Cette indécise deuxième vague
En Suisse, les contaminations au covid sont en augmentation depuis plusieurs semaines. Les chiffres quotidiens sont au niveau de ceux du printemps
La courbe des hospitalisations ne suit pourtant pas la même tendance. Les médecins font une hypothèse qui expliquerait ce paradoxe
Les nouvelles contaminations touchent en majorité les jeunes, plus asymptomatiques que leurs aînés et qui n’ont souvent pas besoin d’être hospitalisés
Le nombre de tests pratiqués est le même qu’en mars. Mais le taux de tests positifs est de 5%, en augmentation constante depuis le début du mois d’août
Les contaminations augmentent, mais les hospitalisations restent faibles. Face à ce paradoxe, la population commence à douter de la survenue d’une deuxième vague. Les spécialistes décryptent les statistiques et insistent sur l’importance des gestes barrières
Cette fin d'été est pleine de contradictions. D'un côté, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) explique formellement que les contaminations au covid sont en augmentation en Suisse, et qu'il faut redoubler de prudence. De l'autre, les piscines et les parcs sont remplis de personnes qui s'embrassent, lassés d'une menace qu'ils considèrent comme caduque, tant le compteur des décès reste proche de zéro depuis des semaines. Dans ce contexte, les récentes erreurs statistiques de l'OFSP – qui a annoncé la mort d'un enfant et celle d'un trentenaire par erreur, notamment – laissent planer l'idée que les institutions veulent nous faire peur. Entre les déclarations alarmistes des experts et le relâchement général, qui a raison?
1•OÙ EN SONT VRAIMENT LES CONTAMINATIONS?
Jeudi 20 août à 8h, 266 nouveaux cas de covid étaient enregistrés en Suisse et au Liechtenstein, selon le décompte de l'OFSP. La veille, le chiffre était monté à plus de 300. Ces statistiques sont débattues et parfois corrigées à la baisse par l'administration fédérale. Mais cela ne change rien à la tendance, qui est clairement à la hausse. Si l'on prend en compte un chiffre entre 250 et 300 cas, le constat est sans appel: les contaminations sont équivalentes à celles de la mi-mars, quand le coronavirus est arrivé en Europe. Le 10 mars, 210 nouveaux cas étaient en effet annoncés et ont peu à peu suivi une augmentation régulière, jusqu'au pic du 23 mars, avec 1456 nouveaux malades testés. «Le virus circule autant qu'au début du printemps», insiste Alessandro Diana, enseignant à la Faculté de médecine (Unige) et expert à Infovac, plateforme d'information sur les vaccinations en Suisse.
2•EST-IL VRAI QUE LES HOSPITALISATIONS ET LES DÉCÈS SONT PEU NOMBREUX?
A l'échelle nationale en effet, la courbe est plate depuis la fin du mois d'avril. Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), sept patients étaient hospitalisés pour un covid au 19 août, dont cinq en soins intensifs. L'hôpital compte deux décès du covid depuis le 1er juillet – des personnes de plus de 80 ans. Pour Laurence Senn, responsable de l'Unité d'hygiène, prévention et contrôle de l'infection au CHUV, «la situation reste stable».
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) recensent, eux, 15 patients hospitalisés pour un covid, dont un seul en soins intensifs. «Mais ces hospitalisations ont été multipliées par quatre depuis quelques semaines», indique Laurent Paoliello, porte-parole du Département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (DSES), qui communique sur la situation épidémiologique dans le canton.
3•FAIT-ON VRAIMENT PLUS DE TESTS QU’AVANT?
Nombreux sont ceux qui pensent que l'augmentation des contaminations serait mathématiquement due à celle des tests PCR effectués. En regardant attentivement les statistiques, on se rend compte que c'est globalement faux. Du lundi au vendredi, entre 5000 et 9000 tests sont réalisés par jour. C'est peu ou prou le même nombre qu'au mois de mars, au pic de l'épidémie, et certes un peu plus élevé qu'en avril. En moyenne, 5% d'entre eux sont positifs, une proportion qui augmente depuis début août.
