Vaccination: peut-on faire pire que l’Europe?
C’est une avalanche de critiques: incurie, chaos, échec, retard, honte, égoïsme, incompétence font partie du vocabulaire devenu courant au fil des semaines pour décrire la stratégie européenne de vaccination contre le covid. L’Union s’estelle à nouveau plantée, ironisent les eurosceptiques? Comment l’UE a-t-elle pu rater une telle opportunité, se lamentent les euroturbos? Submergé à son tour par une troisième vague d’un virus en mutation, le continent s’interroge, les Etats flinguent Bruxelles, les politiques se défaussent sur les technocrates. C’est de bonne guerre. Mais qu’en est-il réellement?
Rappelons que la santé n’était pas une compétence communautaire. Après la querelle des masques provoquée par l’irruption du SARSCoV-2 l’an dernier, la Commission européenne a toutefois proposé un plan pour mutualiser l’achat de vaccins dans un souci d’efficacité. Force est de constater que l’Union a été prise de vitesse par trois pays: les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Israël. Ils ont deux à trois mois d’avance dans leur plan de vaccination sur les Européens. Et en Europe, on ne cesse de se comparer à ces trois Etats en déplorant ce retard comme s’il s’agissait d’une nouvelle preuve d’un déclin.
Cette lecture est trompeuse. Si les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont aujourd’hui en avance sur le plan vaccinal, c’est en partie en raison de la faillite initiale de leurs dirigeants à mesurer l’ampleur de la pandémie. Boris Johnson et Donald Trump ont d’abord nié le problème, ce qui s’est traduit par le plus grand nombre de morts à ce jour dus au covid au niveau mondial pour les Etats-Unis et au niveau européen pour le Royaume-Uni. A leur décharge, ils ont réagi avec un pari gagnant sur les bons vaccins avant tout le monde. Ils ont su transformer leur échec en succès (Joe Biden prenant le relais à Washington). Le cas d’Israël est différent. La poigne de Benyamin Netanyahou s’est avérée salutaire pour mener une vaccination à grande échelle. C’était possible dans une société prête à se plier à une forme de diktat vaccinal au nom de la sécurité nationale.
Qu’en est-il du reste du monde? Une quinzaine d’autres pays, dont plusieurs micro-Etats, sont plus ou moins en avance sur l’Europe. Si l’on se fie aux statistiques de vaccination dans le monde, dont un registre est tenu par Bloomberg, l’Europe vient ensuite avec suffisamment de vaccins pour 11,7% de sa population, 16,5% de celle-ci ayant déjà reçu une dose et 6,5% les deux doses. Ces chiffres sont une moyenne pour l’ensemble des pays de l’UE. Le reste du monde, y compris la Chine, la Russie et l’Inde qui produisent leurs propres vaccins, est loin derrière. Le taux de vaccination par pays européen, à quelques exceptions près, est partout identique.
Il y a eu des erreurs, des ratés, des bisbilles, mais l’essentiel est là: l’Europe est le continent le plus vacciné
Il y a eu des erreurs, des ratés, des bisbilles, mais l’essentiel est là: l’Europe est le continent le plus vacciné et cela dans une égalité de traitement qui témoigne de l’efficacité de la solidarité européenne. Cela a peut-être été trop lent – qui pariait sur une vaccination aussi rapide il y a six mois encore? – mais c’est le fruit de compromis entre des Etats transparents et soucieux de la protection de leurs concitoyens. Les arbitrages sont permanents et les coups de gueule fréquents. Mais au final, cela marche. C’est du moins tout aussi performant que pour l’un des pays les plus riches, siège de nombreuses pharmas, et tout aussi soucieux de respect de la démocratie: la Suisse. Ses chiffres de vaccination sont identiques à ceux de l’Europe.
Certains verront dans cette solidarité européenne un très discutable protectionnisme continental qui se fait au détriment d’une solidarité vaccinale à l’échelle mondiale. C’est vrai, preuve en est l’échec de Covax. Mais cet échec est largement partagé et, à vrai dire, l’Europe est à ce jour le principal donateur de ce programme onusien. Si l’Europe a raté le coche, c’est sur le plan industriel. Ce sont des chercheurs allemands et français qui sont à l’origine des deux vaccins les plus performants. Ce sont les Etats-Unis qui ont su faire fructifier ce savoir. Il y a là, en effet, matière à se questionner sur la capacité d’un continent non pas à protéger sa population ou à innover, mais à entreprendre.
■