Le Temps

CHING-LIEN WU VA FAIRE BATTRE LE CHOEUR DE PARIS

- SYLVIE BONIER t @SylvieBoni­er

L’ancienne cheffe du Motet et du choeur du Grand Théâtre de Genève vient d’être nommée à l’Opéra national de Paris. Une belle récompense pour son travail rigoureux ◗

Aux saluts, on s'étonne qu'une femme si menue, frêle et souriante puisse insuffler aux choeurs tant d'énergie, de puissance et de précision. Ching-Lien Wu, directrice du Motet de 2002 à 2012 et cheffe du choeur du Grand Théâtre de Genève de 2001 à 2014, a marqué la vie chorale de la Cité de Calvin, où elle a régné en maîtresse pendant treize années.

Les nombreux choristes qui ont chanté sous son geste net louent sa précision, son incroyable vitalité, sa rigueur, sa déterminat­ion et son exigence sans concession. Et aussi la grâce de sa gestique. La cheffe de choeur vient d'être nommée à l'Opéra national de Paris où elle prendra ses fonctions le 26 avril à la suite de José Luis Basso, qui rejoint l'ancien directeur Stéphane Lissner.

De tempéramen­t, la Taïwanaise n'en manque pas. De talent et de sensibilit­é, elle en déborde. Le profession­nalisme, elle le conjugue avec un sens aigu de la perfectibi­lité. Ching-Lien Wu a conquis le monde vocal avec fermeté, constance et fidélité. Des qualités qui ont porté leurs fruits, la menant aujourd'hui à un poste internatio­nal très envié. Petit retour sur son parcours sans fautes.

Après ses études à Taïwan, Ching-Lien Wu vient travailler à Lyon avant d'y remporter le premier prix de direction de choeur en 1987. Ses stages auprès de Jean-Sébastien Béreau, Helmut Rilling, Michael Gielen et Pierre Boulez forment à la diversité son sens artistique et sa technique de direction. La jeune femme explore la France, au fil d'opportunit­és intéressan­tes.

Nantes et Toulouse précèdent d'abord Strasbourg où la musicienne s'installe en 1991 pour dix ans. Puis Genève l'appelle. La voilà qui saute la frontière suisse en 2001, et vient déployer son expérience près du Jet d'eau. Elle oeuvre alors sur les deux niveaux de pratique musicale: l'amateure avec le Motet et la profession­nelle avec le Grand Théâtre. Puis elle reprend son envol pour Amsterdam en 2014, où elle terminera son contrat en arrivant à Paris dans moins de deux mois.

Cette nomination représente-t-elle une forme de consécrati­on?

Je pense qu'on peut dire ça, oui. C'est la plus grande structure lyrique d'Europe, avec ses deux scènes de Garnier et Bastille. Une maison énorme à laquelle je n'imaginais pas être appelée.

La direction chorale n’est pas l’activité classique la plus courante. Comment y êtes-vous venue?

Quand j'étais petite, à Taïwan, mes parents aimaient beaucoup le classique et écoutaient souvent des disques. Je me souviens de vinyles de lieder de Schubert par Fischer-Dieskau, de sonates pour piano de Beethoven par Barenboim ou de symphonies par Karajan et le Berliner. J'adorais ça. Comme j'étudiais dans une école privée musicale catholique, j'ai vite été confrontée à l'univers classique. En m'inscrivant dans cette institutio­n réputée, mes parents voulaient la meilleure éducation pour moi, dans ce qu'ils estimaient être un paradis protégé. Il y avait deux discipline­s: les instrument­s et le chant. J'ai commencé par le piano et le cor. Je me suis ensuite mise à accompagne­r, puis à diriger la chorale.

Le passage a-t-il été facile? Mon professeur m'a encouragée à remplacer la directrice du choeur quand elle s'absentait. C'est un concours de circonstan­ces. Mais ça m'a très vite plu, et les choses se sont enchaînées naturellem­ent.

Qu’est-ce qui vous a motivée?

La nouveauté, la découverte et les voyages. Grâce à ce professeur qui était Taïwanais et dirigeait beaucoup en Chine, j'ai pu faire des expérience­s magnifique­s. David Chen m'a invitée à assister à des concerts à la radio, à participer à des cours, puis à postuler pour une classe de direction de choeur à Lyon, grâce à une bourse du gouverneme­nt français. Il m'a ouvert les oreilles et les yeux. Avec son précieux appui, j'ai pu aller me former en France et en Allemagne, sur la musique de la Renaissanc­e, baroque, le répertoire français… C'était une époque enivrante et stimulante. J'avais 22 ans et je ne comptais pas mon temps. Je voulais profiter au maximum de cette année de bourse. Mon cursus de la classe de direction à Lyon, un cours hebdomadai­re d'orchestre à Reims et plusieurs choeurs d'amateurs et étudiants à diriger ne me laissaient pas une minute, mais je volais!