4•SI LE VIRUS CIRCULE, COMMENT EXPLIQUE-T-ON QUE LES HOSPITALISATIONS SOIENT BASSES?
Même si elle n'est pas encore prouvée, les spécialistes ont une hypothèse: à ce stade, les nouvelles contaminations touchent en majorité les personnes jeunes, plus asymptomatiques que leurs aînés, qui ne nécessitent donc pas une hospitalisation. Sur le site de l'OFSP, la courbe de contamination des plus de 50 ans s'est presque stabilisée depuis le début du mois de mai. Pour les moins de 50 ans, c'est l'inverse: elle augmente plus rapidement que la moyenne depuis la fin du mois de juin, pour les personnes entre 10 et 39 ans. Selon Yann Hulmann, porte-parole de l'OFSP, «l'âge moyen des personnes testées positives a effectivement fortement baissé. Cela provient du fait, notamment, que les personnes vulnérables sont aujourd'hui mieux protégées que lors de la première vague, mais c'est aussi lié aux changements dans les critères de tests, qui ont été considérablement élargis. Aujourd'hui, les tests sont recommandés à toutes les personnes présentant des symptômes, même légers».
5•NOUS AVONS LU RÉCEMMENT
QUE LA «SURMORTALITÉ», AU PREMIER SEMESTRE 2020 EN SUISSE, EST INFÉRIEURE À CELLE DE 2019. COMMENT CELA EST-IL POSSIBLE MALGRÉ LES DÉCÈS LIÉS AU COVID?
Le sujet est toujours en débat. Pour Laurence Senn, du CHUV, «une épidémie de grippe saisonnière peu sévère et l'absence de canicule en juin et juillet» pourraient expliquer cette différence. A l'OFSP, le porte-parole estime tout simplement que «comparer l'année 2020 et les mesures covid avec l'année 2019 sans mesure covid n'a pas de sens et encore moins de valeur scientifique».
6•LES MESURES DE QUARANTAINE SONT-ELLES EFFICACES?
La stratégie de l'Etat est claire: tester un maximum pour identifier les fameux «clusters», et mettre les personnes susceptibles d'être contaminées en quarantaine pour éviter la contagion. Actuellement, c'est le cas pour 6532 individus en Suisse. La mesure est aussi activement pratiquée à Genève, un canton plus vulnérable du fait de sa proximité avec la frontière. «Un quart des citoyens mis en quarantaine sont finalement positifs au covid et mis en isolement, précise Laurent Paoliello. C'est un outil très efficace.»
7•MALGRÉ CELA, POURQUOI AVONSNOUS L’IMPRESSION QUE LE VIRUS N’EST PLUS DANGEREUX?
D'abord, la multiplication des données empêche d'avoir une vision claire de la situation. Ensuite, il existe en psychologie un biais de surconfiance, décrit comme l'effet Dunning-Kruger, chez les personnes qui n'ont pas été victimes du covid. Ceux qui y ont échappé se disent qu'ils ne seront pas touchés. En plus, ajoute Alessandro Diana, «sur les êtres humains, l'impact d'un événement non advenu est toujours moindre». Concrètement, le nombre de vies sauvées est moins marquant que celui des décès.
8•FAUT-IL S’ATTENDRE À UN RECONFINEMENT?
Difficile de répondre. En tout cas, les spécialistes prévoient logiquement une augmentation des hospitalisations dans les semaines à venir. Le seul moyen d'échapper à des mesures radicales, c'est de rester sérieux sur les gestes barrières: distance de sécurité, lavage des mains et masque. Même lors des réunions familiales ou amicales, qui restent la première source de contamination en Suisse.
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«Le virus circule autant qu’au début du printemps» ALESSANDRO DIANA, ENSEIGNANT
À LA FACULTÉ DE MÉDECINE (UNIGE) ET EXPERT À INFOVAC