«Bagdad Central», déconstruction d’une nation
◗ L’Anglais Stephen Butchard a pour lui une certaine cohérence. En 2009, il créait l’agitatrice House of Saddam, qui a secoué en Grande-Bretagne et au-delà par le choix de son sujet, encore fort sensible: la vie du dictateur irakien dès les débuts de son accession au pouvoir. De surcroît, le tyran était incarné par l’Israélien Yigal Naor, ce qui, à l’époque, avait fait jaser.
Revoici Stephen Butchard avec Bagdad Central, qu’Arte dévoile ce jeudi soir, et qui est disponible en ligne. Retour en Irak, donc, mais cette fois, en 2003, quelques mois après la chute du chef du parti baasiste. Chaos dans la capitale, dont les quartiers sont souvent contrôlés par les anti-Américains, ces derniers se retranchant dans la «green zone».
C’est là que Muhsin (Waleed Zuaiter), ancien policier, père pleurant toujours son fils tué par le régime, peut entrer à l’invitation d’un responsable des forces alliées, un Anglais. Celui-ci lui demande de mener une enquête criminelle. Sans cesse interrompue par les aléas de l’occupation (pardon, la libération), elle met néanmoins en lumière quelques agissements sordides des triomphateurs, l’Anglais compris. Muhsin n’a pas le choix, il doit faire hospitaliser l’une de ses deux filles, malade, et chercher la seconde, qui a disparu. Celle-ci veut combattre pour la libération du pays: mais elle rejoint les islamistes, qui ont une autre vision de la fierté nationale… Production Euston (Dublin Murders) pour Channel 4, Bagdad Central apparaît d’abord comme un fort bon thriller, toujours tendu. Stephen Butchard a le talent requis pour y insérer le contexte et les enjeux historiques en fond de l’intrigue. Ainsi par exemple le débat sur la «construction de nation», en vogue à l’époque, pour théoriser les manoeuvres des conquérants. C’est à ce titre, pour incarner une police digne, que Muhsin est engagé.
Ainsi se mesure l’ampleur des désillusions par rapport aux promesses de démocratie et de respectueuse émulation nationale. Voir Bagdad Central ces jours, en entendant Joe Biden confirmer le retrait des troupes d’Afghanistan, rappelle l’énormité du ratage américain – et des alliés – au Moyen-Orient.