Kamala Harris et l’identité noire
Certains, en Europe, s’offusquent que l’on puisse, en parlant de Kamala Harris, la colistière de Joe Biden dans la course à la Maison-Blanche, non seulement préciser qu’elle pourrait devenir la première femme vice-présidente, mais aussi la première vice-présidente noire. Pourquoi évoquer sa couleur de peau? Parce que c’est très important aux Etats-Unis, parce que des millions d’Afro-Américains attendent ce moment depuis très longtemps, et parce que le candidat démocrate l’a précisément – ne le nions pas – aussi choisie pour cette raison.
Mais voilà: le débat, ici, est autre et pourrait vite tourner à l’aigre. Kamala Harris a, forcément, des détracteurs, y compris parmi la communauté noire, et ses origines sont souvent pointées du doigt. Comment ose-t-elle prétendre représenter les Afro-Américains, alors que son père est Jamaïcain et sa mère Indienne? D’ailleurs, est-elle vraiment Noire, ou suffisamment Noire? Ces questions reviennent souvent. Un débat aux relents nauséabonds, qui n’est pas sans rappeler la polémique lancée en 2008 par les «birthers», déterminés à prouver que Barack Obama n’était pas né aux Etats-Unis, et n’était donc pas éligible. Ce qui était bien sûr faux. Il est né à Hawaï, d’un père kényan et d’une mère originaire du Kansas, et il a une demi-soeur indonésienne.
Pour ne rien simplifier, l’identité métisse n’existe pas vraiment aux Etats-Unis. Regardez
Barack Obama. Son père ayant quitté le foyer familial tôt, il a été éduqué dans un milieu essentiellement blanc, celui de sa mère, pendant ses premières années. Mais personne ne l’a qualifié de «président métis». Or Kamala Harris est plus Noire que lui. Comment peut-on lui reprocher de ne pas l’être assez?
«Kamala Harris sous-entend qu’elle est la descendante d’esclaves noirs américains. Elle ne l’est pas. Elle vient d’une famille de propriétaires d’esclaves jamaïcains. Ce n’est pas une Afro-Américaine. Point final.» Ce message a été rédigé par Ali Alexander, un polémiste conservateur noir. Il l’avait tweeté quand elle était elle-même encore candidate à la présidentielle. Donald Trump Jr l’avait même partagé.
Alors? Récapitulons. Premièrement, Kamala Harris est bien née aux Etats-Unis, à Oakland (Californie), et sa légitimité à devenir vice-présidente ne peut pas être remise en question, même si certains veulent faire croire qu’elle n’est pas une natural-born citizen car ses parents n’étaient à l’époque pas naturalisés. Ensuite, elle n’a jamais prétendu descendre d’une famille d’esclaves, comme 13% de la population américaine. Mais son père, Donald (eh oui…) a, en 2018, glissé qu’il pourrait descendre d’esclaves noirs en Jamaïque.
Quoi qu’il en soit, Kamala Harris affirme avoir toujours grandi comme une «Afro-Américaine». Elle rappelle qu’elle a fréquenté la Howard University, surnommée le «Harvard noir». Fière de ses racines, elle balaye les attaques liées à son identité et est bien déterminée à combattre les discriminations raciales aux Etats-Unis. «Je suis Noire, et je suis fière d’être Noire. Je suis née Noire. Je vais mourir Noire», a-telle lâché lors d’une récente émission de radio. Débat clôt? Probablement pas.
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L’identité métisse n’existe pas vraiment aux Etats-Unis