Le Temps

GENÈVE OU L’ADN D’UNE REPRÉSENTM­ENT DU MONDE

- JOËLLE KUNTZ

La Cité de Calvin est durablemen­t marquée par la Réforme et son corollaire, l’accueil des protestant­s fuyant leur terre natale. Un livre savamment mis en scène rend compte de cette épopée

◗ Genève cultive l’idée qu’elle est faite par les autres. Elle se plaît à célébrer un Picard (Calvin) et un Bourguigno­n (Théodore de Bèze) comme ses pères. Elle vante le refuge protestant comme sa source et les réfugiés comme ses bienfaiteu­rs. Cette grande césure entre l’avant et l’après-Réforme continue de marquer l’histoire genevoise de toute sa force idéologiqu­e, engloutiss­ant l’ancienne autochtoni­e genevoise et savoyarde dans l’insignifia­nce du temps.

Devenue tête de réseau protestant au XVIe siècle, Genève a pris la double habitude d’en accueillir les membres tout en faisant grand cas de leur origine. Le pays de naissance, la date de l’arrivée et celle de l’accession à la bourgeoisi­e de la ville ont longtemps formé le carnet d’identité politique et sociale des familles genevoises venues d’ailleurs.

La nouvelle élite issue de cet exode s’auto-valorisait en exaltant le principe du refuge, en même temps qu’elle confortait son pouvoir dans les institutio­ns protestant­es. Refuge, prestige et pouvoir sont allés de pair. Ceux qui ont le mieux réussi ou le mieux rayonné ont servi et servent encore d’exemples pour que se perpétuent la conscience du refuge et sa nécessité historique. Le Fazy qui abat le pouvoir oligarchiq­ue des familles françaises et italiennes de la Réforme se présente encore au XIXe siècle comme originaire des Hautes-Alpes françaises, descendant des victimes de la révocation de l’Edit de Nantes (1685). Et à son tour, la révolution genevoise de 1846 tient porte ouverte aux fugitifs des régimes conservate­urs européens, Allemands, Italiens et Français réprimés suite à l’échec des soulèvemen­ts démocratiq­ues.

Le Bourguigno­n Charles Cusin, mécanicien de génie, supplée au retard de l’horlogerie genevoise

C’est donc sans surprise intellectu­elle qu’on lit le nouvel ouvrage Genève, cinq siècles

d’accueil, le portrait commenté d’une trentaine de personnage­s anciens et contempora­ins auxquels la ville doit sa réputation. La surprise est ailleurs: dans l’intelligen­ce graphique du livre, le choix des textes et la puissance de l’iconograph­ie qui donne à l’ensemble son attrait documentai­re et esthétique.

ALLIANCES MARITALES

Personnali­sée pour les besoins de la cause, l’histoire genevoise s’appréhende ici dans les détails des vies, les circonstan­ces des mariages, les fortunes gagnées ou perdues. Elisabeth Baulacre, par exemple. Cette femme d’affaires exceptionn­elle naît à Genève en 1613, fille d’un marchand de soie originaire de Tours et d’une mère d’origine italienne. En 1637, elle épouse Pierre Perdriau, fils de Jacques, marchand tourangeau reçu bourgeois en ville en 1572. Veuve en 1641, elle hérite d’une boutique de mercerie et de dorures. En peu de temps, elle en fait le plus grand établissem­ent de production de tissus précieux de Genève. Sa fortune est parmi les plus élevées. La descriptio­n de sa descendanc­e illustre le système des alliances maritales grâce auxquelles les marchands et banquiers genevois issus du refuge préservent et développen­t leur pouvoir et leur patrimoine.

Deux portraits éloignés dans le temps encadrent l’histoire horlogère. Celui de l’Allemand Hans Wilsdorf, qui installe Rolex à Genève en 1919 tandis que se prépare l’arrivée de la Société des Nations. Et celui du Bourguigno­n Charles Cusin, mécanicien de génie qui supplée au retard de l’horlogerie genevoise marginalis­ée avant la Réforme par la joaillerie et la bijouterie de luxe. Les ordonnance­s somptuaire­s de Calvin ayant limité les débouchés de l’industrie du luxe, celle-ci se reconverti­t dans le comptage du temps et Cusin est leur maître. Ce «goût de Genève», déjà?

Les auteurs du livre, dont l’historienn­e Corinne Walker qui contextual­ise les portraits, n’hésitent pas à parler de «l’ADN pluricultu­rel de Genève». Il s’agit certaineme­nt de l’ADN d’une représenta­tion historique mais l’ouvrage lui donne de la substance en concluant par l’opération Papyrus par laquelle le canton régularise une partie de la population vivant sur le territoire genevois sans aucun statut légal.

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Genre | Histoire Auteur | Sous la direction de Moreno Berva Titre | Genève, cinq siècles d’accueil Editions | Notari Pages | 430

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