La promotion du vin suisse joue en catégorie amateur
Les mastodontes européens du vin dépensent autant, voire plus, que la Suisse pour mettre en valeur leurs crus sur le territoire helvétique. Pour Nicolas Joss, directeur de Swiss Wine Promotion, le budget dévolu à la promotion des nectars suisses doit trip
Alors que les plus gros producteurs européens, France, Italie et Espagne, disposent de moyens importants en Helvétie, Swiss Wine Promotion assure ne pas «pouvoir régater»
■ Bruxelles encourage ses vitiviniculteurs à mettre en avant leurs produits. Pour cela, l’Union cofinance leurs actions publicitaires dans les pays qui ne sont pas membres, comme la Suisse
■ S’il est question d’argent et non de la qualité reconnue des vins suisses, quel serait le budget de promotion idéal? Dix-huit millions, soit un triplement, avec surtout plus de souplesse légale
Les montants sont impressionnants. Plus de 100 millions d’euros pour l’Italie, 80 millions pour la France et environ 50 millions pour l’Espagne. Annuellement, ce sont les sommes dont les trois plus gros producteurs de vins européens disposent pour promouvoir leurs nectars et ce, uniquement dans les pays qui ne font pas partie de l’Union européenne. A côté, les quelque 6 millions de francs dont dispose Swiss Wine Promotion pour mettre en avant les vins suisses paraissent ridicules.
«Nous évoluons en catégorie amateur, alors qu’ils jouent dans l’élite», image Nicolas Joss. Le directeur de Swiss Wine Promotion (SWP) assure ne pas «pouvoir régater». La Suisse est un pays particulièrement intéressant pour les entreprises vitivinicoles européennes. Avec un pouvoir d’achat élevé, les Helvètes sont des cibles idéales pour la vente de vins à haute valeur ajoutée, faisant de la Suisse un des pays tiers les plus prisés, avec les Etats-Unis, la Chine, le Japon, le Mexique, le Canada et la Russie. A elles seules, ces sept nations regroupent près de trois quarts des actions promotionnelles menées par des entreprises vitivinicoles du Vieux-Continent.
Le soutien de l’Union européenne
L’Union européenne encourage ses producteurs à mettre en avant leurs produits. Pour cela, elle cofinance leurs actions de promotion dans les pays qui ne sont pas membres. Selon la législation, «la participation de l’Union […] n’excède pas 50% de la dépense admissible au bénéfice de l’aide». Un chiffre qui pourrait évoluer cette année et atteindre 60%, en raison notamment des difficultés liées à la pandémie qui frappe la planète.
Seul pays à avoir répondu à nos sollicitations, la France (15% des vins consommés en Suisse) précise, via FranceAgriMer, l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer, que le budget total prévu pour la promotion de ses vins en Suisse (investissements des producteurs et aides publiques cumulés) s’élevait, en 2020, à 2,08 millions d’euros, soit «2,6% du budget total conventionné avec les opérateurs».
A ce montant, il faut ajouter ceux des autres pays européens, notamment l’Italie (24% des vins consommés en Suisse) et l’Espagne (10% des vins consommés en Suisse). Nul doute donc que la somme totale dévolue à la promotion des vins européens en Suisse dépasse l’enveloppe de Swiss Wine Promotion. «Le problème aujourd’hui n’est pas le volume de vins importés, mais bel et bien le financement qui accompagne ces vins», insiste Nicolas Joss.
Pour le directeur de SWP, une augmentation du budget dévolu à la promotion des vins suisses est indispensable. Et cela passe par plus d’aides de la part de la Confédération,
mais aussi des cantons. «Par manque de budget fédéral, une grande partie des encaissements réalisés auprès des vignerons n’est aujourd’hui pas cofinancée par la Confédération. Les cotisations cantonales, dont les producteurs doivent s’acquitter, ne sont, par exemple, cofinancées que dans une infime partie», souligne-t-il. Il compare la réalité suisse à celle de l’Autriche, où les producteurs profitent, pour la mise en valeur de leurs produits, en plus de leur part propre, de l’aide européenne, d’une subvention de leur pays et enfin d’un subside de leur région.
La part de la Confédération
Le budget idéal, selon Nicolas Joss? Trois fois plus qu’aujourd’hui, soit 18 millions de francs, la moitié financée par la branche et le solde par des subventions publiques, comme la loi l’exige. «Actuellement, la Confédération débloque 2,8 millions de francs pour la promotion des vins suisses [Il s’agit du budget ordinaire. En 2020 et 2021, un million supplémentaire a été débloqué comme aide d’urgence], contre 5,2 millions pour la viande, 7,4 millions pour le lait et le beurre et 21 millions pour les fromages», souligne le directeur de SWP. Pour Nicolas Joss, cette réalité démontre que la Suisse a «les moyens d’injecter 9 millions pour le monde du vin».
S’il ne se prononce pas sur le montant articulé par Nicolas Joss, Frédéric Borloz, le président de la Fédération suisse des vignerons et président de l’intergroupe parlementaire vitivinicole, partage l’avis du directeur de SWP. «Une augmentation importante du budget de promotion des vins est indispensable, pour mettre en lumière une filière qui est entièrement autonome, de la production à la vente du produit, en passant par sa transformation»,
«Le problème aujourd’hui n’est pas le volume de vins importés, mais bel et bien le financement qui accompagne ces vins»
NICOLAS JOSS. DIRECTEUR
DE SWISS WINE PROMOTION
souligne-t-il, insistant sur le fait que «la branche a les moyens et l’envie de suivre» une potentielle augmentation budgétaire fédérale.
Assouplir les restrictions
Cela ne devrait toutefois pas changer de sitôt. L’attribution des aides financières pour les années 2022 à 2025 a déjà été arrêtée par l’Office fédéral de l’agriculture et le montant demeure inchangé, à 2,8 millions de francs. Et après? Sur le principe, cette somme pourrait augmenter, indique l’Office fédéral de l’agriculture. Il rappelle toutefois que, «jusqu’en 2017, SWP n’a régulièrement pas utilisé la totalité du montant qui lui était alloué» et qu’il «existe également des produits qui investissent nettement plus de 50% de leurs fonds propres dans la mise en oeuvre de mesures de promotion des ventes, ce qui peut également être fait par Swiss Wine Promotion».
Pour Nicolas Joss, la solution ne passe pas uniquement par une augmentation budgétaire. Il estime qu’un assouplissement, voire une amélioration des restrictions d’utilisation des fonds fédéraux est nécessaire, pour permettre aux organes de promotion de travailler avec plus de flexibilité selon les marchés et les produits qu’ils valorisent. «Même si les synergies entre les produits agricoles sont utiles et dans l’intérêt de tous, il ne faut pas oublier que chaque produit est unique et sa commercialisation reste spécifique à son secteur, insiste Nicolas Joss. Actuellement, d’une manière générale, la vente directe n’est pas assez soutenue dans la promotion des ventes, ce que nous regrettons, car en parallèle, l’oenotourisme se développe à grande vitesse.»
Pour illustrer cette problématique, le directeur de Swiss Wine Promotion prend l’exemple des frais de port qui, comme le démontrent plusieurs études, sont un frein à l’achat. Or, indique Nicolas Joss, «promouvoir les ventes directement chez les producteurs en offrant les frais de port ne peut pas être cofinancé». Pour le directeur de Swiss Wine Promotion, «il est donc nécessaire, comme pour toute législation, d’adapter celle concernant la promotion des vins avec le temps, afin de répondre au mieux aux attentes des producteurs et de leurs clients». Sur ce point-là, la réponse de l’Office fédéral de l’agriculture est claire: «La Confédération ne soutient que la communication. Il ne serait ni admissible ni opportun de financer les frais d’affranchissement du vin avec l’argent des impôts.»
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