Des milliards pour des avions de combat, est-ce bien raisonnable en ces temps de crise?
L’année 2020 devrait creuser un trou de 20 milliards dans la caisse fédérale. Est-il raisonnable, dans ce contexte, de dépenser 6 milliards pour des avions militaires et de se priver de 300 millions de recettes fiscales? Les points de vue divergent
Dans un contexte de crise économique, est-il raisonnable de voter des projets qui coûteront des milliards à la Confédération ou la priveront de centaines de millions de recettes fiscales? Cette question est collatérale au scrutin fédéral du 27 septembre. Dans le viseur: l’acquisition de nouveaux avions de combat et la déduction des frais de garde des enfants.
Parlons chiffres. L’enveloppe prévue pour l’achat de jets militaires est plafonnée à 6 milliards de francs. Elle ne peut pas être augmentée. Mais elle peut être indexée à l’évolution des prix. L’achat sera financé par le budget annuel ordinaire de l’armée, qui sera relevé de 1,4% par an en moyenne. Il passera progressivement de 5 à 6 milliards. «Ce milliard manquera ailleurs», s’offusque le conseiller national Fabien Fivaz (Verts/NE), membre de la Commission de politique de sécurité (CPS).
Le parlement a par ailleurs décidé d’augmenter les déductions fiscales pour les enfants et pour les frais de garde. Sur le plan fédéral, les premières passeront de 6500 à 10000 francs et les secondes de 10100 à 25000 francs. L’Administration fédérale des contributions a estimé les pertes de recettes à environ 380 millions, dont 80 pour les cantons. Avec la crise du coronavirus, elle a revu ses calculs à la baisse. Elle les chiffre désormais entre 280 et 330 millions. Un référendum a été lancé.
Plus de 31 milliards contre la crise
Un milliard de plus par an pour la défense aérienne, un quart de milliard de rentrées fiscales en moins: la Confédération peut-elle se le permettre dans le contexte actuel? Les Suisses vont-ils se montrer prudents au moment de glisser leur bulletin dans l’urne le 27 septembre?
Les dépenses de la Confédération pour combattre les effets de la crise du coronavirus s’élèvent à 31,25 milliards. Mais, comme l’a annoncé le Département des finances (DFF), cette somme ne sera pas dépensée en totalité. Le DFF considère qu’un peu plus de la moitié, soit 17,8 milliards, grèvera le budget en cours, qui devrait se solder par un déficit de 20,9 milliards. La règle du frein à l’endettement permet de répartir le découvert provoqué par la crise sur plusieurs exercices budgétaires. Le Conseil fédéral prendra une décision à ce sujet en fin d’année.
Ces 31,25 milliards n’incluent pas les cautionnements fédéraux. Ceux-ci couvrent les besoins du secteur de l’aviation et les crédits de transition accordés par les banques aux entreprises en difficulté. Ils pèseront moins lourd qu’on ne l’a craint sur le budget. Le montant maximal de 41,375 milliards avalisé par le parlement pour ces aides ne sera pas atteint. Au 31 juillet, date limite pour déposer une demande de prêt-relais, 135000 requêtes, représentant 16,65 milliards, ont été enregistrées. Et les prêts sont en principe remboursables.
La réalité n’en est pas moins critique: l’année en cours et les suivantes seront négatives pour le ménage fédéral. Les adversaires de l’achat des avions de combat et des déductions fiscales en font un argument de campagne. «Chaque franc ne peut être utilisé qu’une fois. Les milliards prévus pour des jets de luxe manqueront dans d’autres domaines tels que la formation, le social, la protection du climat. Comme la crise sanitaire va creuser un trou profond dans les dépenses de l’Etat, je doute que les priorités pour l’utilisation des ressources soient fixées au bon endroit», analyse Priska Seiler-Graf (PS/ZH), membre du comité référendaire.
«Il faut investir l’argent là où il faut: contre les cybermenaces, contre le terrorisme, contre les risques climatiques, contre les risques pandémiques, pour un système de défense contre avions très performant. Sans oublier que notre pays va être confronté à des problèmes économiques et sociaux majeurs en rapport avec la crise du Covid-19», ajoute son collègue de parti Pierre-Alain Fridez (JU).
Il n’y a toutefois pas de vase communicant d’une dépense à l’autre. La conseillère fédérale Viola Amherd l’a affirmé dans ces colonnes: «Les moyens seront tirés du budget ordinaire de l’armée sans être pris à d’autres domaines comme la santé ou la formation.» Un non aux avions de combat le 27 septembre augmenterait-il vraiment les moyens à disposition dans d’autres domaines? «Ce qui est sûr, c’est que si on fait cette dépense, on ne pourra pas utiliser l’argent autrement. Et si on ne la fait pas, on réduit la pression sur les économies», répond le Jurassien. Le sondage réalisé par l’institut gfs.bern pour la SSR montre qu’environ la moitié des personnes prêtes à glisser un non dans l’urne demandent que l’argent soit «affecté à d’autres fins».
Les adversaires des nouvelles déductions fiscales pour les frais de garde tiennent un discours similaire. Membre d’un comité libéral opposé à ces allègements fiscaux, Christa Markwalder (PLR/ BE) estime qu’il n’est «pas supportable pour les finances fédérales, surtout dans le contexte de la crise du coronavirus et de ses lourdes conséquences pour le budget de la Confédération» de renoncer à 300 millions de recettes.
Elle a déposé une interpellation qui demande de renoncer à l’augmentation générale de la déduction pour enfants. Sa collègue de parti Johanna Gapany (PLR/FR), qui soutient cet allègement fiscal, réplique que la baisse de recettes sera plus que compensée, car la mesure permettra aux familles, aux femmes en particulier, de travailler davantage. «Les revenus imposables vont grimper», pronostique-t-elle. Le peuple suisse dira le 27 septembre quelle approche il privilégie. ■
«Chaque franc ne peut être utilisé qu’une fois»
PRISKA SEILER-GRAF (PS/ZH)