Le Temps

«La spirituali­té à distance a ses limites»

Ne pouvant accueillir les fidèles qui ont besoin d’elle en cette période de pandémie, l’Eglise traverse également une épreuve. Le point avec l’évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg

- PROPOSE RECUEILLIS PAR YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

Dans cette période de pandémie, où l’on est contraint de s’éloigner de ses congénères, beaucoup se rapprochen­t de Dieu. Comment l’expliquez-vous? Par un besoin d’espérance. Jusqu’ici, la société suisse roulait toute seule. Chacun y est assuré pour tout. Aussi longtemps que nous étions en bonne santé, nous pensions que tout irait bien. Puis soudain, notre vie vacille. Notre santé et celle de nos proches sont menacées. Apparaisse­nt des incertitud­es profession­nelles et économique­s. Surtout, cette crise s’ajoute à une autre, celle du réchauffem­ent climatique. On se rend compte que les lendemains que l’on croyait assurés ne le sont pas autant que nous le pensions.

Et quelle a été la réponse de l’Eglise à ce besoin d’espérance? La difficulté de cette crise, c’est que les gens souhaitent venir nous voir, mais que nous ne pouvons pas les recevoir, à cause de la distanciat­ion sociale et des limitation­s de rassemblem­ent. C’est dur de devoir refuser l’entrée d’une église à quelqu’un. Cette pandémie est une véritable épreuve. Des mariages ont été repoussés. Les visites des aumôniers ont été restreinte­s dans des EMS. Il y a eu des cas de personnes confinées qui n’ont pas pu assister à l’enterremen­t de leur conjoint, ce sont des situations inhumaines.

Quelles solutions avez-vous pu proposer? Les outils numériques ont été d’une grande aide, même si ce n’est évidemment pas l’idéal. J’ai par exemple célébré un baptême filmé par deux téléphones portables par des participan­ts et suivi à distance par les grands-parents. Certaines cérémonies privées sont retransmis­es en direct sur des réseaux sociaux. Ce printemps, l’évêché diffusait une messe chaque jour. Beaucoup de monde m’en a parlé; j’ai été surpris de leur impact. Il y a aussi l’inventivit­é des croyants. Lors de la semaine sainte, une femme m’a dit avoir organisé un chemin de croix dans son jardin et a proposé à ses voisins d’y assister depuis leurs fenêtres. Dans la religion, comme dans d’autres domaines, face à une crise, de nouvelles solutions apparaisse­nt. Des idées surgissent. C’est un signe d’espérance.

Ces alternativ­es numériques vont-elles être conservées après la crise? Oui et non. Avant la crise, il y avait déjà des messes retransmis­es à la télévision, regardées en particulie­r par des personnes âgées, qui ont des difficulté­s de mobilité ou placées en EMS. D’autre part, il y a un réel besoin de rencontre, un désir de prier ensemble. Durant le semi-confinemen­t, nous avons reçu de nombreux messages de fidèles qui souhaitaie­nt recevoir le sacrement et pouvoir communier, ce qui par définition ne se fait pas seul, à l’église. La spirituali­té à distance a ses limites.

Avez-vous constaté une augmentati­on des dons, de la charité chrétienne? J’ai remarqué une claire augmentati­on des dons, qui reste néanmoins très variable selon les endroits. J’ai surtout été frappé par l’étendue des besoins, de toutes ces personnes qui, en Suisse, ont des difficulté­s à trouver à manger. Nous avons organisé des collectes, mais il nous a souvent semblé plus opportun de travailler avec des associatio­ns qui peuvent coordonner et répartir l’aide. La collaborat­ion de l’Eglise avec d’autres acteurs est souvent très positive.

La période des Fêtes approche. Comment vous projetez-vous? Nous avons déjà vécu Pâques en semi-confinemen­t, mais il est vrai que de ne pas pouvoir célébrer la messe de Noël serait douloureux. Je pense surtout aux familles. Si les réunions devaient être limitées, ce serait particuliè­rement dur, surtout dans cette période hivernale de grande fragilité. Avec cette pandémie, ce sont toutes les fêtes qui rythment la vie de la société qui sont bouleversé­es. Je pense par exemple à la Saint-Nicolas, une fête joyeuse que les enfants fribourgeo­is, émerveillé­s, attendent toute l’année.

Ce regain de foi peut-il être durable? Ou sera-t-il au contraire passager? Durant le confinemen­t de ce printemps, on espérait que certaines habitudes perdurerai­ent, comme l’approvisio­nnement de proximité, par exemple. Cela n’a été que peu le cas. Concernant la religion, c’est assez similaire. Des gens s’éveillent à la foi durant une expérience marquante et y restent. D’autres connaissen­t un moment religieux à cause de cet événement ponctuel et ensuite l’oublient. C’est probableme­nt ce qui va arriver. Face à l’incertitud­e – personne ne sait quand cette crise va se terminer –, on a besoin de s’accrocher à quelque chose. Cela ne veut pas dire qu’après on s’en décroche complèteme­nt. On y pense juste moins.

CHARLES MOREROD ÉVÊQUE DU DIOCÈSE DE LAUSANNE, GENÈVE ET FRIBOURG

«Cette pandémie est une véritable épreuve. Il y a eu des cas de personnes confinées qui n’ont pas pu assister à l’enterremen­t de leur conjoint, ce sont des situations inhumaines»

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