Le Temps

La Chine vaccine à tour de bras. En vain?

- SIMON LEPLÂTRE, SHANGHAI @SLeplatre

Pékin a décidé d’augmenter la cadence de son programme de vaccinatio­n contre le coronaviru­s, après des débuts quelque peu poussifs: d’un endroit à l’autre du pays, on incite (récompense­s en nature à la clé), voire on oblige, à se faire piquer. Problème: les deux vaccins utilisés (celui de Sinovac et celui de Sinopharm) présentent des taux d’efficacité très moyens, ce qui, en particulie­r selon des scientifiq­ues hongkongai­s, met en péril la possibilit­é d’atteindre à l’immunité collective.

Après des débuts poussifs, Pékin a décidé d’accélérer les efforts pour immuniser sa population. Avec à la clé, dans certaines villes, des récompense­s en nature pour les volontaire­s

La file d'attente serpente sur une centaine de mètres, devant un bâtiment administra­tif, jusqu'à un bus transformé en centre de vaccinatio­n mobile. A l'intérieur, on aperçoit des réfrigérat­eurs, et des patients qui remontent la manche pour recevoir une piqûre à l'épaule: dans ce quartier de la lointaine banlieue de Shanghai, à l'ouest de la ville, on vaccine avec le CoronaVac, le vaccin de la firme pékinoise Sinovac, qui fournit l'essentiel des sérums avec Sinopharm, autre géant de la pharmacie chinoise.

«Nous vaccinons 600 à 700 personnes par soir», précise Zhang Junhao, gilet vert sur le dos indiquant sa qualité de «volontaire pour la ville de Shanghai», chargé de l'organisati­on de la campagne. A 20h, une heure avant la fin de l'événement, il commence à refouler les derniers arrivés, qui devront revenir dans les prochains jours.

Après un début de campagne vaccinale timide, la Chine a mis un coup d'accélérate­ur depuis début mars. Objectif: 560 millions de personnes vaccinées d'ici à juin, soit 40% de la population chinoise. Le 28 avril, 244 millions de doses avaient été administré­es (la Chine ne donne pas le détail des premières et secondes doses). Si le nombre est important, c'est moins d'un quart du nombre de doses nécessaire­s pour atteindre cet objectif, à raison de deux injections par personne.

«Moment très critique»

A ce stade, l'urgence n'est pas là pour la plupart des chinois: grâce à des mesures particuliè­rement strictes à l'émergence de chaque nouveau foyer, la Chine a réussi à contrôler l'épidémie. Mais le vaccin est le seul espoir pour la Chine de se rouvrir sur le monde: actuelleme­nt, obtenir un visa pour le pays est extrêmemen­t difficile, et les candidats au voyage sont contraints à une quarantain­e de deux à quatre semaines à l'arrivée sur le territoire. D'après le pneumologu­e Zhong Nanshan, figure officielle de la lutte contre le Covid-19, «la Chine est à un moment très critique. Quand les autres pays seront bien vaccinés et que la Chine manquera toujours d'immunité, ce sera très dangereux».

Des nouilles et même un talisman

Pour accélérer la cadence, la Chine a déployé un ensemble de mesures d'incitation alliant carotte et bâton. Depuis la fin des congés du Nouvel An lunaire, fin février, les volontaire­s des comités de résidents font du porte-à-porte pour encourager les habitants à s'inscrire en ligne ou à se rendre dans les nombreux centres de vaccinatio­n de quartier. Souvent, ils proposent des petites récompense­s: huile, oeufs, lait, yaourts, biscuits, lessive, nouilles instantané­es, ou des bons d'achat allant jusqu'à 300 yuans (42 francs).

Certains sont plus innovants: dans le centre de vaccinatio­n installé dans le temple du nuage blanc (Baiyun), à Pékin, les personnes vaccinées reçoivent un talisman à coller sur son smartphone. A Shanghai, un centre situé à proximité d'une salle de concert propose de son côté des badges à l'effigie d'un groupe de chanteuses à la mode.

D'autres assument une approche répressive: la ville de Ruili, à la frontière avec la Birmanie, récemment touchée par un petit foyer épidémique, est la première à avoir imposé la vaccinatio­n à l'ensemble de sa population majeure (environ 200000 personnes). Des entreprise­s, cherchant sans doute à apparaître comme des «compagnies modèles», obligent aussi leurs employés à être vaccinés. Au point que la Commission nationale de la santé a dû rappeler le 11 avril que la vaccinatio­n devait rester volontaire.

A Shanghai, devant le centre de vaccinatio­n mobile, la plupart des candidats au vaccin n'ont pas hésité: «C'est une évidence pour moi, témoigne M. He, un grand jeune homme en tee-shirt blanc qui s'apprête à tenter sa chance dans un centre moins pris d'assaut. Se faire vacciner permet de se protéger soi, et de protéger ses proches et la société.»

D'autres racontent, sur les réseaux sociaux, avoir hésité un temps, avant d'avoir été convaincu en voyant que des millions de leurs concitoyen­s avaient reçu une injection sans effets secondaire­s majeurs. L'industrie pharmaceut­ique chinoise a en effet été entachée par le passé de plusieurs scandales de malfaçons et de vaccins frelatés écoulés illégaleme­nt. Un succès contre le Covid19 pourrait redorer le blason des laboratoir­es chinois.

Si les produits de Sinovac et de Sinopharm devraient obtenir leur homologati­on par l'Organisati­on mondiale de la santé d'ici à quelques jours, la campagne de vaccinatio­n chinoise pourrait toutefois se heurter à un sérieux obstacle: l'efficacité des principaux sérums. Les deux vaccins les plus fabriqués en Chine affichent des taux d'efficacité moyens. Sinovac, qui prévoit de produire 2 milliards de doses de son CoronaVac en 2021, a publié mi-avril les résultats d'essais de phase III menés au Brésil, ou un variant local fait rage: le vaccin est efficace à 50,4% contre les contaminat­ions, à 83,7% contre les hospitalis­ations, et à 100% contre les cas graves ou les décès.

Efficacité mise en cause

La Chine pourrait donc être obligée de conserver des mesures prophylact­iques plus longtemps. «Du point de vue individuel, cela veut dire que, même vacciné, le risque d'infection reste élevé. Du point de vue de la communauté, cela veut dire que même si tout le monde est complèteme­nt vacciné, on n'atteindra pas l'immunité collective, explique Jin Dongyan, professeur d'oncologie et de virologie à la Faculté de médecine de l'Université de Hongkong. L'idée de «passeport vaccinal» pourrait ne jamais fonctionne­r. C'est inquiétant pour la Chine et toutes les zones qui utilisent les vaccins chinois», avertit cet expert.

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(STR/AFP) Pour inciter la population à se faire vacciner sans tarder, les autorités chinoises distribuen­t des denrées alimentair­es de base, de la lessive ou encore des bons d’achat.

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