Le Temps

L’Allemagne condamne un bourreau du régime de Bachar el-Assad

Eyad al-Gharib, un ancien membre des services de renseignem­ent syriens, écope en Allemagne d’une peine de 4 années et demie de prison pour complicité de crime contre l’humanité. Ce verdict pourrait faire date

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN @delphnerbo­llier

C’est une première mondiale. Pour la première fois, un membre des services de renseignem­ent syriens a été condamné pour complicité de crimes contre l’humanité. Le Tribunal de grande instance de Coblence, en Allemagne, a condamné ce mercredi Eyad al-Gharib à 4 années et demie de prison pour avoir arrêté et battu une trentaine de manifestan­ts contre le régime de Bachar el-Assad et pour les avoir transférés à la prison Al-Khatib, près de Damas, à l’automne 2011. Tristement connue comme centre de torture du régime syrien, cette prison a donné son nom au procès actuel.

Ce procès a été suivi de très près par la communauté syrienne d’Allemagne

Membre des services de renseignem­ent syriens depuis 1996, Eyad al-Gharib a été arrêté en 2018, près de Coblence, où il avait demandé l’asile politique après avoir déserté et fui son pays en 2012. Durant les dix mois qu’a duré son procès, il est resté silencieux mais a adressé une lettre aux victimes dans laquelle il a présenté des excuses. Dans une déposition antérieure à la police, cet homme de seconde main avait fourni des informatio­ns sur son coaccusé et ancien patron, Anwar Raslan. Ce dernier est de loin la personnali­té la plus importante de ce procès. Ancien colonel, il a dirigé cette fameuse prison Al-Khatib et est accusé de crimes contre l’humanité pour avoir torturé plus de 4000 prisonnier­s, tué 58 personnes et commis des actes de violences sexuelles. Pas de verdict pour lui ce mercredi. Son procès se poursuit jusqu’à l’automne.

«Le procès du régime syrien»

Unique en son genre, ce procès mettant en cause des membres du régime syrien a été rendu possible grâce à l’adoption en 2002 par le Bundestag du principe de juridictio­n universell­e. L’Allemagne peut poursuivre les auteurs de crimes graves quels que soient leur nationalit­é et le lieu de leurs crimes.

«Quatre ou cinq années de prison, ce n’est pas la justice que nous voulons mais ce procès est tout de même une grande avancée», commentait Joumana Seif, peu avant le verdict. Cette avocate syrienne est membre de l’ONG allemande ECCHR qui soutient sept victimes s’étant portées parties civiles. «Ce procès est celui du régime syrien et non de simples individus», estime-t-elle. «Pour la première fois, les victimes ont été reconnues devant un tribunal et les détails des crimes commis ont été documentés de manière ordonnée. Cela constitue une réelle documentat­ion pour le peuple syrien», note cette avocate.

Son collègue Patrick Kroker, qui représente les parties civiles, confirme. «Ce procès a mis en lumière le système de torture du régime. On le doit à l’énorme quantité de preuves présentées. Quinze survivants ont raconté les tortures qu’ils ont subies. Avoir des témoins aussi courageux est une chance énorme», confie-t-il. «Il y a aussi les photos du rapport «César» qui ont été expertisée­s et confirmées par les témoins. Cela a une réelle valeur historique», ajoute cet avocat. Constitué de dizaines de milliers de photos de victimes de torture, le rapport «César» a été exfiltré de Syrie en 2015 par un ancien photograph­e militaire.

Ce procès a été suivi de très près par la communauté syrienne d’Allemagne devenue, depuis la guerre civile, la plus importante d’Europe, avec 770000 membres. «Ce verdict est un message adressé à tous les criminels qui continuent de commettre les pires crimes en Syrie, pour leur rappeler que le temps de l’impunité est révolu et qu’ils ne sont nulle part à l’abri», commente l’avocat syrien Anwar al-Bunni, militant des droits de l’homme, arrivé en Allemagne en 2015. Aktham Abulhusn, arrivé à Berlin en 2015 et détenu à deux reprises lors des manifestat­ions de 2011 dans son pays, voit lui aussi au-delà de ce procès. «Le verdict ne suffira pas, mais ce qui compte, c’est que la justice soit dite et qu’elle se poursuive. Il faut désormais juger les vrais responsabl­es de ces crimes, ceux qui se tiennent derrière ce système de torture», avance-t-il.

Juger Bachar el-Assad, une illusion

Juger les responsabl­es, à commencer par le président Bachar el-Assad, semble toutefois une illusion. «En tant que chef d’Etat, le président Bachar el-Assad bénéficie de l’immunité en matière de poursuites pénales dans les pays tiers», explique l’ONG ECCHR. «Néanmoins, au cours de son enquête sur le procès Al-Khatib, le procureur fédéral recueille des informatio­ns sur des crimes qu’Assad aurait pu commettre personnell­ement. Ces preuves pourraient être utilisées à l’avenir si Assad n’était plus président de la Syrie ou si des accusation­s devaient être portées contre lui devant la Cour pénale internatio­nale ou un tribunal de l’ONU», estime cette associatio­n.

Si, à l’heure actuelle, la création d’un tel tribunal est bloquée par la Chine et la Russie, Wolfgang Kaleck, de l’ONG ECCHR, se veut optimiste. «Ce procès de Coblence est un premier pas vers une justice internatio­nale. Il est suivi de près par de nombreux juges et avocats à travers le monde et pourrait servir d’exemple», estime-t-il. Cela pourrait être le cas notamment en France où une procédure est en cours contre un Syrien, proche des deux accusés de Coblence. ■

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(THOMAS LOHNES/AFP) Le Tribunal de grande instance de Coblence, en Allemagne, a condamné Eyad al-Gharib pour avoir arrêté et battu une trentaine de manifestan­ts contre le régime de Bachar el-Assad et pour les avoir transférés à la prison Al-Khatib.

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