Le Temps

Dans la tête de Roger Federer

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Utilisant les atours du développem­ent personnel, Mathieu Aeschmann dresse un portrait mental pertinent, pointu et documenté du champion

C’est un livre différent de ceux, nombreux, jusqu’ici écrits sur Roger Federer que le journalist­e et enseignant genevois Mathieu Aeschmann vient de publier aux Editions de l’Opportun. Commande de l’éditeur, cet ouvrage petit mais d’une grande densité complète une collection qui nous invite à «Agir et penser comme…» Après James Bond, Nietzsche, le Petit Prince ou Dark Vador, c’était bien au tour de Roger Federer de passer à la moulinette du développem­ent personnel.

Comment s’inspirer de Federer quand son talent et sa gestuelle sont uniques au monde? En s’intéressan­t à l’esprit plutôt qu’au corps, au pourquoi davantage qu’au comment. Mathieu Aeschmann s’y emploie avec la compétence tennistiqu­e, la profondeur d’analyse, l’honnêteté intellectu­elle et le goût du détail qui en font sans doute le meilleur connaisseu­r de Federer sur un court. En cinq sets (Cultiver son identité, Choisir la bonne stratégie, Partir à la conquête de l’Autre, Entretenir ses mondes, Maîtriser les temps), il suggère des pistes plus qu’il n’assène des leçons mais dessine en creux un passionnan­t portrait mental du Maître.

Certains traits connus du champion – écouter, oser dire non, vouloir comprendre, toujours être dans le moment présent, oublier vite mais se souvenir de tout – sont bien explicités, mais le livre en dévoile d’autres beaucoup plus subtils. «Par exemple, il n’applaudit quasiment jamais un point adverse, relève Mathieu Aeschmann. Parce qu’il refuse de mettre en scène ce qu’il assimile à de l’hypocrisie.» De même, Federer ne ment jamais. «En interview, il trouvera une manière de ne pas dire ce qu’il veut taire mais il

MATHIEU AESCHMANN, JOURNALIST­E SPORTIF

ne mentira pas. Je pense qu’il a un grand besoin de cohérence.»

Oser être lui-même

Soucieux d’asseoir chaque point de son argumentat­ion par un exemple concret et souvent directemen­t vécu, l’auteur en revient régulièrem­ent à la jeunesse de Roger, c’est-à-dire à la genèse de Federer. Les deux hommes ont passé une année ensemble au Centre national de tennis à Ecublens, alors que Mathieu Aeschmann était l’un des meilleurs Suisses de sa catégorie d’âge. Federer n’était pas forcément celui sur lequel tout le monde aurait parié, mais il avait clairement un truc en plus. «Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte», aurait dit Victor Hugo.

Moins que les bris de raquettes («On en a trop fait avec ça»), Aeschmann se souvient surtout d’une «inébranlab­le confiance en lui, même quand c’était dur, même quand l’entraîneur lui faisait refaire son revers. Nous, nous étions des bons élèves alors qu’il avait cette faculté à être lui-même, en toutes circonstan­ces, face à n’importe qui. S’il a gardé ça en lui, je pense qu’il reste convaincu de pouvoir gagner encore Wimbledon, même à 40 ans, même contre Djokovic.»

Mathieu Aeschmann se réjouit de l’y revoir frapper sa balle comme nul autre. «Je ne me lasse pas de voir et d’entendre le point de contact de la balle dans sa raquette. Elle semble y rester plus longtemps que les autres et en repartir plus vite, ce qui est bien sûr incompatib­le.» Et à ceux qui n’ont pas l’oeil aussi aiguisé, il donne un truc pour juger de la forme du Maître: «S’il joue avec la balle entre les points, c’est qu’il est bien.»

Essai. Mathieu Aeschmann, «Agir et penser comme Roger Federer». Editions de l’Opportun, 154 pages.

«Il n’applaudit quasiment jamais un point adverse, parce qu’il refuse de mettre en scène ce qu’il assimile à de l’hypocrisie»

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