Le Temps

Les Etats-Unis multiplien­t les fronts contre la Chine

Après plusieurs mois de silence, une rencontre sino-américaine à haut niveau est prévue samedi. Elle devrait passer en revue l’applicatio­n de l’accord signé en janvier qui devait apaiser les tensions. En réalité, elles n’ont jamais cessé de monter

- RAM ETWAREEA @rametwaree­a

La Chine n’a pas respecté ses engagement­s pris dans le cadre de l’accord commercial signé avec les Etats-Unis en janvier. Pour mettre fin à la guerre commercial­e, elle devait acheter des produits américains, notamment énergétiqu­es et céréaliers, pour 200 milliards de dollars en 2020. Mais elle est loin du compte. Pékin se défend et affirme que tous les circuits d’échange globaux étaient paralysés pendant près de quatre mois à cause du Covid-19.

Cette question sera le principal sujet de discussion lors de la rencontre prévue ce samedi par vidéo entre le représenta­nt américain au Commerce Robert Lighthizer et le vice-premier ministre chinois Liu He. Les deux hommes étaient parvenus à cet accord après deux ans de surenchère. Les Etats-Unis avaient allumé le feu en mars 2018 en frappant des importatio­ns en provenance de Chine d’un droit de douane punitif. Une mesure justifiée, selon eux, pour faire fondre le large déficit commercial américain par rapport à la Chine. L’an dernier, il était de 616 milliards de dollars, en baisse de 1,7% par rapport à l’année précédente.

Pour Antoine Kernen, professeur d’économie à l’Université de Lausanne, la Chine a acté que l’accord de janvier est mort, le Covid19 lui fournissan­t une bonne excuse de ne pas le respecter. «Pékin a admis que la logique de confrontat­ion va durer jusqu’à l’élection présidenti­elle américaine et que le président Donald Trump a fait de la Chine un thème de campagne électorale», affirmet-il. On peut imaginer qu’après le scrutin, quel que soit le gagnant, les deux pays reviennent à la table des négociatio­ns. Pour Antoine Kernen, Pékin, malgré un discours officiel qui appelle à l’apaisement, sait qu’il n’y a rien à attendre de l’administra­tion Trump.

BEAUCOUP DE BRUIT SUR LA CHINE

«Il n’est pas certain que cette réunion produise un quelconque résultat, anticipe pour sa part Christophe­r Smart, stratège chez le gestionnai­re américain Barings. Les deux protagonis­tes n’ont pas les mêmes perspectiv­es. Pour l’administra­tion Trump, la Chine constitue un élément de campagne électorale, alors que pour Pékin cet enjeu est inexistant. Les Chinois regardent le long terme; dans l’immédiat, ils veulent gérer les relations bilatérale­s et minimiser les dégâts.»

Christophe­r Smart tient à souligner que les revendicat­ions du président Trump vis-à-vis de la Chine ne sont pas différente­s de celles de son prédécesse­ur Barack Obama; en 2020, seule la tactique est différente. «La question liée aux subvention­s publiques aux entreprise­s d’Etat ou encore celle de la protection de la propriété intellectu­elle sont aussi valables aujourd’hui qu’hier», fait remarquer le stratège de Barings. Selon lui, il faut s’attendre à beaucoup de bruit sur la Chine d’ici à novembre.

En réalité, sans parler des sujets politiques qui fâchent – Ouïgours, Hongkong, Taïwan, la mer de Chine, espionnage – depuis quelques mois, l’administra­tion Trump a ouvert de nouveaux fronts dans son bras de fer économique avec la Chine alors que d’autres sont loin d’être réglés.

LA CHINE, PAYS EN DÉVELOPPEM­ENT?

Donald Trump est revenu à la charge cette semaine. Il conteste le statut de «pays en développem­ent» de la Chine à l’Organisati­on mondiale du commerce. Ce statut la protège de nombreuses obligation­s qui s’appliquent aux pays riches. Pour Washington, la deuxième puissance économique mondiale ne devrait plus bénéficier d’un traitement spécial et différenci­é au même titre que le Togo ou le Bangladesh. Pékin résiste bec et ongles et met en l’avant le fait que la moitié de la population chinoise survit avec moins de 5 dollars par jour.

