Infrastructures: l’Inde joue la carte européenne pour contrer la Chine
Bruxelles s’allie avec New Delhi pour financer des routes, rails, ponts et autres infrastructures, sur le modèle de la nouvelle Route de la soie promue par la Chine. L’Inde se profile comme un contrepoids à son voisin et rival
Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Au moment où les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) traitent ouvertement la Chine de rivale stratégique, l’Inde joue la carte occidentale à fond. Dans une toute nouvelle démarche, elle s’allie avec l’Union européenne (UE) pour mettre en place un programme de financement d’infrastructures dans le monde. Le modèle: la nouvelle Route de la soie, aussi connu sous le nom de «Belt & Road Initiative» (BRI), un projet cher au président chinois Xi Jinping. Depuis 2013, Pékin finance routes, rails, ports et aéroports, énergie et télécommunications dans une centaine de pays, y compris des Etats membres de l’UE. L’Inde, elle, boude le programme chinois.
Des rumeurs entourant le projet indo-européen étaient dans l’air depuis quelque temps. Il a été confirmé par le Financial Times (FT) de jeudi qui affirme avoir discuté avec des sources européennes. Prochaine étape: il fera l’objet de dernières négociations entre dirigeants européens et indiens le 8 mai. A cette date, un sommet devait avoir lieu à Porto, ce qui devait être le clou de la présidence portugaise de l’Union au premier semestre 2021. Finalement, Covid-19 oblige, il aura lieu en mode virtuel. Il traitera forcément aussi de l’approfondissement des relations bilatérales. Kevin Net, gérant du fonds Inde chez EDR, affirme que l’économie indienne est de moins en moins protectionniste et s’ouvre davantage aux investisseurs étrangers.
Eviter la trappe de la dette
Selon un diplomate européen cité par le FT, «c’est une occasion de se mettre ensemble, créer un environnement favorable à la coopération internationale et offrir une alternative attractive à la BRI». Il affirme que les projets seront planifiés minutieusement, les financements publics et privés seront mobilisés en toute transparence et surtout sans enfoncer les pays bénéficiaires dans la trappe de la dette, laissant entendre que c’est souvent le cas avec des projets chinois.
«Tout le monde, y compris les pays européens, a besoin d’infrastructures, commente Kevin Net. Apparemment, le projet indo-européen vise non seulement les transports et les industries de réseau, mais aussi l’économie numérique.» Pour New Delhi, la modernisation des routes, rails et autres facilités est une vieille priorité nationale. A cet effet, le budget d’infrastructures 2021-2022 a été augmenté de 34%. L’objectif est de doter le pays d’infrastructures routières comparables à celles des Etats-Unis et d’Europe.
«C’est clairement un projet alternatif à la nouvelle Route de la soie. L’Inde s’offre comme un contrepoids au géant chinois. Pour elle, c’est l’occasion de se rapprocher un peu plus de pays occidentaux»
KEVIN NET, GÉRANT DU FONDS INDE CHEZ EDR
Kevin Net rappelle que le projet indo-européen a été dévoilé quelques jours seulement après l’annonce d’une coopération entre New Delhi et Bruxelles pour le développement de nouveaux standards du système télécom 5G. La Chine domine toujours ce marché au grand dam des Etats-Unis et de l’UE qui ont fini par bannir ses entreprises, dont les leaders Huawei et ZTE, au nom de la protection des données et de la sécurité nationale.
Contrecarrer la diplomatie vaccinale chinoise
«C’est clairement un projet alternatif à la nouvelle Route de la soie, analyse Kevin Net. L’Inde s’offre comme un contrepoids au géant chinois. Pour elle, c’est aussi l’occasion de se rapprocher un peu plus de pays occidentaux.» Le spécialiste rappelle que le Quad (Australie, Etats-Unis, Inde, Japon), qui était à la base un projet de coopération maritime, a étendu ses perspectives à divers domaines, y compris à la santé. Réunis en sommet le 12 mars dernier, les quatre chefs de gouvernement ont promis d’engager 2 milliards de dollars pour fournir des vaccins contre le Covid19 en Asie. Objectif: contrecarrer l’offensive diplomatique vaccinale de la Chine dans la région.
L’Inde gagne également sur le front économique en jouant la carte anti-chinoise. Alors que des entreprises américaines et européennes cherchent à délocaliser leur production de la Chine, elle se positionne comme une alternative crédible en se transformant en hub manufacturier. «En se rapprochant de pays occidentaux, le pays attire des investissements, à l’instar d’Apple qui y fabrique désormais 20% de ses iPhone, avec l’objectif de passer à 30% à terme, relève Kevin Net. L’an dernier, les grands groupes technologiques américains ont également annoncé des investissements de 17 milliards de dollars en Inde.»
Fonds américain
Les Etats-Unis ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de contrer l’influence chinoise grandissante, plus particulièrement en Afrique. En 2019, l’administration Trump a inauguré la Development Finance Corporation (DFC) dotée de 75 milliards de dollars pour y financer les projets d’infrastructures. Tant les Européens que les Américains veulent désormais rattraper leur retard par rapport aux investissements chinois.
■