Sur les pas d’un monstre d’humanité
Guillaume Chenevière, le poète Martin Rueff et l'architecte Tristan Kobler proposent une nouvelle exposition permanente consacrée au citoyen de Genève en sa Maison
◗ De cette moustache de gentilhomme de campagne, tous les hommes en rêvent. C’est celle d’un oiseleur qui vient de converser avec un chardonneret. Ou d’un jardinier que ses renoncules mettent en joie. Invité du parcours Rousseau, le chanteur Stephan Eicher fait cette impression-là, devant la caméra où il se confie. Il raconte son herbier, celui de Jean-Jacques à l’île Saint-Pierre, herbier qu’il a reconstitué en 2012, avec la complicité du botaniste Laurent Burgisser. Il a l’air paisible d’un marcheur enfin allégé des tourments de la société.
Cette vision d’un Rousseau bien intériorisé est l’une des belles surprises du parcours – une exposition permanente – rêvé par Guillaume Chenevière, Martin Rueff et l’architecte zurichois Tristan Kobler. Ce trio s’est donné une double mission: affranchir le citoyen de Genève de la pompe et des dithyrambes obligés, lui restituer sa vigueur inquiète, ses audaces d’angoissé; donner, d’autre part, à un espace qui n’est pas immense une étendue qui fasse écho aux voyages en tous genres d’un collectionneur de sensations. C’est une réussite sur les deux plans.
L’ÉNIGME FAITE HOMME
Jean-Jacques est un mobile. On pourrait le comparer à ces objets aériens du sculpteur Alexander Calder: une créature à la fois solide en apesanteur et imprévisible quand vient le vent. Selon les prismes, son visage varie: le tourmenté, le mal-aimé peut aussi inventer les conditions de fraternités nouvelles. Cette plasticité de pensée et d’humeur, c’est celle que suggère le portrait animé de l’écrivain, au-dessus de la cheminée, au seuil du parcours.
L’énigme du promeneur. «La plupart des maisons d’écrivain sont très ennuyeuses, soulignait l’autre jour Martin Rueff en préambule. Parce qu’elles sont tournées vers le passé. Or ce modèle est révolu. Avec Guillaume, nous avons voulu rendre Rousseau à ses lecteurs et aux jeunes en particulier, montrer qu’il embrasse tout ou presque, le mystère de l’amour comme la grande question de la liberté, que sa pensée ne fournit pas des réponses toutes faites mais qu’elle est un aiguillon.»
Cette idée d’un homme-monde sous-tend la déambulation. Tristan Kobler a tracé ainsi une double allée, composée de stations, chacune correspondant à un thème: la nature, l’enfance, Genève, la musique, etc. Ces plages sont des galaxies: citations, reproductions d’oeuvres, extraits de spectacles cohabitent avec des courts métrages réalisés par les étudiants d’écoles de cinéma, autant d’incises ludiques.
Mais écoutez la bande-son. Elle infuse de partout: des mouches bourdonnent, des clarines appellent à l’alpage. Sur toute la longueur du mur, les images d’une prairie – un film – vous absorbent. Voyez aussi comme cette forêt montagnarde change de couleur. Des saisons basculent. Le monde est une surprise renouvelée. Vous voilà sur la route avec ce diable de Rousseau. Pas un saint, non, mais un monstre d’humanité, tantôt féroce comme un reptile préhistorique, tantôt mélancolique comme un poisson trahi par la berge, ainsi que le suggère un masque conçu par Werner Strub. Notre frère, au fond.