Comment Microsoft dévore l’espace numérique en toute discrétion
Le groupe, valorisé 1900 milliards de dollars, multiplie les acquisitions de taille. La différence avec Google, Facebook et Amazon est frappante: Microsoft ne craint rien des autorités antitrusts
Un directeur très discret, un secteur d'activité qui semble peu dynamique, une image poussiéreuse… Non, à première vue, Microsoft n'a rien d'un géant de la tech clinquant et conquérant. Encore associé à Windows et à la suite bureautique Office, le groupe dirigé par Satya Nadella n'est que rarement cité comme le «M» des GAFAM que constituent Google, Amazon, Facebook et Apple. Et pourtant, sans faire de bruit, Microsoft est en train de dévorer l'espace numérique, enthousiasmant les investisseurs – l'action a bondi, en un an, de 165 à 255 dollars.
Lundi, le groupe a ainsi avalé la société américaine Nuance pour 19,7 milliards de dollars. Connue initialement pour ses logiciels de dictée pour les professionnels, cette firme est aujourd'hui spécialisée dans l'intelligence artificielle, ses systèmes de reconnaissance vocale étant notamment utilisés en télémédecine. Avec cette acquisition, Microsoft fait donc une percée dans la santé, domaine vu comme la prochaine mine d'or pour les géants de la tech.
Course aux rachats
Même à l'échelle de Microsoft et de sa capitalisation de 1900 milliards de dollars – juste derrière Apple –, ce rachat est conséquent. Il s'agit de la deuxième plus importante acquisition du groupe, après l'achat de LinkedIn en 2016 pour 27 milliards de dollars. Ces quatre dernières années, Satya Nadella a engagé son groupe dans une course aux rachats: plus de 100 sociétés acquises, pour un total (avant Nuance) de 26 milliards de dollars, selon la société de recherche Dealogic.
Microsoft a faim, et attaque tous les marchés. En septembre dernier, le groupe déboursait 7,5 milliards de dollars pour s'emparer de ZeniMax, la maison mère de l'éditeur de jeux vidéo Bethesda Softworks. Ces jours, selon les rumeurs, Microsoft négocierait le rachat de la messagerie pour jeux vidéo Discord, pour 10 milliards de dollars. Parmi les acquisitions de poids ces dernières années, citons aussi la plateforme de création de logiciels GitHub, pour laquelle Microsoft a investi 7,5 milliards de dollars en 2018. Skype avait quant à lui été avalé pour 8,5 milliards de dollars en 2011.
Ce qui frappe, c'est la différence de stratégie avec les GAFA. Ces cinq dernières années, le seul autre géant de la tech à avoir déboursé plus de 5 milliards pour une acquisition a été Amazon, s'offrant en 2017 la chaîne de supermarchés bios Whole Foods pour 13 milliards de dollars. Il y a bien plus longtemps, Facebook avait acquis WhatsApp pour 19 milliards en 2014.
Mais aucun des concurrents de Microsoft n'a osé, récemment, lancer une acquisition d'ampleur. La raison: les enquêtes antitrusts lancées tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Accusés d'abus de pouvoir, Facebook et Google n'osent plus effectuer des rachats de taille. D'autant que même des opérations passées, à l'image de l'acquisition de WhatsApp, sont aujourd'hui examinées aux Etats-Unis, pouvant aboutir, au pire, à la revente du service de messagerie. Les concurrents de Microsoft sont perçus comme concentrant trop de pouvoir, trop de données, avec les abus qui en découlent. Du coup, rares sont les sociétés qui souhaitent se vendre aux GAFA, de peur de voir l'affaire annulée après coup.
Microsoft, qui avait risqué il y a vingt ans un démembrement pour abus de position dominante lié à Windows et à son logiciel de navigation Internet Explorer, n'est quant à lui pas inquiété. Sans doute parce que sa stratégie est différente de celle des autres géants du numérique. «Nous ne sommes pas en train d'agréger des services. Nous sommes des fournisseurs de plateformes. Notre approche nous rend très distinct des autres», affirmait lundi Satya Nadella.
Différence sur les données
De fait, les services de Microsoft restent relativement distincts des autres: il n'y a pas de porosité entre ses activités dans les jeux vidéo et Office, ou entre ses services cloud et LinkedIn. Ainsi, il n'y a, a priori, pas de croisement des données des clients et de risque d'abus de pouvoir, jugent pour l'heure les autorités de la concurrence des deux côtés de l'Atlantique. L'autre force de Microsoft, c'est de vivre essentiellement d'abonnements, et pas de la publicité. Autant d'éléments qui permettent au groupe de Satya Nadella de passer sous les radars des autorités. ■
SATYA NADELLA
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE MICROSOFT
«Nous ne sommes pas en train d’agréger des services. Nous sommes des fournisseurs de plateformes. Notre approche nous rend très distinct des autres»