Le rendez-vous de la dernière chance
Si la Commission européenne demeure persuadée qu’un accord peut encore être trouvé avec la Confédération, sa communication avec les Etats membres montre que la poursuite des négociations sera conditionnée à un engagement mutuel
Le président de la Confédération, Guy Parmelin, rencontre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce vendredi
■ En jeu: la survie ou l’enterrement de l’accord-cadre entre la Suisse et l’UE, dont la principale pierre d’achoppement reste la protection du niveau des salaires
■ Des documents auxquels a eu accès «Le Temps» montrent que l’on est prêt, à Bruxelles, à poursuivre les négociations moyennant des engagements mutuels
■ Entre adhésion improbable à l’UE et voie solitaire impossible, le professeur René Schwok analyse le lien complexe de la Suisse au dossier européen
Une déception. Et un rappel à l’ordre. Même si la Commission européenne a confirmé le vendredi 16 avril aux 27 Etats membres de l’Union sa détermination «pour parvenir à un accordcadre institutionnel» avec la Suisse et sa «confiance» dans la possibilité de sortir de l’actuelle impasse bilatérale, la manière dont les négociateurs helvétiques lui paraissent jouer outrageusement la montre n’est plus acceptée à Bruxelles.
Le compte rendu du Comité des représentants permanents des 27 (le Coreper), dont Le Temps a pris connaissance, résume la position défendue par la négociatrice en chef communautaire, Stéphanie Riso, cheffe adjointe du cabinet d’Ursula von der Leyen. Ce qui donne, par anticipation, le menu de la rencontre prévue ce 23 avril entre la présidente de la Commission européenne et le président de la Confédération, Guy Parmelin. «Nous sommes dans un processus difficile, note le rapport, citant les préoccupations suisses concernant trois questions clés (aides d’Etat, travailleurs détachés et libre circulation). […] Bien qu’un projet d’accord complet soit déjà sur la table, les premières séries de conversations sont restées, depuis le début d’année, à un niveau très général plutôt que sur la substance de l’accord, sans qu’il y ait rien à rapporter.» Et de noter «l’absence de solutions concrètes pour surmonter les difficultés».
«L’UE n’a pas l’intention de porter la responsabilité d’un échec»
L’objectif de la discussion Parmelin-Von Der Leyen est donc cadré: il devra aboutir, sauf si le scénario de la rupture bilatérale l’emporte – ce que la Commission se garde bien d’évoquer – sur un engagement mutuel à répondre aux préoccupations helvétiques. «Avec une certaine flexibilité de part et d’autre, cela devrait être possible, par exemple en se référant à la jurisprudence ou en travaillant sur le langage de l’accord», peut-on lire dans le résumé, en anglais, de l’exposé fait par la Commission devant le Coreper. Cela nécessite néanmoins que les deux parties travaillent ensemble pour trouver des compromis.» Car, pour l’heure, vu de Bruxelles, un épais brouillard alpin demeure: «La Commission souhaite comprendre si la Suisse travaille toujours activement à la conclusion d’un accord et si elle en assumera la responsabilité politique afin de permettre la ratification à un stade ultérieur», poursuit le texte. En sachant que, côté communication, la stratégie bruxelloise est arrêtée: «La Commission estime nécessaire d’éviter tout «jeu de blâme» (blame game). L’UE n’a pas l’intention de porter la responsabilité d’un échec de l’accord.»
Le Temps a pu également consulter les commentaires écrits de trois pays membres à l’issue de la présentation du 16 avril consacrée aux négociations bilatérales. Tous convergent pour faire passer le même message à Berne: la négociation sur les termes de la négociation ne peut plus perdurer. «Nous ne sommes pas là pour nous détruire en direct, en pleine pandémie, en continuant de buter sur les tergiversations helvétiques. La Suisse a eu tout le loisir de s’exprimer depuis novembre 2018, lorsque nous avons mis sur la table une nouvelle version possible de l’accord» confirme, irrité, un ancien ministre des Affaires européennes, toujours influent dans sa capitale. Jean Russotto, avocat suisse basé de longue date à Bruxelles, confirme avoir reçu des signaux iden, tiques: «La volonté de l’UE de ne pas casser le processus bilatéral est parfaitement claire. Sa détermination à exiger de Berne des garanties sur des résultats concrets l’est tout autant.»
Menace sur les produits et appareils médicaux
La tonalité et les éléments du compte rendu du 16 avril confirment ceux présentés trois jours plus tôt par la Commission lors d’une réunion du groupe EFTA, avec les représentants des pays membres de l’Association européenne de libre-échange (Liechtenstein, Norvège, Suisse, Islande). «Pendant un mois, la Commission n’a reçu aucun retour de ses interlocuteurs suisses sur les textes/solutions proposés pour les trois points décisifs, avait asséné l’exécutif communautaire. En outre, la partie suisse n’a jamais approché activement la Commission avec la moindre suggestion.»
Résultat? Deux rappels fermes figurent dans la communication du 16 avril aux Etats-membres. Le premier porte sur la nouvelle réglementation européenne des appareils médicaux, supposée entrer en vigueur le 26 mai prochain (elle avait été reportée d’un an en 2020). La date n’est pas mentionnée, mais l’enjeu est détaillé noir sur blanc: «Il est important de ne pas donner à la Suisse l’impression qu’en l’absence d’un accord le statu quo serait maintenu dans des domaines tels que l’électricité ou la santé […]. L’accès préférentiel existant pourrait s’éroder avec le temps afin de garantir des conditions de concurrence équitables. L’UE respectera ses obligations légales mais ne procédera pas nécessairement à une mise à jour de l’accord de reconnaissance mutuelle avec la Suisse.» En clair: les produits et appareils médicaux helvétiques actuellement en vente dans le marché unique européen continueront de l’être. Mais rien ne dit, si rien n’intervient d’ici à la date butoir du 26 mai, que leurs remplacements ne resteront pas hors de portée des 450 millions de consommateurs européens. En pleine crise sanitaire, et dans la grande bataille actuelle pour les vaccins, une telle mention a valeur d’avertissement.
«La volonté de l’UE de ne pas casser le processus bilatéral est parfaitement claire. Sa détermination à exiger de Berne des garanties sur des résultats concrets l’est tout autant»
JEAN RUSSOTTO, AVOCAT SUISSE À BRUXELLES
Second rappel: l’arriéré dû par la Confédération à l’Union, au titre de la politique de cohésion et de l’aide aux nouveaux pays membres. 1,302 milliard de francs a été mis de côté par Berne et voté par le parlement: 1,047 milliard pour réduire les disparités au sein de l’UE et 190 millions pour financer les réponses aux flux migratoires. Sauf que provisionner n’est pas débourser: «La Suisse sera rappelée à ses obligations, note le texte. Elle n’a pas payé sa contribution depuis 2013, malgré sa participation au marché unique.» La Pologne et la Roumanie ont, par écrit, appuyé cette demande. Guy Parmelin sera donc prié de sortir son carnet de chèques. Et ce sans conditions: «La Commission n’acceptera pas de conditionner cette contribution aux discussions sur l’accord-cadre institutionnel, ou sur l’équivalence boursière.»
La table est donc dressée: le menu des échanges entre Guy Parmelin et Ursula von der Leyen s’annonce plutôt frugal. «En termes de communication, la Commission s’efforcera d’être aussi objective que possible. Elle s’en tiendra aux faits, pour s’éviter d’être perçue comme responsable de l’absence de progrès.» A bon entendeur…
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