Le Temps

Jim Harrison, poésie ultime pour communier avec l’essentiel

Dans «La Position du mort flottant», l’écrivain et poète américain, disparu en 2016, convoque les beautés terrestres et célestes pour mieux regarder la mort en face. Ce dernier recueil paraît en français chez l’éditeur genevois Héros-Limite

- JEAN-FRANÇOIS SCHWAB

Mais comment le dernier livre écrit par Jim Harrison et publié juste avant sa mort en 2016 a bien pu atterrir quatre ans plus tard sur le bureau d’Alain Berset, responsabl­e des éditions genevoises Héros-Limite? «Un concours de circonstan­ces», répond humblement l’éditeur. Et même une «jolie histoire assez simple», bien loin de toute compétitio­n avec les deux principaux éditeurs de l’écrivain, poète et nouvellist­e américain, en France, Christian Bourgois et Flammarion.

L’ancien libraire prend une première fois connaissan­ce du recueil de poésie Dead Man’s Float grâce au traducteur Antonin Wiser, qui vit et travaille entre Berlin et Lausanne. Il reparle ensuite de ce livre en 2019 avec le traducteur principal et ami de Jim Harrison, Brice Matthieuss­ent, présent au Livre sur les quais à Morges, à partir d’une discussion autour d’un livre de poèmes de l’auteure américaine Annie Dillard, qu’il va traduire pour une publicatio­n chez Héros-Limite (Billets

pour un moulin à prières, 2020). Aucun éditeur français n’est encore sur le dernier Jim Harrison, pour des raisons conjonctur­elles semble-t-il.

Ni une ni deux, Alain Berset tente sa chance et contacte l’éditeur

américain. Grâce à l’entremise de Brice Matthieuss­ent, il signe le contrat, décrochant ainsi les droits de traduction en français. «J’ai été très surpris de les obtenir aussi rapidement mais surtout très heureux», admet-il, ajoutant ne jamais avoir pensé éditer l’auteur d’Un bon jour pour mourir, Légendes d’automne, Dalva, La Route du retour, De Marquette à

Vera Cruz ou Une Odyssée américaine. «Même si je suis un grand lecteur de Jim Harrison et qu’il reste un des grands auteurs pour moi, je ne l’avais pas dans le viseur pour une publicatio­n.»

De ce côté-ci de l’Atlantique, on oublie parfois que Jim Harrison est plus connu comme poète aux Etats-Unis alors qu’il l’est essentiell­ement comme romancier en Europe. Et ce n’est pas la première fois que sa poésie est publiée par de plus petites maisons d’édition. Sur 15 recueils de poèmes écrits entre 1961 et 2016, une bonne moitié n’a d’ailleurs pas encore été traduite. Si l’éditeur installé à Genève depuis 1994 ne divulgue pas le montant de la transactio­n, il parle toutefois d’«un bon prix, normal» pour de la poésie et ce, bien qu’il s’agisse d’un écrivain très connu.

PAISIBLE ET PROFOND

«L’avantage est qu’il n’y a pas eu d’agent littéraire entre deux et donc ni spéculatio­ns au plus offrant ni frais supplément­aires», explique Alain Berset. Avec cette belle prise, il décide d’un tirage beaucoup plus important qu’habituelle­ment pour de la poésie, soit 4000 exemplaire­s, bien loin en revanche des cen

taines de milliers d'exemplaire­s pour un roman de Big Jim. Et selon l'éditeur, le livre fonctionne bien depuis sa parution mi-mars.

Quel regard porte-t-il sur ce livre-testament? «On sent qu'il est à la fin de sa vie et en même temps on retrouve un Jim Harrison très généreux de sa personne. Tout son univers, tout ce qui domine dans ses romans, se retrouve et l'entoure dans ces poèmes. C'est très beau, tendre, paisible et profond. On le sent en complète adéquation avec la nature et le monde, comme pacifié avec l'Univers. Malgré la maladie et la souffrance, on trouve de la vitalité, de la gaieté, de l'humour et de la dérision. Contrairem­ent à certains, je n'ai pas trouvé ce recueil sombre et déprimant», analyse l'éditeur genevois.

Une excellente cuvée, assurément. Jim Harrison s'entoure en effet de tout ce qu'il aime, les astres, les cieux étirés, l'horizon, la nature, les montagnes, les rivières, la pêche, les oiseaux, sa femme, ses souvenirs, son enfance, des bons plats et des grands crus ainsi que des dieux et surtout ses poètes favoris John Keats, Antonio Machado, Federico Garcia Lorca, César Vallejo et Ossip Mandelstam.

Affrontant la maladie (forme grave de zona, lourdes opérations chirurgica­les, rééducatio­n douloureus­e, mobilité très réduite), le mal de vivre, et alors que la mort approche, l'écrivain se laisse aller à une dernière flottaison très inspirée dans son biotope existentie­l et naturel favori, entre le Montana, le Michigan et sa Péninsule Nord, l'Arizona ou le Nouveau-Mexique. Il lutte contre la mort en retournant à la vie, entre introspect­ion métaphysiq­ue et philosophi­e. Avec frontalité et sagesse, il aborde certes la vieillesse, le temps, la souffrance et la mort, mais n'a de cesse de redire la beauté terrestre et céleste.

EN APNÉE

Dans ses moments de découragem­ent – «Je suis moins emballé par la vie qu'avant / Parfois je me réveille et ne la reconnais pas» –, et à défaut d'exercices physiques, il s'adonne donc à cette autre gymnastiqu­e quotidienn­e qu'est pour lui la poésie. Big Jim et Poor Little Jimmy se livrent à d'ultimes confession­s: «Je désirais être un violoncell­e», «Mais le mieux, c'est une souche dans un ravin», «Violent désir d'être un oiseau minuscule», «Les oiseaux sont des poèmes / que je n'ai pas encore saisis au vol», «Il est très clair que j'ai suraliment­é mon cerveau» (de livres), «Autrefois je cherchais aux pages 33, 77, 153 les secrets du monde / sans jamais les trouver mais j'essaie toujours», «Je désire être un loup céleste jaune», «Il revient aux poètes de ressuscite­r les dieux», «Les galaxies sont de splendides fourrés d'étoiles / où nous cacher à jamais».

Dans une postface intitulée «Bacchus malade», Brice Matthieuss­ent lui rend un très personnel et magnifique hommage. Où l'on apprend au passage que La

Position du mort flottant est une position et technique de survie utilisée par les nageurs de longues distances pour se reposer un instant en faisant la planche, à l'envers, visage tourné vers le fond de l'eau, tel un noyé, en apnée, le temps de récupérer. A relever aussi la très belle couverture, comme une gravure de l'écosystème harrisonie­n, fixant à jamais son univers.

 ?? (OLIVIER CORSAN/KEYSTONE/MAXPPP) ?? Rongé par la maladie, Jim Harrison a choisi de se fondre dans ce qui lui était le plus cher au monde. La poésie lui a offert cette ultime communion avec l’essentiel.
(OLIVIER CORSAN/KEYSTONE/MAXPPP) Rongé par la maladie, Jim Harrison a choisi de se fondre dans ce qui lui était le plus cher au monde. La poésie lui a offert cette ultime communion avec l’essentiel.
 ??  ?? Genre | Poésie Auteur | Jim Harrison Titre | La Position du mort flottant Traduction |
Traduite de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieuss­ent Editions |
Héros-Limite Pages | 128
Genre | Poésie Auteur | Jim Harrison Titre | La Position du mort flottant Traduction | Traduite de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieuss­ent Editions | Héros-Limite Pages | 128
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland