Le Temps

Pour une Journée mondiale de la pandémie

- @AinaSkjell­aug

Nous vivons une époque mémorielle et peu sélective. Dans l’océan des choses à fêter chaque année, la profusion ressemble à un grenier jamais rangé depuis trop de génération­s. Remarquez: ainsi, le fatigant bicentenai­re de la mort de Napoléon, qui n’a pourtant pas laissé un empire de bons souvenirs en dehors d’Ajaccio ou de la place Vendôme.

Mais il y a aussi la Journée mondiale du jardinage nu (le 1er mai), celle des légumineus­es, de la justice sociale, ou encore la Journée des passages à niveau (c’est le 10 juin, préparez vos képis de chefs de gare).

Pour la peine, je voudrais qu’on lance une Journée mondiale de la pandémie. Un jour où, télétravai­l oblige, on resterait tous à la maison. Pas question d’inviter du monde. Apérozoom dès 18h et Netflix en dessert. Les magasins non essentiels seraient fermés, les restos, terrasses, clubs et tutti quanti aussi. Les avions cloués au sol. On époussette­rait nos masques pour l’occasion, et en se les remettant sur le nez on se demanderai­t comment on avait pu vivre avec si longtemps.

AÏNA SKJELLAUG La tradition voudrait qu’à un moment donné on s’enfile tous un truc dans le nez

On écouterait nos gouvernant­s dans leurs discours commémorat­ifs à la télé. Leurs tons seraient graves et sérieux. Parfois, un petit pansement sur le crâne rasé.

Bien sûr, il y aurait des défilés, les descendant­s de ceux pour qui tout cela n’avait été qu’une vaste supercheri­e. Ils appellerai­ent à l’abolition de cette date consacrée.

Nos petits-enfants nous demanderai­ent à quoi tout cela rime, et l’explicatio­n de leurs écoles condamnées. On répondrait que le covid, il y a longtemps, fut le dernier vrai événement rassembleu­r, concernant et fraternel, qui mérite sa célébratio­n annuelle. Le «commemorav­irusday».

Assis sur nos genoux, ils écouteraie­nt apeurés. Que dans certains pays, les morts s’entassaien­t devant les crématoriu­ms, que beaucoup n’avaient pas pu dire au revoir à leurs proches. Que la souffrance des jeunes s’était exacerbée, les soignants n’en pouvaient plus, les gens ne faisaient plus d’enfants et les vieux avaient perdu toute notion du temps.

Ah oui j’oubliais, la tradition voudrait qu’à un moment donné on s’enfile tous un truc dans le nez.

A la fin, quelqu’un dirait qu’il y a quand même eu entre 3 et 4 millions de morts, ce qui correspond assez parfaiteme­nt au nombre de massacrés qu’ont fait les guerres napoléonie­nnes. Dismoi ce que tu commémores, je te dirai qui tu es.

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