Angela Merkel centralise la gestion de la pandémie
Pour mettre fin au chaos des mesures sanitaires, la chancelière a présenté un projet de loi donnant au gouvernement central un pouvoir renforcé dans les régions
Angela Merkel a finalement décidé de prendre les choses en main. Ce mardi, la chancelière allemande a présenté un projet de loi, en accord avec ses partenaires de coalition sociaux-démocrates (SPD), afin d’imposer un «coup de frein» à l’ensemble du pays pour lutter contre la troisième vague de coronavirus.
«Ce coup de frein s’impose depuis longtemps car la situation est sérieuse», a expliqué la chancelière. Les avis des experts sont, de fait, sans appel. La pandémie a repris à un rythme exponentiel, avec un taux d’incidence national de 140 nouveaux cas pour 100 000 habitants sur une semaine. Et la situation est extrêmement tendue dans les hôpitaux. Si la barre des 6000 lits de soins intensifs occupés par des patients du Covid-19 n’a pas été dépassée durant la deuxième vague, elle devrait l’être d’ici à la fin du mois. Soit beaucoup plus vite que prévu.
Harmoniser les mesures
Dans ce contexte, le gouvernement fédéral a décidé de modifier la loi de protection contre les infections de manière à pouvoir imposer des mesures applicables à l’ensemble du pays. Une première depuis le début de la pandémie. Concrètement, les communes où le taux d’incidence dépassera trois jours de suite la barre de 100 se verront imposer, entre autres, un couvre-feu de 21h à 5h du matin, une fermeture des magasins non essentiels, des sites culturels et sportifs et des lieux de restauration, ainsi qu’une réduction des contacts privés. Quant aux écoles, elles devront fermer leurs portes, de manière automatique, au-dessus d’un taux d’incidence de 200.
La plupart de ces mesures avaient été adoptées le 3 mars dernier lors d’une rencontre entre les 16 régions et la Chancellerie fédérale. En pratique toutefois, certains Bundesländer avaient décidé de passer outre leur mise en oeuvre et de rouvrir leur économie, comme dans la Sarre. Sur le papier en effet, la fermeture des magasins, des écoles, des lieux culturels et sportifs, ainsi que la réduction des contacts sont du ressort des régions. L’Etat fédéral joue surtout un rôle de proposition et de coordination entre les Bundesländer, tout en apportant son expertise via l’Institut sanitaire Robert Koch.
«Le fédéralisme a atteint ses limites, lorsque certaines régions prennent des mesures de fermeture et d’autres d’ouverture» STEPHAN VOGEL, CHERCHEUR DE L’UNIVERSITÉ DE COLOGNE
Le chaos qui règne depuis quelques semaines sur le terrain pourrait donc être bientôt limité. Pour cela, il faut que la Chambre basse du parlement, le Bundestag, et la Chambre haute, le Bundesrat, où sont représentées les régions, approuvent le projet. Une décision n’est pas à attendre avant une dizaine de jours.
Sans surprise, ce projet suscite la résistance d’une partie de l’opposition, de certaines régions comme la BasseSaxe mais surtout des communes qui s’estiment lésées par cette perte de compétences. Les supporters, eux, arguent d’une perte de confiance de la part de la population. «Nos concitoyens ne comprennent pas les différences régionales et attendent de la clarté et de la transparence. Il est nécessaire de revoir notre manière de travailler», a justifié Angela Merkel.
Une situation d’exception
Sur le fond, cette décision intervient après une année de débat récurrent sur les forces et les limites du fédéralisme dans la lutte contre la pandémie. «Durant les premiers mois de la crise, la grande majorité des spécialistes du fédéralisme ont reconnu les avantages de ce système», commente Stephan Vogel, chercheur de l’Université de Cologne. «Le fédéralisme a permis de débattre ouvertement, d’adapter les mesures et d’éviter des erreurs du gouvernement fédéral. Aujourd’hui, on constate toutefois que ce système a atteint ses limites, lorsque certaines régions prennent des mesures de fermeture et d’autres d’ouverture. La population, elle, favorise depuis le départ une solution au niveau national», note ce politologue. «Mais dans une situation de crise aussi exceptionnelle, chaque système a ses avantages et ses inconvénients.»
Unique depuis la pandémie, la volonté du gouvernement fédéral de prendre les choses en main marque-t-elle un tournant sur le long terme, voire un affaiblissement durable du fédéralisme allemand? A priori, non, car le changement de loi concerne une période limitée, dans un premier temps, jusqu’au 30 juin. «Le changement de loi prévu n’est ni un changement fondamental ni un acte contraire à la Constitution mais il constitue un moyen de lutter contre la pandémie dans une situation d’exception», confirme Stephan Vogel. «Les historiens jugeront toutefois, dans les années à venir, de ses effets sur le long terme.»
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