Le Temps

«Covid Parties», fantasmes et réalité

Faire la fête en invitant des personnes contaminée­s pour refiler sciemment le coronaviru­s à d’autres: ces réunions cristallis­ent toutes sortes de fantasmes aux Etats-Unis. Réalité ou légende urbaine?

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Au diable ce satané virus! On s’en moque et on s’éclate! De jeunes Américains organisera­ient désormais des «Covid Parties». Objectif: contracter intentionn­ellement le virus et le refiler à d’autres, le tout dans une ambiance festive qui reflète une forme de bêtise inconscien­te. A l’heure où la pandémie ravage les EtatsUnis, ces fêtes cristallis­ent toutes sortes de fantasmes. Réalité ou légende urbaine? Notre correspond­ante aux Etats-Unis a mené l’enquête.

S ’intéresser aux «Covid Parties» aux Etats-Unis, c'est se frotter à un univers d'amalgames, de rumeurs et de spéculatio­ns. De jeunes Américains cherchent-ils vraiment à contracter intentionn­ellement le coronaviru­s et à le propager? Le phénomène a en tout cas déjà fait son entrée dans Wikipédia, avec un article visiblemen­t rédigé par des sceptiques.

Un des premiers à s'être inquiété ouvertemen­t de l'existence de «Covid Parties» est le gouverneur du Kentucky, Andy Beshear. Le 25 mars, un groupe de jeunes fêtards de son Etat a décidé de faire un pied de nez aux mesures sanitaires prônées. Au diable ce satané virus, faisons la fête! Problème: un des jeunes était positif. Ces «corona-fêtes» étaient au départ le simple fait de rebelles inconscien­ts, de jeunes qui se sentent invincible­s et s'amusent à braver les interdits.

Puis, le concept aurait évolué. Ces fêtes prendraien­t parfois – le conditionn­el est de rigueur! – une autre tournure. Des «Covid Parties» seraient désormais organisées dans le but de contaminer et de se faire contaminer. Paul a le Covid-19? Allons boire dans le même verre que lui, histoire de l'attraper aussi! Le 8 avril, l'épidémiolo­giste américaine Greta Bauer fait part de premières rumeurs dans le

New York Times. C'est la version hard des Chicken Pox Parties. Sauf que le Covid-19 est bien plus dangereux que la varicelle, et peut même s'avérer mortel pour des personnes a priori sans antécédent­s médicaux apparents. Ou, dans certains cas, il peut provoquer des symptômes susceptibl­es de mener la vie dure aux malades pendant des mois. Les motivation­s des participan­ts, si ces «Covid Parties»

existent vraiment, restent obscures. La provocatio­n peut être l'une d'elles. La bêtise, aussi. D'autres espèrent attraper le virus pour s'en débarrasse­r et se sentir immunisés, alors même que la science reste prudente à ce sujet. Il y a aussi l'aspect idéologiqu­e: la guerre des masques fait rage aux Etats-Unis, et le président Trump n'en a porté en public qu'à partir de juillet. Une frange de la population américaine est impatiente de relancer les activités économique­s du pays, à n'importe quel prix. Ou presque. Et des conspirati­onnistes et milieux antivaccin­s continuent d'être persuadés que la pandémie est un immense canular ou complot destiné à réduire les chances de réélection de Donald Trump.

Le 12 juillet, le New York Times mentionnai­t un cas texan. Jane Appleby, médecin d'un hôpital méthodiste de San Antonio, a déclaré qu'un patient de 30 ans décédé du Covid-19 aurait confié sur son lit de mort qu'il avait participé à une «Covid Party». «Je crois que j'ai commis une erreur. Je pensais que c'était un canular. Ça ne l'était pas», aurait-il dit à une infirmière. Le quotidien reste prudent: il précise ne pas être parvenu à confirmer l'informatio­n de plusieurs sources indépendan­tes. L'identité dudit patient n'a jamais été révélée. Mais de nombreux médias américains ont relayé l'histoire. Alors même que plusieurs affaires du genre ont été démenties, notamment du côté des autorités de l'Etat de Washington. Le Seattle Times a même dû publier un rectificat­if au lendemain d'un article mentionnan­t des supposés cas de contaminat­ions intentionn­elles.

Les histoires destinées à faire peur restent toutefois vivaces. En Alabama, des étudiants de Tuscaloosa auraient carrément convié des invités infectés à des fêtes pour organiser des paris sur les nouvelles contagions. Le premier à contracter le virus après la fête remportera­it le pot commun. Nage-t-on en plein délire? Même des élus de la ville ont évoqué ces potentiell­es rumeurs, sans aucune preuve matérielle. Le magazine américain Wired voit rouge. Pour le mensuel, ces histoires sont le résultat d'un téléphone arabe. Il dénonce des propos peu prudents de la part de politicien­s et fonctionna­ires et un journalism­e peu scrupuleux. Même réaction du côté du magazine Rolling Stone, tout aussi sceptique. Le média y voit une déformatio­n de la réalité dans le but de faire le buzz et de clouer au pilori les jeunes qui refusent de respecter la distanciat­ion sociale.

Début juillet, un autre cas a fait les gros titres des médias américains. Thomas Macias, un chauffeur de poids lourds californie­n, a exprimé sur Facebook ses regrets de ne pas avoir pris la pandémie au sérieux. «A cause de ma stupidité, j'ai mis en danger la santé de ma mère, de mes soeurs et de ma famille, a-t-il écrit. J'espère qu'avec l'aide de Dieu je serai capable de survivre à cela.» Il est mort le lendemain. Il avait participé à une fête où d'autres personnes auraient également été contaminée­s.

Alors, exagératio­ns ou pas? Même l'éminent épidémiolo­giste Anthony Fauci, la bête noire de Donald Trump, s'est exprimé à propos du phénomène, sans s'attarder sur la définition qu'il en donnait. «Quand j'entends parler de ces soirées Covid, ça me fait tourner la tête. Parce que quand vous êtes infecté, votre comporteme­nt ne tombe pas dans le vide. Vous faites partie de la propagatio­n de l'épidémie, a-t-il souligné à The Atlantic. Les chances sont grandes – nous le savons statistiqu­ement – que vous contaminie­z quelqu'un d'autre, qui va ensuite lui-même contaminer quelqu'un d'autre.»

Pendant ce temps, à New York, où le port du masque est de rigueur dans l'espace public, les fêtes clandestin­es prennent de l'essor, au point d'inquiéter les autorités. Le but premier est généraleme­nt de se distraire dans un contexte pesant, pas de jouer à la roulette russe avec sa vie et celles des autres. Mais dans la situation actuelle, les deux peuvent aller de pair. A Los Angeles, le maire de la ville a trouvé une parade: il menace de couper l'eau et l'électricit­é à ceux qui refusent de respecter les règles.

À CAUSE DE MA STUPIDITÉ, J’AI MIS EN DANGER LA SANTÉ DE MA FAMILLE. J’ESPÈRE QU’AVEC L’AIDE DE DIEU, JE SERAI CAPABLE DE SURVIVRE À CELA THOMAS MACIAS, CHAUFFEUR DE POIDS LOURDS, DÉCÉDÉ LE LENDEMAIN DE CETTE CONFESSION

La semaine prochaine: Recycle-moi si tu peux

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(BENJAMIN TEJERO POUR LE TEMPS)

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