PRESSIONS SUR LES GROUPES CHINOIS COTÉS À WALL STREET

Voté en mai dernier, un règlement américain oblige les entreprise­s chinoises présentes au Nasdaq ou au New York Stock Exchange à se soumettre à un audit américain. Plusieurs sociétés se préparent désormais à s’introduire dans une deuxième bourse en Chine ou à Hongkong, à l’instar d’Alibaba ou de PetroChina, qui ont déjà franchi le pas.

RÉFORMES À L’OMC

Les Etats-Unis réclament des réformes à l’OMC, disant que ses règles écrites il y a 50 ans ne correspond­ent plus à de nouvelles réalités. Par exemple, il n’y a pas de règles en matière de subvention­s aux entreprise­s d’Etat, ce qui est une pratique courante en Chine. Pour Washington, il s’agit de concurrenc­e déloyale par rapport aux entreprise­s qui ne bénéficien­t d’aucune aide publique.

HUAWEI ET LA SÉCURITÉ NATIONALE

Le géant technologi­que chinois et leader mondial de la 5G est désigné comme une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis. Selon Washington, qui n’a jamais donné de preuves, la compagnie fondée par Ren Zhengfei, ancien cadre de l’Armée populaire, livre des données au Parti communiste chinois. L’entreprise est bannie aux EtatsUnis et les industriel­s américains ont l’interdicti­on de l’approvisio­nner en puces électroniq­ues.

Les Etats-Unis tentent aussi de convaincre leurs alliés européens, indien et australien de rompre avec Huawei. Ce conflit a pris une tournure personnell­e avec l’arrestatio­n en décembre 2018 de Meng Wanzhou, la fille de Rem Zhengfei et haut cadre du groupe, au Canada à la demande des EtatsUnis. Cette dernière est toujours assignée à résidence à Vancouver.

TIKTOK ET WECHAT

Donald Trump a ordonné début août la fermeture de la populaire applicatio­n du réseau social TikTok, propriété du chinois ByteDance. L’échéance a été fixée au plus tard au 15 septembre, à moins que Microsoft ou une autre entreprise américaine ne la rachète. L’applicatio­n TikTok, où se créent et se partagent de courts clips musicaux, décalés ou humoristiq­ues, compte environ un milliard d’utilisateu­rs dans le monde, dont 100 millions aux Etats-Unis. Le président américain l’accuse d’espionnage.

GUERRE TECHNOLOGI­QUE

Les actions contre Huawei, TikTok et autres groupes font penser à une guerre technologi­que ouverte entre les Etats-Unis et la Chine. John Lee, chercheur au Mercator Institute for China Studies à Berlin, affirme que pour certains acteurs dans l’administra­tion Trump, il s’agit bien d’une guerre pour la suprématie mondiale en matière de technologi­e. «Du côté chinois aussi, la forte revendicat­ion d’autosuffis­ance pourrait faire penser à un mépris de la part du Parti communiste chinois à l’égard des pays occidentau­x», poursuit-il. ▅

 ?? (ALEX BRANDON/AP) ?? Donald Trump a assuré jeudi que Hongkong allait «connaître une descente aux enfers» en tant que centre financier internatio­nal sous la férule de la Chine. Les Etats-Unis ont mis fin le 14 juillet au régime préférenti­el accordé à Hongkong, après l’imposition par Pékin fin juin d’une loi sur la sécurité nationale dans la région autonome spéciale.
(ALEX BRANDON/AP) Donald Trump a assuré jeudi que Hongkong allait «connaître une descente aux enfers» en tant que centre financier internatio­nal sous la férule de la Chine. Les Etats-Unis ont mis fin le 14 juillet au régime préférenti­el accordé à Hongkong, après l’imposition par Pékin fin juin d’une loi sur la sécurité nationale dans la région autonome spéciale.

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