Les horlogers développent leur sens de l’hospitalité
La pandémie a accéléré la transformation des relations entre les horlogers et leurs clients. Si de nombreuses marques cherchent à innover à l’interne, d’autres vont chercher ailleurs les compétences qui leur manquent
L'expérience client est indissociable de l'horlogerie. Si de nombreuses marques cherchent depuis des années de nouvelles voies pour améliorer la manière dont elles interagissent avec leurs acheteurs, potentiels ou fidèles, la tendance s'est encore accélérée ces derniers mois avec la fermeture des marchés et le renforcement des canaux numériques.
Des boutiques transformées en salons, voire en musées jusqu'aux visites virtuelles d'usines, en passant par un accompagnement personnalisé en ligne ou des rencontres à domicile, les initiatives se multiplient. Les réseaux sociaux jouent également plus que jamais le rôle de vitrine et de points de contact pour cibler des panels précis. Si de nombreuses marques contactées par Le Temps disent développer leurs projets à l'interne, d'autres admettent leurs lacunes et vont trouver ailleurs les savoir-faire qui leur manquent.
Expériences en laboratoire
C'est notamment le cas de Roger Dubuis. La marque du groupe genevois Richemont indique avoir cherché de nouvelles compétences dans le domaine du numérique qui ont ensuite été internalisées. «La technologie évolue tellement rapidement qu'on ne pourra jamais être totalement à jour, indique le patron, Nicola Andreatta. Il faut de la curiosité et de l'expérimentation.» Il prévoit d'ailleurs de lancer un projet baptisé QLab à la fin de l'été, qui permettra des échanges et des expériences avec les clients en intégrant d'avantage l'innovation.
Au-delà des aspects techniques, la notion d'hospitalité prend toujours plus d'importance dans le hard luxury (montres et bijoux). Audemars Piguet a d'ailleurs annoncé en décembre dernier un partenariat avec l'Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) et son nouvel Institut dédié au management de l'expérience client (ICEM). Il a donné naissance au X3 Lab, premier centre de recherche ouvert au sein de cette structure, sous l'égide d'une équipe pluridisciplinaire constituée de quatre professeurs. Le montant de l'investissement n'est pas dévoilé, d'un côté comme de l'autre.
«On ne peut pas être bon partout, constate François-Henry Bennahmias, patron de la marque du Brassus. Le monde du luxe et de la vente haut de gamme a atteint ses limites en termes d'hospitalité. En collaborant avec des étudiants de la nouvelle génération, nous souhaitons élargir le champ des possibles dans et hors des boutiques. Il faut s'adapter au client, l'aborder de la bonne manière, sans le harceler ni en faire trop, en tenant compte de son état d'esprit du moment, de son identité culturelle.» Il estime que plutôt que de se concentrer sur des standards de vente, il faut désormais maîtriser l'improvisation et la personnalisation pour offrir une expérience sur mesure.
Ce pas a déjà été franchi dans l'hôtellerie, poursuit le patron du groupe EHL, Michel Rochat: «Nous sommes passés d'un monde réglé sur des processus à une vision basée sur l'adaptabilité et la réactivité face aux clients. La question n'est plus tant de vendre une prestation que de faire plaisir pour créer une relation durable.» Selon lui, cette collaboration avec une marque horlogère permet des expérimentations en situation réelle. «Nos étudiants travaillent sur un mandat précis de l'entreprise, qui évaluera le résultat. Cela nous permet aussi de mélanger des profils issus de 120 nationalités sur des cas concrets.»
Le rapprochement entre les marques de luxe et les spécialistes de l'hospitalité n'est pas un phénomène nouveau, précise Alexandre Wehrlin, directeur des masters luxes & digital marketing à EBS Genève: «Ce sont deux univers qui partagent des affinités depuis longtemps. Mais paradoxalement, plus le numérique prend de la place, plus le contact humain est important. C'est pourquoi les collaborations se multiplient de manière tout à fait pertinentes.» Dans le cadre de ses cours, des travaux de groupe sur l'expérience client ont notamment été menés l'an dernier en partenariat avec Jaeger-Le-Coultre (Richemont) et Rolls-Royce.
Les petits détails qui font la différence
Si l'hôtellerie a des leçons à donner aux horlogers, comme à d'autres secteurs, en matière d'approche de la clientèle, c'est selon lui parce qu'elle a été l'une des premières industries à avoir été confrontées aux critiques sur internet: «Elles concernaient bien souvent davantage l'attitude du personnel que les services proposés, ce qui l'a forcée à évoluer dans ce domaine. Il est très important de tenir compte de la psychologie et du profil des clients pour améliorer ses prestations et personnaliser sa relation.»
Alexandre Wehrlin insiste sur le fait que ce sont les petits détails - et donc les données - qui font la différence: «Si vous offrez une bouteille de champagne à certains de vos bons clients pour leur anniversaire, ils seront sûrement contents. Mais si vous savez que l'un d'entre eux prévoit un voyage à New York, que son fils aime le baseball, et que vous lui envoyez des places pour un match de son équipe favorite, vous le fidéliserez à vie.»
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«La question n’est plus tant de vendre une prestation que de faire plaisir pour créer une relation durable» MICHEL ROCHAT, PATRON DU GROUPE EHL
«Paradoxalement, plus le numérique prend de la place, plus le contact humain est important» ALEXANDRE WEHRLIN, DIRECTEUR DES MASTERS LUXES & DIGITAL MARKETING À EBS GENÈVE