Investir dans la biodiversité, mode d’emploi
Protéger la nature ne se limite pas à préserver des hectares de forêt tropicale. Différentes stratégies d’investissement permettent de réduire l’impact de l’activité humaine ou de favoriser les secteurs qui bénéficient à la biodiversité. Quelques exemples
Quelle quantité de biodiversité est-elle détruite pour produire un kilo de viande? De plus en plus d'investisseurs se posent ce genre de questions afin d'orienter leur portefeuille vers la protection de l'environnement. Et des réponses sont disponibles: dans le secteur agroalimentaire, générer 1 million de chiffre d'affaires nécessite de détruire la biodiversité contenue dans environ 200 km² de forêt vierge. Plusieurs stratégies sont possibles lorsqu'on veut investir en faveur de la biodiversité, entre sélectionner les entreprises ayant un impact positif, privilégier celles qui détruisent le moins possible de ressources ou trouver les sociétés qui apportent des solutions aux dégâts infligés à la nature.
La moitié de la richesse créée dans le monde dépendrait directement de la nature. Epuiser l'écosystème reviendrait donc aussi à détruire un moteur fondamental de l'activité humaine. Les seuils à ne pas dépasser, c'est justement ce que définissent les limites planétaires, développées en 2009 par le Stockholm Resilience Centre, un pôle de recherche sur la durabilité situé dans la capitale suédoise. Si l'activité humaine dépasse ces limites, des changements abruptes et irréversibles sur l'environnement sont à prévoir.
Parmi les neuf dimensions abordées, certaines ne sont pas franchies (utilisation de l'eau, acidification des océans). D'autres le sont, parfois largement: changement climatique, changement d'utilisation des sols, cycles biochimiques, et surtout la perte de diversité, avec un rythme de destruction dix fois supérieur à la limite à ne pas dépasser.
Rester dans les limites planétaires
«Nous identifions les entreprises qui non seulement n'ont pas un impact négatif sur ces aspects, mais qui en outre contribuent positivement sur au moins une dimension, décrit Gabriel Micheli, gérant du fonds Global Environmental Opportunities (GEO) de Pictet, actif sur cette thématique depuis 2014. Nous établissons un score pour chaque entreprise de notre univers d'investissement de 400 titres, en analysant l'impact du cycle de vie de ses produits, de l'utilisation des ressources naturelles au recyclage, sur ces neuf dimensions.»
Les sociétés retenues sont dans tous les cas actives dans les limites planétaires; celles qui progressent et pourraient prochainement respecter ce critère ne sont pas incluses dans ce fonds qui dépasse les 10 milliards de dollars alors que ses avoirs avoisinaient 2 milliards début 2020. «Les entreprises qui offrent des solutions doivent être favorisées», résume Gabriel Micheli.
Parmi les plus grandes positions figurent des acteurs des semi-conducteurs, qui travaillent à augmenter les capacités des systèmes informatiques tout en limitant leur consommation d'énergie. Des concepteurs de logiciels sont également appréciés, notamment pour la construction, dans la perspective de créer des bâtiments plus durables (le premier producteur de bois d'oeuvre du monde est aussi dans le portefeuille).
Débats sur l’agroalimentaire
Citons encore un consultant américain spécialisé dans les questions environnementales, un acteur du traitement des déchets, toujours aux Etats-Unis. Le producteur de viande végétale Beyond Meat et Givaudan figurent également dans le portefeuille sous le thème de l'agriculture durable, le premier car il fournit des substituts à la viande et le second car ses ingrédients sont utilisés pour donner du goût aux hamburgers Beyond Meat. Le secteur agroalimentaire est en revanche exclu «à cause de son impact très élevé sur la nature, à travers l'utilisation de l'eau, des sols ou d'engrais. Les entreprises de ce secteur se situent toujours largement au-delà des barrières planétaires», résume Gabriel Micheli, qui est aussi l'un des créateurs de la stratégie GEO de Pictet.
L'agroalimentaire est en revanche au centre de la stratégie d'Ossiam pour investir en faveur de la biodiversité. «Les grands acteurs de l'agroalimentaire sont incontournables pour nourrir la population mondiale et lorsque cette dernière approchera des 9 ou 10 milliards, ces sociétés devront produire avec un moindre impact sur la biodiversité tout en gardant des prix abordables», décrypte Carmine de Franco, responsable de la recherche de cette société de gestion d'actifs appartenant à Natixis, qui a lancé fin 2020 un ETF sur la biodiversité. Les entreprises de l'univers d'investissement sont classées selon leur impact sur la biodiversité selon l'indicateur MSA (lire ci-dessous). Avec un focus sur les grands groupes alimentaires comme Unilever, Nestlé ou même McDonald's «car ils peuvent faire évoluer les pratiques des producteurs ou des fournisseurs, notamment en leur assurant des financements», poursuit le spécialiste, qui souligne que le partenariat entre McDonald's (plus de 2,5 milliards de burgers vendus par an) et Beyond Meat est un exemple d'initiative avec un effet positif «colossal» pour la biodiversité.
Images satellites et drones pour l’agriculture
Le concept des limites planétaires est également utilisé par Lombard Odier, qui cherche à investir dans les modèles d'affaires qui atténuent l'impact des activités humaines. «On parle d'agriculture durable, de chaîne d'approvisionnement alimentaire intelligente et plus généralement de sociétés qui endommagent moins l'environnement lors de l'extraction des ressources et lors de la production de déchets, ou qui transforment leur modèle suffisamment rapidement pour anticiper les changements technologiques, de réglementation et de comportements des consommateurs», détaille depuis Londres Christopher Kaminker, responsable de la recherche et de la stratégie pour l'investissement durable.
Dans cette approche, les nouvelles technologies jouent un rôle considéré comme essentiel, pour offrir de nouvelles solutions. L'agriculture dite de précision, par exemple: «L'utilisation d'images satellites, de drones ou d'autres capteurs permet d'identifier les zones qui manquent d'un nutriment précis et de le fournir de manière très précise, avec des drones et des systèmes de gestion intelligents, de façon à limiter l'utilisation de produits nocifs», précise Thomas Hohne-Sparborth, analyse en durabilité dans l'équipe d'une vingtaine de personnes qui travaillent sur ces questions depuis trois ans chez Lombard Odier. La banque gère plus d'un demi-milliard de francs suisses dans des stratégies visant à préserver la biodiversité.
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«Les grands groupes alimentaires comme Unilever, Nestlé ou même McDonald peuvent faire évoluer les pratiques des producteurs ou des fournisseurs» CARMINE DE FRANCO, OSSIAM