Le casse-tête d’une voix alémanique aux CFF
La nouvelle voix choisie pour annoncer les trains en Suisse alémanique échauffe les esprits. Bien au-delà de l’anecdote, la polémique révèle de profonds enjeux identitaires
«On était conscient que le choix d’une nouvelle voix aurait un impact hautement émotionnel en Suisse alémanique», confie Roman Zimmerer. Affichant trente ans d’expérience aux CFF, ce spécialiste de l’information dispensée aux voyageurs a accepté une délicate mission: renouveler la technologie derrière les voix qui assurent les annonces en gare et dans les trains. En français, la différence est à peine perceptible, la voix qui accompagne les usagers romands depuis près de vingt ans poursuit l’aventure ferroviaire de façon numérique. En suisse alémanique par contre, la mélodie est nouvelle, l’accent également. Les réactions n’ont pas manqué. Dès les premiers tests menés depuis quelques mois dans près de 100 gares en Suisse, les commentaires ont fusé sur les réseaux sociaux. «L’accent suisse donne la nausée», se lamente un internaute alors qu’un autre loue «l’excellente prononciation des voyelles, le très bon r et le magnifique t à la fin des mots!»
Un jury de neuf personnes
Sachant qu’ils s’aventuraient en terrain délicat, les CFF ont confié à un jury de neuf personnes le soin de déterminer la voix qui deviendrait le nouveau «logo sonore» des chemins de fer fédéraux outre-Sarine. «Nous sommes une entreprise de transports helvétique. Il nous a paru impératif de sélectionner quelqu’un de langue maternelle suisse alémanique», explique Gerhard Flückiger, responsable de l’identité d’entreprise des CFF. Le problème est que les annonces sont prononcées dans un allemand standard teinté de… zurichois. Or, dans les régions les plus susceptibles, cette prononciation des horaires au parfum de Bahnhofstrasse a été vécue comme un véritable affront.
«Mais pourquoi diable une voix de synthèse zurichoise dans les gares de Suisse orientale?» se désole le journaliste Roger Berhalter dans la St. Galler Tagblatt. Au moment de présenter cette nouvelle technologie à la presse, Gerhard Flückiger défend le caractère «sympathique» de la voix alémanique et souligne qu’«il serait impensable de toucher à son accent, au risque d’en faire une voix de synthèse qui perdrait tout charme humain». Tant pis donc s’il faut froisser certaines sensibilités régionales. L’essentiel pour les CFF consiste à «garantir un système d’annonces clair, qui puisse être compris par tous les usagers».
Les CFF et les BLS avaient annoncé en 2018 déjà vouloir moderniser leur système de diffusion d’annonces dans les gares et dans les trains, devenu obsolète. Basé sur une technologie dite de text-to-speech, le nouveau programme permet de produire des annonces qui gagneront en souplesse et en intelligibilité. Au total, 6000 phrases par langue (allemand, français, italien et anglais) ont été enregistrées et numérisées pour alimenter une base de données linguistique qui permettra de couvrir près de 99% des besoins, selon Roman Zimmerer.
Dès les premiers tests menés depuis quelques mois dans près de 100 gares, les commentaires ont fusé sur les réseaux sociaux
Alors que cette nouvelle technologie sera implémentée entre septembre et octobre dans toutes les gares de Suisse, le débat qui secoue la Suisse alémanique n’est pas sans rappeler la subtile nuance qui ponctue le réseau du Léman Express. Alors que, dans les gares et les rames transfrontalières françaises, les annonces sont assurées par la voix de la SNCF, dans les gares et dans les convois suisses, c’est la voix romande de «Madame CFF» qui accompagne les usagers du rail.
Pour le directeur de la société Lémanis, Mario Werren, il s’agit moins d’une question de sensibilités régionales que d’une raison purement factuelle puisque chaque pays programme son propre matériel roulant. Pour lui, le défi était plutôt de «composer avec deux styles d’annonces différents et s’efforcer de garantir, à quelques détails près, un même niveau d’informations, que l’usager se trouve dans une rame suisse ou un convoi français». ■