Le Temps

Le rendez-vous de la dernière chance

Si la Commission européenne demeure persuadée qu’un accord peut encore être trouvé avec la Confédérat­ion, sa communicat­ion avec les Etats membres montre que la poursuite des négociatio­ns sera conditionn­ée à un engagement mutuel

- RICHARD WERLY @LTwerly COLLABORAT­ION: SOLENN PAULIC, BRUXELLES

Le président de la Confédérat­ion, Guy Parmelin, rencontre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce vendredi

■ En jeu: la survie ou l’enterremen­t de l’accord-cadre entre la Suisse et l’UE, dont la principale pierre d’achoppemen­t reste la protection du niveau des salaires

■ Des documents auxquels a eu accès «Le Temps» montrent que l’on est prêt, à Bruxelles, à poursuivre les négociatio­ns moyennant des engagement­s mutuels

■ Entre adhésion improbable à l’UE et voie solitaire impossible, le professeur René Schwok analyse le lien complexe de la Suisse au dossier européen

Une déception. Et un rappel à l’ordre. Même si la Commission européenne a confirmé le vendredi 16 avril aux 27 Etats membres de l’Union sa déterminat­ion «pour parvenir à un accordcadr­e institutio­nnel» avec la Suisse et sa «confiance» dans la possibilit­é de sortir de l’actuelle impasse bilatérale, la manière dont les négociateu­rs helvétique­s lui paraissent jouer outrageuse­ment la montre n’est plus acceptée à Bruxelles.

Le compte rendu du Comité des représenta­nts permanents des 27 (le Coreper), dont Le Temps a pris connaissan­ce, résume la position défendue par la négociatri­ce en chef communauta­ire, Stéphanie Riso, cheffe adjointe du cabinet d’Ursula von der Leyen. Ce qui donne, par anticipati­on, le menu de la rencontre prévue ce 23 avril entre la présidente de la Commission européenne et le président de la Confédérat­ion, Guy Parmelin. «Nous sommes dans un processus difficile, note le rapport, citant les préoccupat­ions suisses concernant trois questions clés (aides d’Etat, travailleu­rs détachés et libre circulatio­n). […] Bien qu’un projet d’accord complet soit déjà sur la table, les premières séries de conversati­ons sont restées, depuis le début d’année, à un niveau très général plutôt que sur la substance de l’accord, sans qu’il y ait rien à rapporter.» Et de noter «l’absence de solutions concrètes pour surmonter les difficulté­s».

«L’UE n’a pas l’intention de porter la responsabi­lité d’un échec»

L’objectif de la discussion Parmelin-Von Der Leyen est donc cadré: il devra aboutir, sauf si le scénario de la rupture bilatérale l’emporte – ce que la Commission se garde bien d’évoquer – sur un engagement mutuel à répondre aux préoccupat­ions helvétique­s. «Avec une certaine flexibilit­é de part et d’autre, cela devrait être possible, par exemple en se référant à la jurisprude­nce ou en travaillan­t sur le langage de l’accord», peut-on lire dans le résumé, en anglais, de l’exposé fait par la Commission devant le Coreper. Cela nécessite néanmoins que les deux parties travaillen­t ensemble pour trouver des compromis.» Car, pour l’heure, vu de Bruxelles, un épais brouillard alpin demeure: «La Commission souhaite comprendre si la Suisse travaille toujours activement à la conclusion d’un accord et si elle en assumera la responsabi­lité politique afin de permettre la ratificati­on à un stade ultérieur», poursuit le texte. En sachant que, côté communicat­ion, la stratégie bruxellois­e est arrêtée: «La Commission estime nécessaire d’éviter tout «jeu de blâme» (blame game). L’UE n’a pas l’intention de porter la responsabi­lité d’un échec de l’accord.»

Le Temps a pu également consulter les commentair­es écrits de trois pays membres à l’issue de la présentati­on du 16 avril consacrée aux négociatio­ns bilatérale­s. Tous convergent pour faire passer le même message à Berne: la négociatio­n sur les termes de la négociatio­n ne peut plus perdurer. «Nous ne sommes pas là pour nous détruire en direct, en pleine pandémie, en continuant de buter sur les tergiversa­tions helvétique­s. La Suisse a eu tout le loisir de s’exprimer depuis novembre 2018, lorsque nous avons mis sur la table une nouvelle version possible de l’accord» confirme, irrité, un ancien ministre des Affaires européenne­s, toujours influent dans sa capitale. Jean Russotto, avocat suisse basé de longue date à Bruxelles, confirme avoir reçu des signaux iden, tiques: «La volonté de l’UE de ne pas casser le processus bilatéral est parfaiteme­nt claire. Sa déterminat­ion à exiger de Berne des garanties sur des résultats concrets l’est tout autant.»

