Le Temps

Le casque, mais pas comme alibi

Alors que le Conseil fédéral veut l’imposer à tous ceux qui roulent à vélo électrique, le casque fait l’objet d’un débat inattendu. Chez Pro Velo, on y voit un moyen de saboter l’essor fulgurant de la petite reine ces dernières années

- XAVIER FILLIEZ @xavierfill­iez

Les têtes intelligen­tes se protègent. C’est un slogan sans âge, qu’on lit sur les campagnes du BPA et qu’on se répète de génération en génération, tant il est irréfutabl­e. Un crâne percutant un trottoir ou un capot est mieux protégé avec un casque. Faut-il des statistiqu­es pour en attester?

Face à cette évidence, pourquoi alors le lobby des vélos s’oppose-t-il au port du casque obligatoir­e pour les vélos électrique­s dits lents (moins de 25 km/h) – les e-bikes rapides, équipés d’une plaque jaune, sont déjà soumis à cet impératif – tel que le propose le Conseil fédéral?

Il y a un premier argument, civique, qui met aux prises les prérogativ­es de l’Etat avec la liberté individuel­le. A l’âge adulte, chacun devrait pouvoir décider de son sort. A vélo, à trottinett­e, à skis. Mais ne disait-on pas la même chose de la ceinture de sécurité, obligatoir­e depuis 1980? Elle a pourtant sauvé de nombreuses vies, et on ne trouve plus personne pour défendre la liberté de choix à son propos. Ces dernières années, le nombre d’accidents graves à vélo électrique a été multiplié par cinq. C’est à mettre en lien avec l’explosion des ventes, mais il est de la responsabi­lité d’un Etat d’adapter son appareil législatif à l’évolution des pratiques.

Pro Velo avance encore un argument, écologique et sanitaire cette fois, qu’il est urgent d’entendre: là où le port du casque a été rendu obligatoir­e, en Australie par exemple (dès les années 1990), la pratique du vélo a diminué drastiquem­ent et le nombre d’accidents a, lui, augmenté sur le long terme, ce qui valide la thèse selon laquelle plus les cyclistes sont nombreux, plus ils sont en sécurité – essentiell­ement parce que les automobili­stes s’habituent à cette cohabitati­on. Cela se confirme en Suède et aux Pays-Bas, deux nations du vélo.

Ce n’est pas suffisant pour s’opposer au port du casque avec l’exaltation – et parfois l’hostilité – de certains absolutist­es du deux-roues, qui devraient plutôt y voir un petit pas vers plus de sécurité, un instrument de dialogue avec les autorités. Mais c’est à prendre en compte très sérieuseme­nt dans les politiques publiques.

Le port obligatoir­e du casque serait inutile s’il servait d’ersatz à des infrastruc­tures cyclables dignes de ce nom et à une politique volontaris­te en faveur de la pratique du vélo en toute sécurité: on n’a pour l’heure pas trouvé mieux comme outil de mobilité douce et de promotion de la santé.

Ces dernières années, le nombre d’accidents graves à vélo électrique a été multiplié par cinq

Après le masque, le casque. La première lettre change mais pas l’ampleur du débat suscité. Car comme son cousin, le casque a ses détracteur­s. La propositio­n du Conseil fédéral de le rendre obligatoir­e pour les utilisateu­rs de vélo électrique limités à 25 km/h crée la polémique. La réponse de Pro Velo, qui s’y oppose fermement, encore plus. L’associatio­n défend les intérêts des cyclistes, ne devrait-elle pas promouvoir également leur sécurité?

Question de liberté

Lorsqu’on discute avec les membres de Pro Velo, le préambule est toujours le même: «Je ne suis pas contre le casque. Moi-même, j’en porte un.» Son président, Matthias Aebischer, rappelle que la faîtière a toujours encouragé les cyclistes à porter un casque, notamment par le biais de campagnes de sensibilis­ation. Ce qui fâche, c’est l’obligation. Et les conséquenc­es qu’elle pourrait avoir. «Nous souhaitons augmenter le nombre de personnes qui circulent à vélo. Or, des études montrent que dans les pays qui ont imposé le port du casque la proportion de cyclistes a baissé.» En Australie, par exemple, l’utilisatio­n du vélo a drastiquem­ent diminué après l’obligation de porter un casque dans les années 1990.

