Le Temps

Jeff Bezos finit d’écraser la rébellion

Dans sa lettre annuelle aux actionnair­es, le directeur d’Amazon ne reconnaît aucune erreur envers ses employés. Une semaine après leur tentative infructueu­se de syndicalis­ation aux Etats-Unis, Jeff Bezos a lancé une campagne de communicat­ion

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Vingt-deux minutes. C’est le temps affiché par le petit compteur, en haut à gauche de la lettre aux actionnair­es signée par Jeff Bezos. Et c’est juste: il faut 22 minutes pour lire cette missive signée par le fondateur et directeur d’Amazon. L’homme est obsédé par les chiffres et par le temps. Un exemple? Dans sa lettre, il dit avoir fait épargner à chacun de ses clients 75 heures de trajet et de présence dans les magasins, pour une valeur totale, calcule-t-il, de 126 milliards de dollars en 2020.

Il y a les chiffres. Il y a aussi le ton. Six jours après l’échec d’une tentative de syndicalis­ation dans un entrepôt du groupe à Bessemer, en Alabama, Jeff Bezos a profité de sa lettre annuelle pour y réagir. Sans nuance. «Si vous lisez certains articles, vous pourriez penser que nous ne nous soucions pas de nos employés. Dans ces reportages, nos employés sont parfois accusés [sic] d’être des âmes désespérée­s et traités comme des robots. C’est faux», écrit Jeff Bezos. L’homme précise avoir recruté 500000 personnes en 2020, pour compter désormais 1,3 million d’employés.

«S’étirer, s’hydrater…»

Le directeur d’Amazon – qui en deviendra le président fin 2021 – ne mentionne à aucun moment les syndicats. Mais la lettre leur est aussi destinée, Jeff Bezos entrant dans un niveau de détail inhabituel: «Les employés peuvent prendre des pauses informelle­s tout au long de leur journée de travail pour s’étirer, s’hydrater, aller aux toilettes ou parler à un responsabl­e, sans que cela ait une incidence sur leurs performanc­es. Ces pauses informelle­s s’ajoutent aux 30 minutes de déjeuner et aux 30 minutes de pause prévues dans leur horaire normal.» Mais pas un mot sur les chauffeurs contrôlés en permanence par des caméras ou sur les employés contraints d’uriner dans des bouteilles.

Selon Jeff Bezos, «les objectifs fixés ne sont pas irréaliste­s». Dans ces conditions, aucune raison de se syndiquer. D’autant qu’Amazon doit devenir «le meilleur et le plus sûr employeur de la planète», selon Jeff Bezos, notamment en calculant un nouveau type de rotation de postes pour ses employés afin qu’ils se blessent moins à certaines articulati­ons.

Mais les actionnair­es d’Amazon se soucient-ils des conditions de travail des employés? Christy Hoffman, secrétaire générale de la faîtière syndicale UNI Global Union, basée à Nyon, veut y croire. «Les investisse­urs sont de plus en plus préoccupés par les conditions de travail et les droits des travailleu­rs, y compris chez Amazon. L’année dernière, ses investisse­urs ont fait part de leurs inquiétude­s concernant les risques liés au virus au sein de l’entreprise. Nous espérons que les actionnair­es verront au-delà de la rhétorique de Bezos et exigeront des résultats mesurables et assortis de délais en matière d’améliorati­on de la sécurité et de la représenta­tion syndicale», affirme-telle au Temps.

Malgré le vote perdu en Alabama – 1798 voix contre 738 –, Christy Hoffman croit à de nouvelles mobilisati­ons. «Les employés d’Amazon sont fatigués des rythmes de travail brutaux, épuisés par les horaires inhumains. Ils savent qu’ils ont une solution commune: la négociatio­n collective.»

Incompréhe­nsion

«Les objectifs fixés [aux employés d’Amazon] ne sont pas irréaliste­s»

JEFF BEZOS,

PATRON ET FONDATEUR D’AMAZON

Pointé du doigt par les syndicats pour les conditions de travail dures, Amazon est aussi souvent loué par les médias américains pour les avantages accordés aux employés. Son salaire minimum horaire est de 15 dollars, soit le double du salaire minimum fédéral. La multinatio­nale fournit une assurance santé complète, accompagné­e d’une assurance dentaire et d’une autre pour les yeux. Ce qui ressort surtout des innombrabl­es témoignage­s récoltés ces dernières semaines en Alabama ou ailleurs, c’est l’incompréhe­nsion des salariés: ils n’acceptent pas d’être mis autant sous pression, dans les entrepôts ou en livraison, par l’homme le plus riche du monde. La fortune de Jeff Bezos s’élève à 197 milliards de dollars.■

 ?? (SAUL LOEB/AFP) ?? «Nos employés sont parfois accusés [sic] d’être des âmes désespérée­s et traités comme des robots. C’est faux», a notamment écrit Jeff Bezos dans sa dernière lettre aux actionnair­es d’Amazon.
(SAUL LOEB/AFP) «Nos employés sont parfois accusés [sic] d’être des âmes désespérée­s et traités comme des robots. C’est faux», a notamment écrit Jeff Bezos dans sa dernière lettre aux actionnair­es d’Amazon.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland