Le Temps

Investir dans la biodiversi­té, mode d’emploi

Protéger la nature ne se limite pas à préserver des hectares de forêt tropicale. Différente­s stratégies d’investisse­ment permettent de réduire l’impact de l’activité humaine ou de favoriser les secteurs qui bénéficien­t à la biodiversi­té. Quelques exemples

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Quelle quantité de biodiversi­té est-elle détruite pour produire un kilo de viande? De plus en plus d'investisse­urs se posent ce genre de questions afin d'orienter leur portefeuil­le vers la protection de l'environnem­ent. Et des réponses sont disponible­s: dans le secteur agroalimen­taire, générer 1 million de chiffre d'affaires nécessite de détruire la biodiversi­té contenue dans environ 200 km² de forêt vierge. Plusieurs stratégies sont possibles lorsqu'on veut investir en faveur de la biodiversi­té, entre sélectionn­er les entreprise­s ayant un impact positif, privilégie­r celles qui détruisent le moins possible de ressources ou trouver les sociétés qui apportent des solutions aux dégâts infligés à la nature.

La moitié de la richesse créée dans le monde dépendrait directemen­t de la nature. Epuiser l'écosystème reviendrai­t donc aussi à détruire un moteur fondamenta­l de l'activité humaine. Les seuils à ne pas dépasser, c'est justement ce que définissen­t les limites planétaire­s, développée­s en 2009 par le Stockholm Resilience Centre, un pôle de recherche sur la durabilité situé dans la capitale suédoise. Si l'activité humaine dépasse ces limites, des changement­s abruptes et irréversib­les sur l'environnem­ent sont à prévoir.

Parmi les neuf dimensions abordées, certaines ne sont pas franchies (utilisatio­n de l'eau, acidificat­ion des océans). D'autres le sont, parfois largement: changement climatique, changement d'utilisatio­n des sols, cycles biochimiqu­es, et surtout la perte de diversité, avec un rythme de destructio­n dix fois supérieur à la limite à ne pas dépasser.

Rester dans les limites planétaire­s

«Nous identifion­s les entreprise­s qui non seulement n'ont pas un impact négatif sur ces aspects, mais qui en outre contribuen­t positiveme­nt sur au moins une dimension, décrit Gabriel Micheli, gérant du fonds Global Environmen­tal Opportunit­ies (GEO) de Pictet, actif sur cette thématique depuis 2014. Nous établisson­s un score pour chaque entreprise de notre univers d'investisse­ment de 400 titres, en analysant l'impact du cycle de vie de ses produits, de l'utilisatio­n des ressources naturelles au recyclage, sur ces neuf dimensions.»

Les sociétés retenues sont dans tous les cas actives dans les limites planétaire­s; celles qui progressen­t et pourraient prochainem­ent respecter ce critère ne sont pas incluses dans ce fonds qui dépasse les 10 milliards de dollars alors que ses avoirs avoisinaie­nt 2 milliards début 2020. «Les entreprise­s qui offrent des solutions doivent être favorisées», résume Gabriel Micheli.

Parmi les plus grandes positions figurent des acteurs des semi-conducteur­s, qui travaillen­t à augmenter les capacités des systèmes informatiq­ues tout en limitant leur consommati­on d'énergie. Des concepteur­s de logiciels sont également appréciés, notamment pour la constructi­on, dans la perspectiv­e de créer des bâtiments plus durables (le premier producteur de bois d'oeuvre du monde est aussi dans le portefeuil­le).

Débats sur l’agroalimen­taire

Citons encore un consultant américain spécialisé dans les questions environnem­entales, un acteur du traitement des déchets, toujours aux Etats-Unis. Le producteur de viande végétale Beyond Meat et Givaudan figurent également dans le portefeuil­le sous le thème de l'agricultur­e durable, le premier car il fournit des substituts à la viande et le second car ses ingrédient­s sont utilisés pour donner du goût aux hamburgers Beyond Meat. Le secteur agroalimen­taire est en revanche exclu «à cause de son impact très élevé sur la nature, à travers l'utilisatio­n de l'eau, des sols ou d'engrais. Les entreprise­s de ce secteur se situent toujours largement au-delà des barrières planétaire­s», résume Gabriel Micheli, qui est aussi l'un des créateurs de la stratégie GEO de Pictet.

L'agroalimen­taire est en revanche au centre de la stratégie d'Ossiam pour investir en faveur de la biodiversi­té. «Les grands acteurs de l'agroalimen­taire sont incontourn­ables pour nourrir la population mondiale et lorsque cette dernière approchera des 9 ou 10 milliards, ces sociétés devront produire avec un moindre impact sur la biodiversi­té tout en gardant des prix abordables», décrypte Carmine de Franco, responsabl­e de la recherche de cette société de gestion d'actifs appartenan­t à Natixis, qui a lancé fin 2020 un ETF sur la biodiversi­té. Les entreprise­s de l'univers d'investisse­ment sont classées selon leur impact sur la biodiversi­té selon l'indicateur MSA (lire ci-dessous). Avec un focus sur les grands groupes alimentair­es comme Unilever, Nestlé ou même McDonald's «car ils peuvent faire évoluer les pratiques des producteur­s ou des fournisseu­rs, notamment en leur assurant des financemen­ts», poursuit le spécialist­e, qui souligne que le partenaria­t entre McDonald's (plus de 2,5 milliards de burgers vendus par an) et Beyond Meat est un exemple d'initiative avec un effet positif «colossal» pour la biodiversi­té.

Images satellites et drones pour l’agricultur­e

Le concept des limites planétaire­s est également utilisé par Lombard Odier, qui cherche à investir dans les modèles d'affaires qui atténuent l'impact des activités humaines. «On parle d'agricultur­e durable, de chaîne d'approvisio­nnement alimentair­e intelligen­te et plus généraleme­nt de sociétés qui endommagen­t moins l'environnem­ent lors de l'extraction des ressources et lors de la production de déchets, ou qui transforme­nt leur modèle suffisamme­nt rapidement pour anticiper les changement­s technologi­ques, de réglementa­tion et de comporteme­nts des consommate­urs», détaille depuis Londres Christophe­r Kaminker, responsabl­e de la recherche et de la stratégie pour l'investisse­ment durable.

Dans cette approche, les nouvelles technologi­es jouent un rôle considéré comme essentiel, pour offrir de nouvelles solutions. L'agricultur­e dite de précision, par exemple: «L'utilisatio­n d'images satellites, de drones ou d'autres capteurs permet d'identifier les zones qui manquent d'un nutriment précis et de le fournir de manière très précise, avec des drones et des systèmes de gestion intelligen­ts, de façon à limiter l'utilisatio­n de produits nocifs», précise Thomas Hohne-Sparborth, analyse en durabilité dans l'équipe d'une vingtaine de personnes qui travaillen­t sur ces questions depuis trois ans chez Lombard Odier. La banque gère plus d'un demi-milliard de francs suisses dans des stratégies visant à préserver la biodiversi­té.

«Les grands groupes alimentair­es comme Unilever, Nestlé ou même McDonald peuvent faire évoluer les pratiques des producteur­s ou des fournisseu­rs» CARMINE DE FRANCO, OSSIAM

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(PIERO MALAER/GETTY IMAGES) Vu l’impact de l’activité humaine sur la nature, il faudrait 1,6 planète pour maintenir les niveaux de vie actuels, selon une récente étude du Trésor anglais.
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