Le casque, mais pas comme alibi
Alors que le Conseil fédéral veut l’imposer à tous ceux qui roulent à vélo électrique, le casque fait l’objet d’un débat inattendu. Chez Pro Velo, on y voit un moyen de saboter l’essor fulgurant de la petite reine ces dernières années
Les têtes intelligentes se protègent. C’est un slogan sans âge, qu’on lit sur les campagnes du BPA et qu’on se répète de génération en génération, tant il est irréfutable. Un crâne percutant un trottoir ou un capot est mieux protégé avec un casque. Faut-il des statistiques pour en attester?
Face à cette évidence, pourquoi alors le lobby des vélos s’oppose-t-il au port du casque obligatoire pour les vélos électriques dits lents (moins de 25 km/h) – les e-bikes rapides, équipés d’une plaque jaune, sont déjà soumis à cet impératif – tel que le propose le Conseil fédéral?
Il y a un premier argument, civique, qui met aux prises les prérogatives de l’Etat avec la liberté individuelle. A l’âge adulte, chacun devrait pouvoir décider de son sort. A vélo, à trottinette, à skis. Mais ne disait-on pas la même chose de la ceinture de sécurité, obligatoire depuis 1980? Elle a pourtant sauvé de nombreuses vies, et on ne trouve plus personne pour défendre la liberté de choix à son propos. Ces dernières années, le nombre d’accidents graves à vélo électrique a été multiplié par cinq. C’est à mettre en lien avec l’explosion des ventes, mais il est de la responsabilité d’un Etat d’adapter son appareil législatif à l’évolution des pratiques.
Pro Velo avance encore un argument, écologique et sanitaire cette fois, qu’il est urgent d’entendre: là où le port du casque a été rendu obligatoire, en Australie par exemple (dès les années 1990), la pratique du vélo a diminué drastiquement et le nombre d’accidents a, lui, augmenté sur le long terme, ce qui valide la thèse selon laquelle plus les cyclistes sont nombreux, plus ils sont en sécurité – essentiellement parce que les automobilistes s’habituent à cette cohabitation. Cela se confirme en Suède et aux Pays-Bas, deux nations du vélo.
Ce n’est pas suffisant pour s’opposer au port du casque avec l’exaltation – et parfois l’hostilité – de certains absolutistes du deux-roues, qui devraient plutôt y voir un petit pas vers plus de sécurité, un instrument de dialogue avec les autorités. Mais c’est à prendre en compte très sérieusement dans les politiques publiques.
Le port obligatoire du casque serait inutile s’il servait d’ersatz à des infrastructures cyclables dignes de ce nom et à une politique volontariste en faveur de la pratique du vélo en toute sécurité: on n’a pour l’heure pas trouvé mieux comme outil de mobilité douce et de promotion de la santé.
Ces dernières années, le nombre d’accidents graves à vélo électrique a été multiplié par cinq
Après le masque, le casque. La première lettre change mais pas l’ampleur du débat suscité. Car comme son cousin, le casque a ses détracteurs. La proposition du Conseil fédéral de le rendre obligatoire pour les utilisateurs de vélo électrique limités à 25 km/h crée la polémique. La réponse de Pro Velo, qui s’y oppose fermement, encore plus. L’association défend les intérêts des cyclistes, ne devrait-elle pas promouvoir également leur sécurité?
Question de liberté
Lorsqu’on discute avec les membres de Pro Velo, le préambule est toujours le même: «Je ne suis pas contre le casque. Moi-même, j’en porte un.» Son président, Matthias Aebischer, rappelle que la faîtière a toujours encouragé les cyclistes à porter un casque, notamment par le biais de campagnes de sensibilisation. Ce qui fâche, c’est l’obligation. Et les conséquences qu’elle pourrait avoir. «Nous souhaitons augmenter le nombre de personnes qui circulent à vélo. Or, des études montrent que dans les pays qui ont imposé le port du casque la proportion de cyclistes a baissé.» En Australie, par exemple, l’utilisation du vélo a drastiquement diminué après l’obligation de porter un casque dans les années 1990.
