UNE FEMME À LA CONQUÊTE DE SA CITOYENNETÉ
L’égalité en matière de droits politiques était son cheval de bataille. Née en 1848, Hubertine Auclert s’est heurtée à son époque et notamment aux femmes hostiles au changement. Un destin hors du commun révélé par son journal
S’il fallait trouver un mot pour qualifier Hubertine Auclert, ce serait celui de pionnière. Parce que oui, elle a frayé un chemin. Pionnière et militante, les deux termes renvoient au monde militaire, et son acharnement à continuer la lutte, envers et contre tous, et souvent contre toutes, la rapproche presque de la discipline soldatesque. Ou de celle d’une religieuse à qui rien ne fait perdre la foi. C’était d’ailleurs sa première vocation: elle sera pourtant jugée trop mystique par les religieuses, qui n’ont pas voulu d’elle.
LE HASARD ET LA TÉNACITÉ
Aujourd’hui quasiment tombée dans l’oubli, si ce n’est par le centre qui porte son nom, un organisme pour l’égalité femmeshommes, Hubertine Auclert (1848-1914) est comme effacée de la mémoire collective. Le mot féminisme, c’est bien elle pourtant qui va l’utiliser pour désigner la recherche d’égalité, et principalement la lutte pour les droits politiques des femmes.
Hubertine Auclert a tenu un journal de ses années de combat mais l’original a disparu. Un chercheur avait bien eu l’idée d’en photocopier les pages mais elles étaient introuvables, elles aussi. Et voilà qu’elles sont réapparues un jour de novembre 2018, au hasard d’un passage à la bibliothèque, alors que depuis six ans les recherches de Nicole Cadène étaient restées infructueuses. La ténacité de cette historienne, spécialisée dans les féminismes de la seconde moitié du XIXe siècle, a fini par payer. Le résultat en est ce Journal d’une suffragiste, édition critique, rigoureuse et pleine d’informations.
«L’URNE DU MENSONGE»
Le journal, incomplet, couvre trois années, de juin 1883 à mars 1886. Il rend compte du travail acharné que représentent les tâches quotidiennes d’une féministe historique: la recherche de salles pour tenir des conférences, malgré sa peur de parler en public et l’hostilité qu’elle rencontre. Surtout celle des femmes («elles me cracheraient au visage si elles le pouvaient»), promptes à l’accuser d’avoir des manières de «raccrocheuse». Hubertine Auclert dit sa solitude, son amertume aussi du peu de reconnaissance. Elle cherche des vendeurs pour son journal La Citoyenne, qu’elle fonde en 1881. Elle écrit aussi de nombreux articles. Et quand il lui reste du temps, elle tente de rallier de nouvelles adhérentes à son groupe «Le suffrage des femmes».
On reste frappé par sa modernité: ses actions symboliques feront parler d’elle, elle n’hésite pas à renverser «l’urne du mensonge» dans un bureau de vote aux élections de 1908. Elle fait irruption dans une cérémonie de mariage pour tenter de dissuader la femme de promettre obéissance à son mari. Et elle refusera de payer ses impôts, puisqu’elle ne peut ni voter, ni être inscrite sur les listes électorales… Activisme et rébellion, Hubertine Auclert était une femme moderne. Admiration et gratitude.