Pourquoi avoir choisi le choeur plutôt que l’orchestre?

J'aime la voix. C'est une matière organique et vivante qui me touche directemen­t. Mais surtout, la dimension du texte est essentiell­e. Avec un orchestre, on compose des ambiances avec les différents timbres et les caractéris­tiques propres des instrument­s. Il faut beaucoup d'imaginatio­n pour apporter sa propre poésie à l'ensemble. Avec un choeur, on façonne les émotions dans une masse humaine unie, sur des mots qui racontent des histoires ou expriment une gamme infinie de sentiments. Le chant choral s'appuie sur la littératur­e, et c'est fondamenta­l pour moi.

Par exemple? Le texte d'une messe ou d'une autre partition sacrée, il y a 150 manières de le dire, même si les bases sont connues depuis des siècles. Selon l'époque, le compositeu­r, l'harmonie, il y a beaucoup de façons de donner un gloria!

Que demande ce métier? Beaucoup de curiosité et de persuasion pour obtenir l'imaginaire qu'on cherche à travers ce qui est écrit. Je ne suis pas compositri­ce, juste interprète. Cela nécessite d'être à l'écoute, ouverte, et assez déterminée pour convaincre et entraîner un groupe parfois nombreux. Ce ne sont pas des instrument­s mais des personnali­tés à part entière. Il faut savoir être délicat et ferme. Psychologu­e donc…

C’est un travail de force et de finesse à la fois.

Oui. Il faut beaucoup d'énergie face à un groupe qui chante. Sur le plan purement technique, l'exactitude, sans être mathématiq­ue, est impérative. Du côté des couleurs et des émotions, j'invoque des images, des sensations de nature, par exemple. Je me souviens de Pierre Boulez qui disait à un clarinetti­ste: «Je n'ai pas entendu la verte prairie dans ce que tu faisais.» On a tous souri, et ça m'a marquée.

Est-ce qu’être une femme a représenté une difficulté

particuliè­re? Je travaille. Ce que les autres pensent à ce sujet ne m'intéresse pas. C'est leur problème, pas le mien. Quand on est devant une partition et qu'il faut rassembler 100, et même une fois 400, personnes, je ne pense pas à ça. Je suis heureuse si les choses changent, et la misogynie ou la guerre des sexes ne me concernent pas vraiment. Quand je suis arrivée toute jeune à l'Opéra du Rhin, j'ai entendu: «Elle est coriace, celle-là.» Mais homme ou femme, ce qui compte, c'est la force de caractère et l'énergie.

Que gardez-vous de vos treize années à Genève? S'ils m'ont supportée pendant tout ce temps, j'imagine que c'était positif pour eux. Pour moi, ça l'a été. Avec le Motet, je pouvais choisir le répertoire qui me plaisait, comme Britten ou Poulenc, par exemple. Et obtenir des résultats étonnants avec des chanteurs amateurs. Au Grand Théâtre, les grands ouvrages du répertoire étaient passionnan­ts à traverser.

Vous êtes-vous rapidement sentie à l’aise? Au début, j'ai été surprise car j'avais entendu une Carmen enthousias­mante, préparée par mon prédécesse­ur Guillaume Tourniaire. Mais quand j'ai levé les bras pour la première fois devant eux, je me suis dit que ça n'avait rien à voir avec ce que j'avais entendu. C'était Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovi­tch, en 2001. J'ai tout donné pour obtenir ce que je voulais. Et c'est dans Les Oiseaux de Braunfels, trois ans plus tard, que je me suis dit: «Ça y est, on y est arrivé!» Il y a eu deux années de work in progress.

Il faut de la patience et du temps pour arriver à se comprendre et s'entendre.

Qu’attendez-vous de Paris? Je suis d'abord extrêmemen­t heureuse et honorée de rejoindre cette équipe et de collaborer avec la nouvelle direction. Je me réjouis de pouvoir participer au renouvelle­ment partiel du choeur, qui va connaître des départs à la retraite. Et j'ai hâte d'aborder des oeuvres de grande envergure, tant en reprises qu'en nouvelles production­s. C'est un grand Opéra de répertoire qui a un nombre impression­nant d'ouvrages à son catalogue. Ce défi est extraordin­aire.

«La voix est une matière organique et vivante qui me touche directemen­t»

CHING-LIEN WU, CHEFFE DE CHOEUR

 ?? (SEBASTIEN GALTIER/ DUTCH NATIONAL) ?? Pour guider des centaines de choristes, «qui ne sont pas des instrument­s mais des personnali­tés à part entière», il faut de l’énergie et de l’exactitude, confie la Taïwanaise.
(SEBASTIEN GALTIER/ DUTCH NATIONAL) Pour guider des centaines de choristes, «qui ne sont pas des instrument­s mais des personnali­tés à part entière», il faut de l’énergie et de l’exactitude, confie la Taïwanaise.

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