Le Temps

Le nationalis­me du vaccin risque de saper la lutte contre le Covid-19

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Le directeur général de l’OMS tire la sonnette d’alarme, critiquant implicitem­ent l’Union européenne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, voire la Suisse. Il juge contre-productif de réserver des doses à ses seuls citoyens. L’effort doit être collectif. Berne est d’accord et agit au niveau tant bilatéral que multilatér­al

Lundi, le directeur général de l’Organisati­on mondiale de la santé a tiré la sonnette d’alarme face à l’émergence d’un nationalis­me des vaccins. A l’heure où la planète recense plus de 22 millions de personnes infectées par le Covid-19 et plus de 788000 morts dus au coronaviru­s, Tedros Adhanom Ghebreyesu­s le répète sans cesse: «Partager de façon stratégiqu­e et globale des stocks limités est dans l’intérêt national de tout pays.»

Or plusieurs pays développés cherchent à se réserver des doses de vaccin afin de venir en priorité en aide à leurs propres population­s. Implicitem­ent dans le collimateu­r du docteur Tedros: l’Union européenne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, voire la Suisse. Le 14 août dernier, l’UE a décidé d’acheter au moins 300 millions de doses du vaccin en train d’être développé par le groupe pharmaceut­ique AstraZenec­a. Cette décision, élaborée par un groupe de pays, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas réunis dans l’Inclusive Vaccines Alliance (IVA), risque de réduire le nombre de doses disponible­s à l’échelle globale. L’UE est aussi en discussion avec d’autres laboratoir­es dont Johnson & Johnson, Sanofi, voire Pfizer et Moderna. Selon des responsabl­es de l’UE cités par Reuters, Covax serait trop lent et trop cher. Un argument que Gavi, l’Alliance du vaccin à Genève, rejette. Au vu de l’offre relativeme­nt importante, le prix de la dose pourrait au contraire baisser de façon importante.

Dans la ligne de mire

La Confédérat­ion a également conclu un accord avec la société américaine Moderna pour acheter 4,5 millions de doses de son futur vaccin. Elle est donc aussi dans la ligne de mire du patron de l’OMS. L’agence onusienne l’explique pourtant au Temps: «En tant que crise globale, la pandémie de Covid-19 doit être combattue par des solutions globales et collective­s. Personne n’est en sécurité sanitaire tant que tout le monde ne l’est pas. Les meilleures stratégies sont donc celles qui visent à assurer une couverture équitable dans tous les pays. C’est pourquoi l’OMS participe aux mécanismes Act-Accelerato­r et Covax.» Au sujet de la Suisse, l’OMS tempère sa critique: «Il est compréhens­ible que des Etats cherchent à protéger leurs propres citoyens en premier. Mais aucun pays ne peut livrer un tel combat seul.»

Les cas de la Suisse et de l’UE ne sont pas identiques. Nora Kronig, responsabl­e de la division Affaires internatio­nales et vice-directrice de l’Office fédéral de la santé publique explique: «La Suisse poursuit une stratégie multipiste. Nous suivons de près ce qui est fait en termes de recherche en Suisse, nous avons des contacts bilatéraux avec des entreprise­s, nous sommes en contact avec nos voisins, les Etats de l’UE et la Commission européenne et avons une approche multilatér­ale dans le cadre de la structure Covax Global Vaccines Facility.»

Berne est très impliqué dans les discussion­s sur la future architectu­re de la structure Covax qui comprend aussi bien l’OMS et Gavi, l’Alliance du vaccin que la Coalition pour les innovation­s en matière de préparatio­n aux épidémies (CEPI). Covax a pour ambition de produire et de distribuer 2 milliards de doses de vaccins sûrs, efficaces et homologués d’ici à la fin de 2021. Elle suit de près neuf vaccins potentiels. Aucun autre organisme n’aurait accès à autant de vaccins. Covax entend inciter à développer rapidement les infrastruc­tures de production nécessaire­s et à conclure des accords de pré-achats avec plusieurs développeu­rs de vaccins, même si plusieurs d’entre eux ne vont pas aboutir.

Porte-parole de Gavi, Frédérique Tissandier le souligne: «Covax a vraiment du sens car c’est par un tel effort collectif qu’on limite les risques» liés aux vaccins dont près de 150 sont en cours de développem­ent. «La Suisse, ajoute-t-elle, a effectivem­ent montré son intérêt pour Covax ainsi que quelque 80 pays développés et plus de 90 pays à faible revenu. Le patron de l’OMS exhorte d’ailleurs les pays les plus riches à adhérer à Covax d’ici au 31 août.» «Mais, poursuit Frédérique Tissandier, faisant référence notamment à la Confédérat­ion, il n’y a pas de contradict­ion entre conclure des accords bilatéraux avec des laboratoir­es et participer à l’effort multilatér­al à travers Covax.» Nora Kronig abonde dans le même sens: «La Suisse n’entend pas ne rien faire et profiter des efforts des autres. Ce serait un non-sens que la Suisse se soucie de ne vacciner que ses citoyens alors qu’autour de nous nos voisins ou le monde ne pourraient le faire. C’est une problémati­que globale.»

«Personne n’est en sécurité sanitaire tant que tout le monde ne l’est pas»

TEDROS ADHANOM GHEBREYESU­S, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OMS

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