Le Temps

ESG: la fin du romantisme

- JEAN NIKLAS CONSEILLER INDÉPENDAN­T

593. C’est aujourd’hui le nombre de pages de l’annexe technique de la taxonomie européenne. Celle-ci définit, pour chaque activité industriel­le, les critères permettant de juger de sa contributi­on à la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Ce qui ne suffit pas encore pour savoir si cette activité est durable ou non. Pour cela, d’autres critères, non encore publiés, seront nécessaire­s.

Ils concernero­nt la protection de l’eau, les déchets, la contributi­on à l’économie circulaire et la protection de la biodiversi­té. Ainsi donc, en extrapolan­t, on peut estimer que 2400 pages seront encore nécessaire­s pour déterminer si une activité est verte ou non. Et nous ne parlons à ce stade que du E de l’acronyme ESG: Environnem­ent, Social et Gouvernanc­e, puisque les critères S et G ne sont pas encore établis. Décidément, la définition de cette fameuse durabilité n’est pas simple.

Pour couronner le tout, les Etats-Unis ont eux aussi l’ambition de définir leurs critères. Sans parler de la Chine, qui s’implique désormais beaucoup dans cette problémati­que, et ne désire pas se laisser dicter des normes.

La Suisse, «smart follower»

La standardis­ation dans le domaine ESG, demandée depuis longtemps par les investisse­urs et les gestionnai­res d’actifs, est donc péniblemen­t en train de voir le jour. Avec environ 100 ans de décalage, elle suit le même processus que la mise en place des normes comptables internatio­nales. Ces dernières sont nées aux Etats-Unis à la suite de la crise financière de 1929, et 70 ans ont été nécessaire­s pour établir des standards internatio­naux. Sauf qu’aujourd’hui le temps presse.

C’est pourquoi l’Europe avance au pas de charge: bientôt, toutes les entreprise­s concernées devront reporter leur part d’activités (chiffre d’affaires, capital investi, charges opérationn­elles) selon les critères de cette taxonomie. Ce qui permettra et obligera les gestionnai­res à mesurer la part «vert clair», «vert foncé» et «brune» de leurs portefeuil­les.

L’investisse­ment durable n’est pas un futur eldorado

Et la Suisse dans tout ça? Soyons réalistes. Bien qu’étant un acteur important dans la gestion d’actifs au niveau mondial, et même si elle a quelques beaux atouts à jouer dans certains segments de niche comme l’investisse­ment d’impact ou la microfinan­ce, elle ne peut au mieux que s’adapter à ces standards durables qui émergent ailleurs. Elle a finalement intérêt à appliquer une stratégie de smart follower pour rester compétitiv­e.

Pour les gestionnai­res d’actifs, qu’ils soient suisses ou européens, l’époque de la gestion durable originale, démarquée et engagée, semble donc révolue. La durabilité devient un standard et va s’intégrer très vite au sein de toutes les gestions, comme une caractéris­tique de plus en plus quantitati­ve, au même titre que la mesure du risque. Elle fera bientôt partie de tous les produits. Le temps des pionniers est révolu.

Alors qui va profiter de cette tendance? Malheureus­ement, le refrain, répété par beaucoup, de l’investisse­ment durable comme futur eldorado, semble surfait. Avec cette standardis­ation, l’ESG devient mainstream, et perd son caractère de différenci­ation. Au temps de la ruée vers l’or, ceux qui ont vendu des pelles et des salopettes ont plus fait fortune que les orpailleur­s.

Dans le cas de l’investisse­ment durable, ce sont donc plutôt les fiduciaire­s, les juristes, les spécialist­es de la compliance, bref tous ceux qui tirent parti de l’augmentati­on de la réglementa­tion et des standards, qui vont s’enrichir. Pas les investisse­urs. Ni les gestionnai­res.

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