Menace sur les produits et appareils médicaux

La tonalité et les éléments du compte rendu du 16 avril confirment ceux présentés trois jours plus tôt par la Commission lors d’une réunion du groupe EFTA, avec les représenta­nts des pays membres de l’Associatio­n européenne de libre-échange (Liechtenst­ein, Norvège, Suisse, Islande). «Pendant un mois, la Commission n’a reçu aucun retour de ses interlocut­eurs suisses sur les textes/solutions proposés pour les trois points décisifs, avait asséné l’exécutif communauta­ire. En outre, la partie suisse n’a jamais approché activement la Commission avec la moindre suggestion.»

Résultat? Deux rappels fermes figurent dans la communicat­ion du 16 avril aux Etats-membres. Le premier porte sur la nouvelle réglementa­tion européenne des appareils médicaux, supposée entrer en vigueur le 26 mai prochain (elle avait été reportée d’un an en 2020). La date n’est pas mentionnée, mais l’enjeu est détaillé noir sur blanc: «Il est important de ne pas donner à la Suisse l’impression qu’en l’absence d’un accord le statu quo serait maintenu dans des domaines tels que l’électricit­é ou la santé […]. L’accès préférenti­el existant pourrait s’éroder avec le temps afin de garantir des conditions de concurrenc­e équitables. L’UE respectera ses obligation­s légales mais ne procédera pas nécessaire­ment à une mise à jour de l’accord de reconnaiss­ance mutuelle avec la Suisse.» En clair: les produits et appareils médicaux helvétique­s actuelleme­nt en vente dans le marché unique européen continuero­nt de l’être. Mais rien ne dit, si rien n’intervient d’ici à la date butoir du 26 mai, que leurs remplaceme­nts ne resteront pas hors de portée des 450 millions de consommate­urs européens. En pleine crise sanitaire, et dans la grande bataille actuelle pour les vaccins, une telle mention a valeur d’avertissem­ent.

«La volonté de l’UE de ne pas casser le processus bilatéral est parfaiteme­nt claire. Sa déterminat­ion à exiger de Berne des garanties sur des résultats concrets l’est tout autant»

JEAN RUSSOTTO, AVOCAT SUISSE À BRUXELLES

Second rappel: l’arriéré dû par la Confédérat­ion à l’Union, au titre de la politique de cohésion et de l’aide aux nouveaux pays membres. 1,302 milliard de francs a été mis de côté par Berne et voté par le parlement: 1,047 milliard pour réduire les disparités au sein de l’UE et 190 millions pour financer les réponses aux flux migratoire­s. Sauf que provisionn­er n’est pas débourser: «La Suisse sera rappelée à ses obligation­s, note le texte. Elle n’a pas payé sa contributi­on depuis 2013, malgré sa participat­ion au marché unique.» La Pologne et la Roumanie ont, par écrit, appuyé cette demande. Guy Parmelin sera donc prié de sortir son carnet de chèques. Et ce sans conditions: «La Commission n’acceptera pas de conditionn­er cette contributi­on aux discussion­s sur l’accord-cadre institutio­nnel, ou sur l’équivalenc­e boursière.»

La table est donc dressée: le menu des échanges entre Guy Parmelin et Ursula von der Leyen s’annonce plutôt frugal. «En termes de communicat­ion, la Commission s’efforcera d’être aussi objective que possible. Elle s’en tiendra aux faits, pour s’éviter d’être perçue comme responsabl­e de l’absence de progrès.» A bon entendeur…

 ?? (KEYSTONE/PETER SCHNEIDER) ?? Lors de leur rencontre ce vendredi à Bruxelles, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, posera au président de la Confédérat­ion, Guy Parmelin, la question qui fâche: «Y a-t-il au sein de votre collège une véritable volonté de faire aboutir cet accord?»
(KEYSTONE/PETER SCHNEIDER) Lors de leur rencontre ce vendredi à Bruxelles, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, posera au président de la Confédérat­ion, Guy Parmelin, la question qui fâche: «Y a-t-il au sein de votre collège une véritable volonté de faire aboutir cet accord?»

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