Les vert’libéraux ont-ils viré trop à gauche?
Surprise: les vert’libéraux ont appelé à voter pour le seul candidat des Vert·e·s pour le second tour au Conseil d’Etat. Un soutien à gauche qui fâche les anciens alliés de droite et qui met au jour les tensions internes autour du positionnement d’un part
C’est la surprise de l’entre-deux-tours de l’élection au Conseil d’Etat neuchâtelois. Une prise de position qui fait parler dans le landerneau politique. Après une longue discussion, le comité des vert’libéraux a décidé d’appeler à voter pour Roby Tschopp, le seul Vert au second tour du 9 mai. L’objectif affiché: que la sensibilité environnementale soit représentée au sein du gouvernement. Mais le soutien à un candidat très marqué à gauche divise à l’interne. Fondateur et premier président de la section cantonale, Raphaël Grandjean déclarera publiquement, au quotidien ArcInfo, que «son coeur de libéral saigne».
La décision passe également très mal au sein de la droite neuchâteloise. En particulier auprès du Parti libéral-radical avec qui les vert’libéraux ont été apparentés par le passé et qui présente trois candidats au second tour. «Nous sommes évidemment déçus, reconnaît le président du PLR neuchâtelois, Fabio Bongiovanni. Cependant, leur prise de position ne nous surprend pas, tant leur parti vote de plus en plus régulièrement avec la gauche.» Une affirmation que conteste Mireille Tissot-Daguette, coprésidente des vert’libéraux neuchâtelois: «Nous ne sommes ni de gauche ni de droite.»
Plan climatique pas assez ambitieux
Si elle admet que leur recommandation de vote pour Roby Tschopp peut susciter le débat, celle qui fut candidate au premier tour au Conseil d’Etat assure que le but n’est pas de faire basculer le gouvernement d’un côté ou de l’autre. «D’ailleurs, nous laissons la liberté de vote pour les quatre autres sièges», précise Mireille Tissot-Daguette, qui insiste sur cette volonté de voir la cause écologique mieux défendue. Elle estime par exemple que le plan climat mis en consultation au début de l’année par un gouvernement composé uniquement de PLR et de socialistes ne va pas assez loin.
Il est vrai que sur les questions environnementales Vert·e·s et vert’libéraux sont au diapason. En analysant les réponses des candidats au Grand Conseil sur la plateforme Smartvote, on s’aperçoit que 100% des membres des deux partis aimeraient davantage de mesures d’encouragement à une agriculture plus durable ou pour favoriser la biodiversité. Ils sont également unanimes à soutenir le projet du Conseil d’Etat d’interdire les plastiques à usage unique sur le domaine public. Pas moins de 94% des candidats vert’libéraux sont favorables à une interdiction des pesticides. Plus surprenant, 89% sont d’accord avec l’assertion que la protection de la nature est nécessaire même si cela doit limiter la croissance économique.
Rôle d’arbitre
«Nous mettons en avant des thèmes, comme l’environnement, et nous ne voyons pas la politique de manière linéaire gauche-droite», plaide encore Mireille Tissot-Daguette. La posture crispe d’autant plus qu’elle brouille la lisibilité du jeu politique neuchâtelois pour la prochaine législature où les vert’libéraux, qui passent de quatre à huit députés, joueront un rôle d’arbitre au Grand Conseil. Elle participe aussi à augmenter les tensions autour d’un second tour au Conseil d’Etat à suspense où se joue la majorité, avec une configuration bloc contre bloc (une liste
de trois PLR contre une liste composée de deux socialistes et un Vert).
Dans ce contexte, Virginie Cavalli, la coordinatrice romande des vert’libéraux, soutient la décision de la section neuchâteloise et salue le courage de défendre une des thématiques fortes du parti, hors des carcans de la politique traditionnelle. «La voie de l’indépendance n’est pas forcément la plus facile, mais je suis persuadée qu’elle est la clé des succès futurs», assure la Lausannoise. Pour elle, les tensions internes autour du positionnement sont inhérentes à la forte croissance du parti: «Depuis 2019, nous enregistrons une incroyable vague d’adhésion. Dans mon canton de Vaud, nos effectifs ont ainsi grandi de 50%.»
Vieille garde inquiète
Mais le parti ne grandit pas seulement très vite. Sa composition s’est modifiée en profondeur. En Suisse romande, les vert’libéraux étaient nés d’une scission d’avec la droite, ses premiers membres estimant que celle-ci n’avait pas assez de sensibilité environnementale. Les transfuges du PLR d’hier ont laissé la place à la «première génération vert’libérale», selon l’expression de Virginie Cavalli, soit des jeunes qui se lancent en politique sous cette étiquette et qui n’ont pas milité avant au sein d’une autre formation.
Ces dernières années, les vert’libéraux ont en effet connu un tournant jeune, féminin et progressiste. Mais ce «glissement vers la gauche» inquiète la vieille garde, notamment la pionnière romande, Isabelle Chevalley: «Nos électeurs attendent une politique différente de notre part que celle des Vert·e·s, qui, eux, opposent économie et écologie. Nous souhaitons donner envie aux gens de nous suivre dans la transition climatique, pas l’imposer par des mesures étatiques.»
Pour la conseillère nationale, pas de doute, si les positions vert’libérales se rapprochent trop de celles de leurs cousins de gauche, «l’électeur finira par choisir l’original à la copie». Surtout, dans le cas neuchâtelois, Isabelle Chevalley peine à comprendre comment un parti aussi progressiste que le sien appelle à voter pour un homme plutôt que pour une jeune femme de droite, en l’occurrence la PLR Crystel Graf.
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«Nos électeurs attendent une politique différente de notre part de celle des Vert·e·s, qui, eux, opposent économie et écologie. Nous souhaitons donner envie aux gens de nous suivre dans la transition climatique, pas l’imposer par des mesures étatiques»
ISABELLE CHEVALLEY (PVL/VD)