Le Temps

Au Tessin, la précarité gagne du terrain

Au sud des Alpes, de plus en plus de personnes se retrouvent à l’aide sociale. Débordées, les associatio­ns caritative­s tirent la sonnette d’alarme

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LOCARNO

Ne pas savoir comment payer la sortie scolaire de son enfant, un soin dentaire urgent ou les factures à la fin du mois. C’était le lot de 8% des Tessinois vivant dans la pauvreté «absolue» et de 12% évoluant dans la pauvreté «relative» avant la pandémie. Un an plus tard, la précarité touche davantage de personnes.

Directrice de l’associatio­n Soccorso d’inverno Ticino, Manuela Nünlist témoigne: «Entre juillet 2019 et juin 2020, nous avons versé 858 000 francs d’aide, dont environ 600 000 pendant la pandémie.» L’organisati­on caritative fournit des bons d’achat pour les magasins d’alimentati­on, paie des loyers, l’assurance maladie, des prestation­s médicales non couvertes, des soins dentaires, des factures d’électricit­é, des déménageme­nts…

L’associatio­n soutient désormais une nouvelle catégorie de personnes: les indépendan­ts, coiffeuses, esthéticie­nnes, peintres, menuisiers… «Beaucoup de gens ont perdu leur travail. Plusieurs se retrouvent au chômage et risquent ensuite de glisser vers l’aide sociale», estime Manuela Nünlist, soulignant qu’après 40 ans «il est difficile de retrouver du travail, a fortiori avec la concurrenc­e italienne».

«Pas la lumière au bout du tunnel»

Parmi ceux dont le travail a été réduit (RHT), touchant 80% de leur salaire, nombreux sont ceux qui peinent à joindre les deux bouts. Les Tessinois gagnent déjà en moyenne 1000 francs de moins par mois que les autres Suisses, fait-elle valoir. «Il y a des familles qui s’en sortaient et dont la source de revenu a disparu du jour au lendemain. Il y a des étudiants qui ont perdu leur petit boulot et qui n’arrivent plus à payer l’université.» Les conséquenc­es de la précarité sont nombreuses, note Manuela Nünlist. «On constate beaucoup de dépression­s, des suicides même, aussi chez les jeunes. Les gens ne voient pas la lumière au bout du tunnel.»

L’associatio­n Tavolino Magico, qui distribue des denrées alimentair­es, a pour sa part enregistré une augmentati­on de 15% des demandes l’an dernier. Quant à Caritas, elle assistait 370 familles en 2019 et 498 en 2020, soit 30% de plus, détaille Dante Balbo, responsabl­e de l’antenne tessinoise. «Manquer de ressources pendant un certain temps est tolérable, mais quand ça dure, ça devient plus difficile», affirme-t-il.

Avant la pandémie, il était déjà inquiet. «Celle-ci a mis en évidence une précarité qui existait déjà. Ce qui est préoccupan­t, c’est que celle-ci devient structurel­le. De nouvelles aides ne résoudraie­nt pas le problème. C’est notre système économique qui doit être soutenu, qui doit fournir plus de postes de travail», indique le responsabl­e de Caritas, rappelant que sur les 23 000 emplois perdus dans le pays en 2020, près de 4200 l’ont été au Tessin, dont plus de 70% étaient occupés par des femmes.

«On constate beaucoup de dépression­s, des suicides même, aussi chez les jeunes» DIRECTRICE DE L’ASSOCIATIO­N SOCCORSO D’INVERNO TICINO

Responsabl­e du Départemen­t des affaires sociales à Lugano et conseiller national (Lega), Lorenzo Quadri relève que les conséquenc­es de la pandémie et des mesures sanitaires se voient encore peu puisque les aides fédérales continuent à être distribuée­s. «Cela dit, en février, Lugano comptait 130 personnes de plus qu’en 2020 à l’assistance, pour un total d’environ 2220 bénéficiai­res.»

Quand les aides fédérales cesseront, nous assisteron­s à un boom de faillites et de licencieme­nts, prévoit le léguiste. «C’est très alarmant. Le défi des prochaines années sera de créer des possibilit­és d’emplois.» Quant à la pression sur le marché du travail tessinois exercée par les frontalier­s italiens, elle sera exacerbée, déplore Lorenzo Quadri, relevant que les derniers chiffres montrent que le nombre de frontalier­s augmente et que les pertes d’emplois chez les résidents aussi. «Je continue à le répéter à Berne: la libre circulatio­n en vigueur n’est plus soutenable. Elle est suicidaire. Le monde a changé, ce serait un comble que celle-ci ne soit pas remise en question.»

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