«La spiritualité à distance a ses limites»
Ne pouvant accueillir les fidèles qui ont besoin d’elle en cette période de pandémie, l’Eglise traverse également une épreuve. Le point avec l’évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg
Dans cette période de pandémie, où l’on est contraint de s’éloigner de ses congénères, beaucoup se rapprochent de Dieu. Comment l’expliquez-vous? Par un besoin d’espérance. Jusqu’ici, la société suisse roulait toute seule. Chacun y est assuré pour tout. Aussi longtemps que nous étions en bonne santé, nous pensions que tout irait bien. Puis soudain, notre vie vacille. Notre santé et celle de nos proches sont menacées. Apparaissent des incertitudes professionnelles et économiques. Surtout, cette crise s’ajoute à une autre, celle du réchauffement climatique. On se rend compte que les lendemains que l’on croyait assurés ne le sont pas autant que nous le pensions.
Et quelle a été la réponse de l’Eglise à ce besoin d’espérance? La difficulté de cette crise, c’est que les gens souhaitent venir nous voir, mais que nous ne pouvons pas les recevoir, à cause de la distanciation sociale et des limitations de rassemblement. C’est dur de devoir refuser l’entrée d’une église à quelqu’un. Cette pandémie est une véritable épreuve. Des mariages ont été repoussés. Les visites des aumôniers ont été restreintes dans des EMS. Il y a eu des cas de personnes confinées qui n’ont pas pu assister à l’enterrement de leur conjoint, ce sont des situations inhumaines.
Quelles solutions avez-vous pu proposer? Les outils numériques ont été d’une grande aide, même si ce n’est évidemment pas l’idéal. J’ai par exemple célébré un baptême filmé par deux téléphones portables par des participants et suivi à distance par les grands-parents. Certaines cérémonies privées sont retransmises en direct sur des réseaux sociaux. Ce printemps, l’évêché diffusait une messe chaque jour. Beaucoup de monde m’en a parlé; j’ai été surpris de leur impact. Il y a aussi l’inventivité des croyants. Lors de la semaine sainte, une femme m’a dit avoir organisé un chemin de croix dans son jardin et a proposé à ses voisins d’y assister depuis leurs fenêtres. Dans la religion, comme dans d’autres domaines, face à une crise, de nouvelles solutions apparaissent. Des idées surgissent. C’est un signe d’espérance.
Ces alternatives numériques vont-elles être conservées après la crise? Oui et non. Avant la crise, il y avait déjà des messes retransmises à la télévision, regardées en particulier par des personnes âgées, qui ont des difficultés de mobilité ou placées en EMS. D’autre part, il y a un réel besoin de rencontre, un désir de prier ensemble. Durant le semi-confinement, nous avons reçu de nombreux messages de fidèles qui souhaitaient recevoir le sacrement et pouvoir communier, ce qui par définition ne se fait pas seul, à l’église. La spiritualité à distance a ses limites.
Avez-vous constaté une augmentation des dons, de la charité chrétienne? J’ai remarqué une claire augmentation des dons, qui reste néanmoins très variable selon les endroits. J’ai surtout été frappé par l’étendue des besoins, de toutes ces personnes qui, en Suisse, ont des difficultés à trouver à manger. Nous avons organisé des collectes, mais il nous a souvent semblé plus opportun de travailler avec des associations qui peuvent coordonner et répartir l’aide. La collaboration de l’Eglise avec d’autres acteurs est souvent très positive.
La période des Fêtes approche. Comment vous projetez-vous? Nous avons déjà vécu Pâques en semi-confinement, mais il est vrai que de ne pas pouvoir célébrer la messe de Noël serait douloureux. Je pense surtout aux familles. Si les réunions devaient être limitées, ce serait particulièrement dur, surtout dans cette période hivernale de grande fragilité. Avec cette pandémie, ce sont toutes les fêtes qui rythment la vie de la société qui sont bouleversées. Je pense par exemple à la Saint-Nicolas, une fête joyeuse que les enfants fribourgeois, émerveillés, attendent toute l’année.
Ce regain de foi peut-il être durable? Ou sera-t-il au contraire passager? Durant le confinement de ce printemps, on espérait que certaines habitudes perdureraient, comme l’approvisionnement de proximité, par exemple. Cela n’a été que peu le cas. Concernant la religion, c’est assez similaire. Des gens s’éveillent à la foi durant une expérience marquante et y restent. D’autres connaissent un moment religieux à cause de cet événement ponctuel et ensuite l’oublient. C’est probablement ce qui va arriver. Face à l’incertitude – personne ne sait quand cette crise va se terminer –, on a besoin de s’accrocher à quelque chose. Cela ne veut pas dire qu’après on s’en décroche complètement. On y pense juste moins.
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CHARLES MOREROD ÉVÊQUE DU DIOCÈSE DE LAUSANNE, GENÈVE ET FRIBOURG
«Cette pandémie est une véritable épreuve. Il y a eu des cas de personnes confinées qui n’ont pas pu assister à l’enterrement de leur conjoint, ce sont des situations inhumaines»