Le nationalisme du vaccin risque de saper la lutte contre le Covid-19
Le directeur général de l’OMS tire la sonnette d’alarme, critiquant implicitement l’Union européenne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, voire la Suisse. Il juge contre-productif de réserver des doses à ses seuls citoyens. L’effort doit être collectif. Berne est d’accord et agit au niveau tant bilatéral que multilatéral
Lundi, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé a tiré la sonnette d’alarme face à l’émergence d’un nationalisme des vaccins. A l’heure où la planète recense plus de 22 millions de personnes infectées par le Covid-19 et plus de 788000 morts dus au coronavirus, Tedros Adhanom Ghebreyesus le répète sans cesse: «Partager de façon stratégique et globale des stocks limités est dans l’intérêt national de tout pays.»
Or plusieurs pays développés cherchent à se réserver des doses de vaccin afin de venir en priorité en aide à leurs propres populations. Implicitement dans le collimateur du docteur Tedros: l’Union européenne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, voire la Suisse. Le 14 août dernier, l’UE a décidé d’acheter au moins 300 millions de doses du vaccin en train d’être développé par le groupe pharmaceutique AstraZeneca. Cette décision, élaborée par un groupe de pays, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas réunis dans l’Inclusive Vaccines Alliance (IVA), risque de réduire le nombre de doses disponibles à l’échelle globale. L’UE est aussi en discussion avec d’autres laboratoires dont Johnson & Johnson, Sanofi, voire Pfizer et Moderna. Selon des responsables de l’UE cités par Reuters, Covax serait trop lent et trop cher. Un argument que Gavi, l’Alliance du vaccin à Genève, rejette. Au vu de l’offre relativement importante, le prix de la dose pourrait au contraire baisser de façon importante.
Dans la ligne de mire
La Confédération a également conclu un accord avec la société américaine Moderna pour acheter 4,5 millions de doses de son futur vaccin. Elle est donc aussi dans la ligne de mire du patron de l’OMS. L’agence onusienne l’explique pourtant au Temps: «En tant que crise globale, la pandémie de Covid-19 doit être combattue par des solutions globales et collectives. Personne n’est en sécurité sanitaire tant que tout le monde ne l’est pas. Les meilleures stratégies sont donc celles qui visent à assurer une couverture équitable dans tous les pays. C’est pourquoi l’OMS participe aux mécanismes Act-Accelerator et Covax.» Au sujet de la Suisse, l’OMS tempère sa critique: «Il est compréhensible que des Etats cherchent à protéger leurs propres citoyens en premier. Mais aucun pays ne peut livrer un tel combat seul.»
Les cas de la Suisse et de l’UE ne sont pas identiques. Nora Kronig, responsable de la division Affaires internationales et vice-directrice de l’Office fédéral de la santé publique explique: «La Suisse poursuit une stratégie multipiste. Nous suivons de près ce qui est fait en termes de recherche en Suisse, nous avons des contacts bilatéraux avec des entreprises, nous sommes en contact avec nos voisins, les Etats de l’UE et la Commission européenne et avons une approche multilatérale dans le cadre de la structure Covax Global Vaccines Facility.»
Berne est très impliqué dans les discussions sur la future architecture de la structure Covax qui comprend aussi bien l’OMS et Gavi, l’Alliance du vaccin que la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI). Covax a pour ambition de produire et de distribuer 2 milliards de doses de vaccins sûrs, efficaces et homologués d’ici à la fin de 2021. Elle suit de près neuf vaccins potentiels. Aucun autre organisme n’aurait accès à autant de vaccins. Covax entend inciter à développer rapidement les infrastructures de production nécessaires et à conclure des accords de pré-achats avec plusieurs développeurs de vaccins, même si plusieurs d’entre eux ne vont pas aboutir.
Porte-parole de Gavi, Frédérique Tissandier le souligne: «Covax a vraiment du sens car c’est par un tel effort collectif qu’on limite les risques» liés aux vaccins dont près de 150 sont en cours de développement. «La Suisse, ajoute-t-elle, a effectivement montré son intérêt pour Covax ainsi que quelque 80 pays développés et plus de 90 pays à faible revenu. Le patron de l’OMS exhorte d’ailleurs les pays les plus riches à adhérer à Covax d’ici au 31 août.» «Mais, poursuit Frédérique Tissandier, faisant référence notamment à la Confédération, il n’y a pas de contradiction entre conclure des accords bilatéraux avec des laboratoires et participer à l’effort multilatéral à travers Covax.» Nora Kronig abonde dans le même sens: «La Suisse n’entend pas ne rien faire et profiter des efforts des autres. Ce serait un non-sens que la Suisse se soucie de ne vacciner que ses citoyens alors qu’autour de nous nos voisins ou le monde ne pourraient le faire. C’est une problématique globale.»
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«Personne n’est en sécurité sanitaire tant que tout le monde ne l’est pas»
TEDROS ADHANOM GHEBREYESUS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OMS