Chez Pro Velo, c’est donc plutôt les pays du Nord qui inspirent. Les PaysBas notamment, qui appliquent la stratégie de safety in numbers. Entendez par là que plus les cyclistes sont nombreux sur les routes, moins il y a d’accidents. Cette théorie veut qu’en habituant les autres usagers de la route à la présence des vélos, la cohabitation est meilleure. Matthias Aebischer, également conseiller national (PS/BE), regrette donc que cette mesure, jugée contraignante, tombe alors que la petite reine est en plein essor en Suisse.
Améliorer les infrastructures
Au Bureau de prévention des accidents (BPA), on soutient la proposition du Conseil fédéral. «Selon nous, c’est une mesure simple qui permettrait de réduire jusqu’à 50% des blessures à la tête», rapporte Mara Zenhäusern, porte-parole. Une «mesure simple» qui, selon Pro Velo, a pourtant de quoi rebuter les cyclistes. «La majeure partie des personnes qui roulent à vélo électrique portent déjà un casque, note Delphine Klopfenstein Broggini. Il ne faudrait pas, en devenant obligatoire, qu’il dissuade celles et ceux qui hésitent à s’y mettre.»
Pour la conseillère nationale verte, candidate au poste de vice-présidente de Pro Velo Suisse, les autorités devraient plutôt régler le problème à la source. «Lorsqu’on est cycliste, on est vulnérable, c’est sûr, et le casque protège. Mais le problème est surtout dû aux infrastructures, qui sont encore trop peu adaptées.» Pistes cyclables plus larges et plus répandues, vitesse des voitures réduite, meilleur éclairage des rues… les idées ne manquent pas. Sur ce point, le BPA rejoint Pro Velo, comme l’explique Mara Zenhäusern: «Les infrastructures pour les vélos ont peu évolué, alors qu’il y a toujours plus de véhicules sur les routes. Les pistes cyclables devraient notamment être suffisamment larges pour permettre par exemple aux vélos électriques de dépasser sans danger les autres vélos.» «En portant le débat sur le casque, on casse le débat central qui concerne le danger de la circulation automobile et le manque d’aménagements cyclables», conclut Delphine Klopfenstein Broggini.
Onze décès en 2019
Reste que les chiffres sont là. Toujours plus de vélos électriques sur nos routes et toujours plus d’accidents. En 2019, les e-bikes étaient responsables de 11 décès et de 355 blessés graves, selon le BPA. «Il faut savoir que les vélos électriques sont plus rapides que les vélos traditionnels et que donc, en toute logique, le cycliste a moins de temps pour réagir en cas de danger. Cette vitesse crée des blessures plus graves», analyse Mara Zenhäusern.
Et le coeur du débat se trouve peut-être ici. Car si tout le monde s’accorde à dire que l’obligation de porter un casque au guidon d’un vélo électrique rapide (allant jusqu’à 45 km/h) est justifiée, ce sont les véhicules plus lents qui sèment la discorde. Pour Matthias Aebischer et Delphine Klopfenstein Broggini, le vélo électrique lent doit être traité de la même manière que le vélo classique. «Cette mesure, c’est la porte ouverte à l’obligation du casque pour tous les vélos. Et nous ne voulons surtout pas ça», s’inquiète la conseillère nationale.
Roger Deneys ne veut pas ça non plus. Mais pour les vélos électriques, oui. Pourtant membre du comité de Pro Velo Genève, il considère la mesure comme efficace et raisonnable. «Je fais du vélo tous les jours et, même si je ne suis pas le plus rapide des cyclistes, je peux vous assurer que les vélos électriques, même limités à 25 km/h, roulent plus rapidement. A cette vitesse, un choc à la tête sera bien plus grave.» S’il rejoint ses camarades sur le souhait de meilleures infrastructures, le socialiste genevois rappelle toutefois que celles-ci n’entraîneront ni la réduction de la vitesse des vélos électriques, ni la violence du choc en cas de chute.
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