enseignants épuisés et plus d’élèves en échec
■ Notre interview de la ministre neuchâteloise Monika Maire-Hefti, vice-présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de l’Instruction publique, qui salue les collaborations entre cantons
Comme en Valais et dans le Jura, la rentrée scolaire a lieu lundi dans le canton de Neuchâtel. 19601 élèves (181 de moins à cause de l’évolution démographique) répartis dans 1090 classes (1,4 de moins) vont reprendre le chemin de l’école obligatoire.
Selon la cheffe du Département de l’éducation et de la famille, Monika Maire-Hefti – qui est aussi vice-présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de l’Instruction publique –, à peine 1% des élèves et des enseignants considérés comme vulnérables seront dispensés d’être présents. Comme ailleurs, les enseignants devront porter le masque dans les couloirs, les espaces communs et la salle des maîtres, mais en principe pas en classe. Les élèves de l’école obligatoire en seront dispensés. Elle revient sur cette rentrée scolaire particulière et les enseignements tirés de la crise.
Les écoles et les élèves sont-ils prêts pour le retour de l’enseignement présentiel ordinaire? J’espère que les élèves sont prêts. Les enseignants, les écoles et le département le sont. Nous avons préparé quatre scénarios. Nous avons exclu celui d’une rentrée scolaire sans restrictions et opté pour un retour en classe entière avec les mesures sanitaires d’usage. Nous avons en réserve deux autres scénarios, qui pourraient être activés en cas de retour de la pandémie.
Ils prévoient l’enseignement par demi-classes, la fermeture de classes ou d’établissements entiers avec enseignement à distance. Nous espérons bien sûr ne pas devoir les activer.
Quelles leçons tirez-vous de l’enseignement à distance? Paradoxalement, cette pandémie a permis aux familles de se rapprocher du corps enseignant. Nous avons pu travailler en étroite collaboration avec les syndicats, qui nous ont rapporté les difficultés que vivaient les enseignants. Les élèves ont aussi eu la possibilité d’effectuer un travail individuel, de se prendre en charge. C’est positif. Mais certains élèves ont rencontré des difficultés d’acquisition de la matière ou ont vécu dans un environnement peu propice à l’apprentissage. Nous devons être attentifs à eux. C’est pour cela que les premières semaines de la rentrée seront consacrées à l’identification des besoins des plus fragiles. Nous allons augmenter le nombre de périodes de soutien pédagogique. Le Conseil d’Etat a libéré un crédit urgent de 1 million de francs pour cela. En résumé, je dirais que, durant la crise, l’école a dû se réinventer plusieurs fois.
Est-ce que cela lui a fait du bien? Je pense que oui. Nous pensions que l’organisation scolaire en place était la seule possible. Nous avons vu en l’espace de quelques jours qu’il y avait plusieurs manières de transmettre le savoir. La crise a déclenché un élan de créativité et de solidarité incroyable.
Elle a mis en lumière des lacunes en matière d’équipement numérique. Comment y remédier? Il y a là une énorme disparité entre les cantons. Nous étions heureusement bien positionnés à Neuchâtel, car nos prédécesseurs avaient été des précurseurs. Tous les centres scolaires sont déjà bien équipés. Mais nous avons constaté qu’il fallait acquérir un nouveau matériel scolaire afin de rendre l’enseignement en ligne plus moderne et plus mobile. La crise a aussi éveillé la conscience des enseignants qui étaient réfractaires à l’informatique. L’avenir, c’est le mariage de l’enseignement présentiel, nécessaire pour les liens sociaux et les suivis personnels, et de l’enseignement à distance, qui permet d’acquérir le savoir informatique nécessaire pour passer au niveau secondaire II et entrer sur le marché du travail. Nous avons lancé un plan d’action numérique. Le projet entre dans sa première phase, avec la mise en place d’un réseau de proximité composé d’enseignants spécialisés dans le numérique.
L’enseignement est une tâche cantonale en Suisse. Cela n’a-t-il pas posé des problèmes de coordination? Ce n’était pas évident au début. Nous avons eu parfois de longues discussions. Mais les cantons de la Suisse latine ont vite compris qu’ils avaient tout intérêt à se coordonner, notamment pour apporter une réponse commune aux attentes des syndicats et des associations de parents. Il était aussi important de partager nos expériences. Nous avons ainsi pu harmoniser les pratiques pour la reprise en demiclasses et le port du masque, par exemple.
Que va-t-il en rester? Les échanges entre les cantons sont très importants. La Suisse latine compte huit cantons, Berne francophone et Tessin inclus. La crise nous a rapprochés. Et nous en avons tiré profit. Il est plus facile de se mettre d’accord à huit qu’à seize, comme c’est le cas pour les cantons alémaniques. Cela nous a permis de défendre une position commune.
Les régions linguistiques se distinguent par des plans d’études différents et ont vécu des situations sanitaires différentes. Comment la CDIP a-t-elle géré cela? Je ne vous cache pas que c’était compliqué de se coordonner, précisément parce que la réalité sanitaire est très différente d’un canton à l’autre. Mais nous, les Latins, nous avions un avantage: notre plan d’études existe depuis dix ans. Nous avons déjà l’habitude de collaborer. Le Lehrplan 21 alémanique a été mis en oeuvre plus tard.
Les cantons ont-ils pu se coordonner pour définir les modalités de promotion des élèves? Les cantons de la Suisse latine ont pris des décisions communes pour ce qui relève de la Confédération, comme l’obtention de la maturité gymnasiale sans examen. Mais il n’y a pas d’harmonisation possible au niveau obligatoire, car l’organisation varie d’un canton à l’autre. A Neuchâtel, nous avons arrêté les moyennes au 31 janvier et n’avons ensuite pris en compte que ce qui améliorait la situation des élèves. Nous avons un taux de promotion en légère hausse d’environ 2%.
La CDIP a fixé comme principe que l’année scolaire 2020-2021 devait être «ordinaire». Est-ce que ce sera le cas? Je partage ce souhait. Mais ce n’est ni une rentrée ordinaire ni une année scolaire ordinaire. L’école doit apprendre à vivre avec ce virus. Elle doit s’organiser pour y faire face de manière sereine.
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MONIKA MAIREHEFTI CONSEILLÈRE D'ÉTAT NEUCHÂTELOISE
«Paradoxalement, cette pandémie a permis aux familles de se rapprocher du corps enseignant»