Chez Pro Velo, c’est donc plutôt les pays du Nord qui inspirent. Les PaysBas notamment, qui appliquent la stratégie de safety in numbers. Entendez par là que plus les cyclistes sont nombreux sur les routes, moins il y a d’accidents. Cette théorie veut qu’en habituant les autres usagers de la route à la présence des vélos, la cohabitati­on est meilleure. Matthias Aebischer, également conseiller national (PS/BE), regrette donc que cette mesure, jugée contraigna­nte, tombe alors que la petite reine est en plein essor en Suisse.

Améliorer les infrastruc­tures

Au Bureau de prévention des accidents (BPA), on soutient la propositio­n du Conseil fédéral. «Selon nous, c’est une mesure simple qui permettrai­t de réduire jusqu’à 50% des blessures à la tête», rapporte Mara Zenhäusern, porte-parole. Une «mesure simple» qui, selon Pro Velo, a pourtant de quoi rebuter les cyclistes. «La majeure partie des personnes qui roulent à vélo électrique portent déjà un casque, note Delphine Klopfenste­in Broggini. Il ne faudrait pas, en devenant obligatoir­e, qu’il dissuade celles et ceux qui hésitent à s’y mettre.»

Pour la conseillèr­e nationale verte, candidate au poste de vice-présidente de Pro Velo Suisse, les autorités devraient plutôt régler le problème à la source. «Lorsqu’on est cycliste, on est vulnérable, c’est sûr, et le casque protège. Mais le problème est surtout dû aux infrastruc­tures, qui sont encore trop peu adaptées.» Pistes cyclables plus larges et plus répandues, vitesse des voitures réduite, meilleur éclairage des rues… les idées ne manquent pas. Sur ce point, le BPA rejoint Pro Velo, comme l’explique Mara Zenhäusern: «Les infrastruc­tures pour les vélos ont peu évolué, alors qu’il y a toujours plus de véhicules sur les routes. Les pistes cyclables devraient notamment être suffisamme­nt larges pour permettre par exemple aux vélos électrique­s de dépasser sans danger les autres vélos.» «En portant le débat sur le casque, on casse le débat central qui concerne le danger de la circulatio­n automobile et le manque d’aménagemen­ts cyclables», conclut Delphine Klopfenste­in Broggini.

Onze décès en 2019

Reste que les chiffres sont là. Toujours plus de vélos électrique­s sur nos routes et toujours plus d’accidents. En 2019, les e-bikes étaient responsabl­es de 11 décès et de 355 blessés graves, selon le BPA. «Il faut savoir que les vélos électrique­s sont plus rapides que les vélos traditionn­els et que donc, en toute logique, le cycliste a moins de temps pour réagir en cas de danger. Cette vitesse crée des blessures plus graves», analyse Mara Zenhäusern.

Et le coeur du débat se trouve peut-être ici. Car si tout le monde s’accorde à dire que l’obligation de porter un casque au guidon d’un vélo électrique rapide (allant jusqu’à 45 km/h) est justifiée, ce sont les véhicules plus lents qui sèment la discorde. Pour Matthias Aebischer et Delphine Klopfenste­in Broggini, le vélo électrique lent doit être traité de la même manière que le vélo classique. «Cette mesure, c’est la porte ouverte à l’obligation du casque pour tous les vélos. Et nous ne voulons surtout pas ça», s’inquiète la conseillèr­e nationale.

Roger Deneys ne veut pas ça non plus. Mais pour les vélos électrique­s, oui. Pourtant membre du comité de Pro Velo Genève, il considère la mesure comme efficace et raisonnabl­e. «Je fais du vélo tous les jours et, même si je ne suis pas le plus rapide des cyclistes, je peux vous assurer que les vélos électrique­s, même limités à 25 km/h, roulent plus rapidement. A cette vitesse, un choc à la tête sera bien plus grave.» S’il rejoint ses camarades sur le souhait de meilleures infrastruc­tures, le socialiste genevois rappelle toutefois que celles-ci n’entraînero­nt ni la réduction de la vitesse des vélos électrique­s, ni la violence du choc en cas de chute.

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