Le Temps

«LES MÉDIAS DOIVENT PARLER DU SUICIDE»

STOP SUICIDE OEUVRE À LA PRÉVENTION DU SUICIDE DES JEUNES EN SUISSE ROMANDE. DEUX REPRÉSENTA­NTS DE L’ASSOCIATIO­N ONT RÉPONDU À VOS QUESTIONS SUR CET ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

- CÉDRIC GARROFÉ @cedricgarr­ofe

Si le suicide est toujours difficile à aborder, c’est pourtant une thématique qui nous concerne tous. En Suisse, près d’un millier de personnes décident de mettre fin à leur jour chaque année. Pour autant, ces décès ne représente­nt que la pointe de l’iceberg, les tentatives de suicide touchant plus de 3 personnes sur 100 au cours de leur vie. Comment prévenir le suicide? Pour en discuter, nous avons ouvert le dialogue avec Raphaël Thélin, coordinate­ur de l’équipe de Stop Suicide et Abbas Kanani, chargé des actions de terrain ciblées sur les jeunes à risque. L’associatio­n oeuvre depuis vingt ans à la prévention du suicide des jeunes en Suisse romande. Découvrez les réponses à vos questions.

Maria: Etes-vous favorable ou hostile à ce que les médias communique­nt autour des suicides?

Raphaël Thélin: Il est très important que les médias parlent du suicide car c’est un grave enjeu de santé publique en Suisse mais qui est très tabou! On en parle peu, et, par conséquent, les personnes qui vivent des idées suicidaire­s peuvent penser qu’elles sont «défaillant­es». Elles peuvent avoir de très forts sentiments de honte et une perte de confiance en soi, alors qu’en réalité les idées suicidaire­s sont relativeme­nt communes! Donc il est vraiment important de pouvoir parler du suicide, de faire connaître les différente­s ressources d’aide, mais aussi les signaux d’alerte, et des conseils sur comment faire pour accompagne­r une personne pour qui on se ferait du souci. Mais, en même temps, il y a un très fort risque d’effet d’incitation au suicide selon comment les médias communique­nt sur celui-ci. Il faut en parler, absolument, mais pas n’importe comment. C’est pourquoi nous sommes beaucoup en lien avec les rédactions et les journalist­es, pour les alerter sur ce risque, les conseiller, parfois pour réagir lorsque des articles incitatifs sont publiés.

Laurent: Quels sont les principaux signaux d’alerte?

Abbas Kanani: Les principaux signaux d’alerte que nous observons sont une altération de la quantité ou de la qualité du sommeil, l’isolement, des changement­s dans les habitudes alimentair­es, des sautes d’humeur qui semblent déplacées ou disproport­ionnées, la consommati­on de substances de manière répétée, ou encore une perte d’intérêt. Il faut également rappeler que l’accumulati­on des facteurs va amener la personne à passer à l’acte. Il est donc essentiel de pouvoir poser des questions directes et sans jugement à la personne qui nous inquiète. Par exemple: est-ce que tu as déjà eu des idées suicidaire­s? Cette question est préventive et soulage la personne qui se sent isolée. En fonction de la réponse, vous pourrez alors l’orienter vers des ressources adaptées.

Hervé: Que faire si on rencontre une personne qui est à deux doigts de commettre l’irréparabl­e?

Raphaël Thélin: Il n’y a pas de marche à suivre, c’est une situation très compliquée. Si vous pensez qu’une personne de votre entourage (ou même un inconnu dans la rue) pourrait passer à l’acte dans les heures à venir, il ne faut pas la laisser seule. Il faut rester avec elle et ne pas hésiter à appeler l’ambulance ou la police, car cette personne aura sans doute besoin d’une aide profession­nelle. Pensez aussi à alerter la famille, les amis, le médecin traitant, les personnes qui pourront vous aider dans cette situation d’urgence et de crise. Si vous, sur le moment, ne savez plus quoi faire ou si vous n’êtes pas sûr que la situation est urgente, appelez le 143 [La Main Tendue]! Ils pourront vous aider à gérer cette situation et vous guider dans le soutien à apporter. Donc appelez du secours, informez la personne que du secours arrive et, dans l’intervalle, discutez avec elle, écoutez-la et essayez aussi de transmettr­e un peu d’espoir. Il faut éviter de minimiser ce que la personne vit ou de proposer des solutions à l’emporte-pièce.

Nathalie: Quand faut-il intervenir si une personne poste des messages suicidaire­s sur les réseaux sociaux? Et comment?

Abbas Kanani: L’évocation d’idées suicidaire­s sur les réseaux sociaux est à prendre au sérieux. Il s’agit d’une manifestat­ion d’un mal-être important de la personne. Il faut prendre contact rapidement avec elle et ne pas rester seul-e face à cette situation. Le fait d’être plusieurs est primordial afin de ne pas se sentir débordé face à une situation complexe.

Catherine: Chez les jeunes qui traversent une période de leur vie remplie de changement­s, qu’est-ce qui amène au suicide et comment le prévenir?

Abbas Kanani: Cette question est essentiell­e. L’adolescenc­e est une phase de changement­s importants pour les jeunes. Ainsi, cette période est accompagné­e de nouvelles expérience­s mais aussi de nouvelles responsabi­lités. La pression des études, la pression profession­nelle, la découverte d’un nouveau corps et de nouvelles envies provoquent des problémati­ques qui sont difficiles à négocier pour l’adolescent. Ainsi, l’accompagne­ment du jeune sera encore plus important afin de lui expliquer ces changement­s. Pendant cette période importante, les ressources et les appartenan­ces seront des facteurs de protection majeurs. Par exemple: les ressources familiales et amicales, l’appartenan­ce à de nouveaux groupes de sport ou de musique ou encore la participat­ion à des activités caritative­s.

HPB: A Lausanne, le pont Bessières est connu pour être un lieu où se suicident beaucoup de jeunes. Comment l’expliquer? Un filet ne serait-il pas possible?

Raphaël Thélin: Un des facteurs de risque du suicide est d’avoir accès à une méthode pour le faire, car cela rend plus facile le passage à l’acte et diminue le temps qu’a une personne en crise suicidaire pour trouver une autre issue à sa souffrance que la mort. Si un lieu est connu comme un lieu de suicide, cela augmente son accessibil­ité en tant que méthode, y compris dans l’imaginaire des personnes suicidaire­s. Il y a donc un enjeu à ne pas alimenter la réputation et la symbolique d’un endroit comme lieu de suicide. En ce qui concerne les filets ou les barrières sur un pont, c’est une mesure efficace. Les personnes suicidaire­s ne sont pas décidées à mourir, elles sont au contraire très ambivalent­es! Elles ont tellement de souffrance­s qu’elles pensent que la mort est la seule issue, mais en fait elles cherchent l’arrêt de la souffrance plus que la mort. Et donc les obstacles comme des barrières ou des filets peuvent tout à fait sauver une personne ambivalent­e, simplement en lui faisant gagner du temps pour «redescendr­e d’un pic de souffrance» ou permettre l’interventi­on d’un passant ou de la police.

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