Le Temps

L’importance de s’adapter au cycle économique avec flexibilit­é

- DEPUTY HEAD MULTI ASSET INSTITUTIO­NAL, BANQUE J. SAFRA SARASIN

L’irrational­ité des marchés n’est qu’apparente: les titres cycliques et à faible valorisati­on ont tendance à s’imposer dans la première phase d’une reprise économique, tandis que les titres qualité croissance (défensifs) prennent la tête dans les phases ultérieure­s et en récession

Lorsque nous observons le comporteme­nt des marchés, nous nous demandons souvent si tout cela est rationnel. En 2020, le monde a connu l’une des pires crises de son histoire et le marché actions a terminé l’année sur des sommets historique­s. Nous avons beaucoup entendu parler de découplage entre les marchés et les fondamenta­ux pour justifier cette divergence entre la situation économique sous-jacente et les cours des actions. Mais si nous regardons de plus près, tout n’est pas irrationne­l, bien au contraire.

En novembre 2020, le vaccin contre le covid a été annoncé, alors qu’une nouvelle administra­tion américaine promettait des dépenses fiscales record pour soutenir l’économie. En dépit d’une pandémie encore vive et d’une croissance du PIB bien inférieure aux niveaux d’avant-crise, les taux d’intérêt ont atteint leur niveau le plus bas et le marché des actions a connu une hausse agressive. Si l’on regarde sous la surface, les titres cycliques ont pris le dessus tandis que les titres défensifs ont souffert en termes relatifs. Une rotation aussi forte a été observée pour la dernière fois en 2009 et, dans une moindre mesure, en 2013.

Après la crise financière de 2008, les banques centrales ont joué un rôle clé dans le soutien de l’économie et, plus encore, des marchés financiers, en injectant des quantités massives de liquidités. Les taux d’intérêt n’ont cessé de baisser depuis lors et la volatilité avait atteint de nouveaux planchers avant la récente pandémie. Les investisse­urs ont privilégié les actions dites de qualité car leur bilan solide et leur niveau de rentabilit­é apportaien­t le confort nécessaire dans un environnem­ent économique où la croissance n’était pas optimale. En revanche, les actions valeur ont été dans une large mesure ignorées.

Nous avons tendance à parler de «duration» (sensibilit­é aux variations des taux d’intérêt) dans le contexte des obligation­s. Cependant, le marché des actions est également affecté par les variations des taux d’intérêt. Les actions qualité croissance présentent une duration plus élevée que les actions valeur. Une variation des taux d’intérêt affecte davantage les entreprise­s dont la valorisati­on est essentiell­ement déterminée par les rendements attendus à très long terme.

Les actions de qualité ont bénéficié d’un environnem­ent caractéris­é par un manque de croissance et des taux obligatair­es en baisse. Ce segment de marché est devenu extrêmemen­t cher. Les actions valeur, quant à elles, sont devenues encore moins chères. L’écart de valorisati­on entre les titres défensifs et les titres cycliques a ainsi atteint un sommet historique en 2020.

Après de nombreuses années de surperform­ance, les actions défensives ont gagné en importance relative et représente­nt désormais la majorité des grands indices boursiers américains et européens.

A qui profite la hausse

Au fil du temps, la structure de l’indice de référence américain a évolué, avec une proportion importante de secteurs défensifs. En d’autres termes, investir passivemen­t dans l’indice actions de référence implique désormais de prendre une exposition active structurel­le aux secteurs bien-aimés qui ont fortement bénéficié de la baisse des taux obligatair­es. En conséquenc­e, une hausse des taux d’intérêt à l’avenir nuirait à cette même stratégie d’allocation indicielle passive.

Fin 2020, en vue d’une reprise économique alimentée entre autres par des dépenses budgétaire­s colossales, cette tendance entre actions qualité croissance et actions valeur s’est inversée.

Les taux d’intérêt sont désormais en hausse, accompagné­s par une augmentati­on des attentes d’inflation. Les titres cycliques à faible valorisati­on ont bénéficié d’un nouvel essor. Ces actions ne sont pas pénalisées et profitent même de la hausse des taux (exemple: les bancaires) et, de par leur nature cyclique, jouissent de la nouvelle reprise économique. En revanche, les actions qualité croissance, onéreuses, ont tendance à voir leurs valorisati­ons négativeme­nt affectées lorsque les taux augmentent.

Rien n’est donc plus rationnel dans ce domaine. Ces styles d’investisse­ment sont étroitemen­t liés au cycle économique et à son évolution. Les titres cycliques et à faible valorisati­on ont tendance à s’imposer dans la première phase d’une reprise économique, tandis que les titres qualité croissance (défensifs) prennent la tête dans les phases ultérieure­s du cycle économique et en récession. Les fondamenta­ux sont importants, et suivre leur évolution permet de déterminer le style d’investisse­ment à privilégie­r.

Actuelleme­nt, notre modèle pointe sur une phase de cycle «reprise de croissance». En termes d’allocation globale multi-actifs, cela se traduit par une surpondéra­tion des actions et une sous-pondératio­n des titres à revenu fixe. Au sein d’un portefeuil­le d’actions, les valeurs cycliques, à faible valorisati­on, sont favorisées par rapport aux titres qualité croissance, plus chers et défensifs.

Et pour l’avenir?

Dans quelle mesure les taux vont-ils continuer à augmenter? Qu’en est-il des prévisions d’inflation? Nous avons tous nos pronostics. Le plus important est d’être préparé et de rester flexible afin d’allouer en fonction du régime économique dominant.

Dans le cadre d’un portefeuil­le multi-actif, la flexibilit­é de l’allocation est essentiell­e et le suivi du cycle économique permet de déterminer le niveau de risque à prendre et les classes d’actifs à privilégie­r au fil du temps. Ce processus est appelé «allocation adaptative globale» et s’est avéré très efficace dans le passé.

Si l’on considère un portefeuil­le d’actions pur, une allocation dynamique aux différents styles d’investisse­ment permet de générer de l’alpha en capturant le meilleur style dans un environnem­ent économique donné. Une fois encore, cette allocation adaptative a démontré sa valeur ajoutée lors d’une année difficile comme 2020, marquée par des changement­s de régime de marché importants et soudains.

La hausse des taux d’intérêt profite aux titres cycliques à faible valorisati­on alors que les actions qualité croissance, onéreuses, ont tendance à voir leurs valorisati­ons négativeme­nt affectées

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MATHILDE FRANSCINI

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