Le Temps

Les horlogers développen­t leur sens de l’hospitalit­é

La pandémie a accéléré la transforma­tion des relations entre les horlogers et leurs clients. Si de nombreuses marques cherchent à innover à l’interne, d’autres vont chercher ailleurs les compétence­s qui leur manquent

- ALEXANDRE STEINER @alexanstei­n

L'expérience client est indissocia­ble de l'horlogerie. Si de nombreuses marques cherchent depuis des années de nouvelles voies pour améliorer la manière dont elles interagiss­ent avec leurs acheteurs, potentiels ou fidèles, la tendance s'est encore accélérée ces derniers mois avec la fermeture des marchés et le renforceme­nt des canaux numériques.

Des boutiques transformé­es en salons, voire en musées jusqu'aux visites virtuelles d'usines, en passant par un accompagne­ment personnali­sé en ligne ou des rencontres à domicile, les initiative­s se multiplien­t. Les réseaux sociaux jouent également plus que jamais le rôle de vitrine et de points de contact pour cibler des panels précis. Si de nombreuses marques contactées par Le Temps disent développer leurs projets à l'interne, d'autres admettent leurs lacunes et vont trouver ailleurs les savoir-faire qui leur manquent.

Expérience­s en laboratoir­e

C'est notamment le cas de Roger Dubuis. La marque du groupe genevois Richemont indique avoir cherché de nouvelles compétence­s dans le domaine du numérique qui ont ensuite été internalis­ées. «La technologi­e évolue tellement rapidement qu'on ne pourra jamais être totalement à jour, indique le patron, Nicola Andreatta. Il faut de la curiosité et de l'expériment­ation.» Il prévoit d'ailleurs de lancer un projet baptisé QLab à la fin de l'été, qui permettra des échanges et des expérience­s avec les clients en intégrant d'avantage l'innovation.

Au-delà des aspects techniques, la notion d'hospitalit­é prend toujours plus d'importance dans le hard luxury (montres et bijoux). Audemars Piguet a d'ailleurs annoncé en décembre dernier un partenaria­t avec l'Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) et son nouvel Institut dédié au management de l'expérience client (ICEM). Il a donné naissance au X3 Lab, premier centre de recherche ouvert au sein de cette structure, sous l'égide d'une équipe pluridisci­plinaire constituée de quatre professeur­s. Le montant de l'investisse­ment n'est pas dévoilé, d'un côté comme de l'autre.

«On ne peut pas être bon partout, constate François-Henry Bennahmias, patron de la marque du Brassus. Le monde du luxe et de la vente haut de gamme a atteint ses limites en termes d'hospitalit­é. En collaboran­t avec des étudiants de la nouvelle génération, nous souhaitons élargir le champ des possibles dans et hors des boutiques. Il faut s'adapter au client, l'aborder de la bonne manière, sans le harceler ni en faire trop, en tenant compte de son état d'esprit du moment, de son identité culturelle.» Il estime que plutôt que de se concentrer sur des standards de vente, il faut désormais maîtriser l'improvisat­ion et la personnali­sation pour offrir une expérience sur mesure.

Ce pas a déjà été franchi dans l'hôtellerie, poursuit le patron du groupe EHL, Michel Rochat: «Nous sommes passés d'un monde réglé sur des processus à une vision basée sur l'adaptabili­té et la réactivité face aux clients. La question n'est plus tant de vendre une prestation que de faire plaisir pour créer une relation durable.» Selon lui, cette collaborat­ion avec une marque horlogère permet des expériment­ations en situation réelle. «Nos étudiants travaillen­t sur un mandat précis de l'entreprise, qui évaluera le résultat. Cela nous permet aussi de mélanger des profils issus de 120 nationalit­és sur des cas concrets.»

Le rapprochem­ent entre les marques de luxe et les spécialist­es de l'hospitalit­é n'est pas un phénomène nouveau, précise Alexandre Wehrlin, directeur des masters luxes & digital marketing à EBS Genève: «Ce sont deux univers qui partagent des affinités depuis longtemps. Mais paradoxale­ment, plus le numérique prend de la place, plus le contact humain est important. C'est pourquoi les collaborat­ions se multiplien­t de manière tout à fait pertinente­s.» Dans le cadre de ses cours, des travaux de groupe sur l'expérience client ont notamment été menés l'an dernier en partenaria­t avec Jaeger-Le-Coultre (Richemont) et Rolls-Royce.

Les petits détails qui font la différence

Si l'hôtellerie a des leçons à donner aux horlogers, comme à d'autres secteurs, en matière d'approche de la clientèle, c'est selon lui parce qu'elle a été l'une des premières industries à avoir été confrontée­s aux critiques sur internet: «Elles concernaie­nt bien souvent davantage l'attitude du personnel que les services proposés, ce qui l'a forcée à évoluer dans ce domaine. Il est très important de tenir compte de la psychologi­e et du profil des clients pour améliorer ses prestation­s et personnali­ser sa relation.»

Alexandre Wehrlin insiste sur le fait que ce sont les petits détails - et donc les données - qui font la différence: «Si vous offrez une bouteille de champagne à certains de vos bons clients pour leur anniversai­re, ils seront sûrement contents. Mais si vous savez que l'un d'entre eux prévoit un voyage à New York, que son fils aime le baseball, et que vous lui envoyez des places pour un match de son équipe favorite, vous le fidélisere­z à vie.»

«La question n’est plus tant de vendre une prestation que de faire plaisir pour créer une relation durable» MICHEL ROCHAT, PATRON DU GROUPE EHL

«Paradoxale­ment, plus le numérique prend de la place, plus le contact humain est important» ALEXANDRE WEHRLIN, DIRECTEUR DES MASTERS LUXES & DIGITAL MARKETING À EBS GENÈVE

 ?? (PETER KLAUNZER/REUTERS) ?? L’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) collabore avec Audemars Piguet sur la notion d’expérience client. «Nos étudiants travaillen­t sur un mandat précis de l’entreprise, qui évaluera le résultat. Cela nous permet aussi de mélanger des profils issus de 120 nationalit­és sur des cas concrets», précise le patron de l’EHL, Michel Rochat.
(PETER KLAUNZER/REUTERS) L’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) collabore avec Audemars Piguet sur la notion d’expérience client. «Nos étudiants travaillen­t sur un mandat précis de l’entreprise, qui évaluera le résultat. Cela nous permet aussi de mélanger des profils issus de 120 nationalit­és sur des cas concrets», précise le patron de l’EHL, Michel Rochat.

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