«Nous renforçons notre ancrage local»
A la tête de La Mobilière depuis janvier, Michèle Rodoni définit ses priorités pour les cinq prochaines années. Si le nombre d’agences ne diminuera pas, l’assurance bernoise ajoutera de «nouvelles cordes à son arc», par exemple dans l’habitat
Michèle Rodoni, 51 ans, qui dirige La Mobilière depuis le 1er janvier 2021, est à la tête du troisième assureur non-vie du pays. Les résultats de la coopérative bernoise, publiés le 13 avril, montrent d’ailleurs que celle-ci se rapproche des deux premiers rangs, Axa et Zurich. Avec 20% de part de marché en Suisse, les recettes des primes de l’assurance ont crû de 3,3% l’an dernier. Forte de sa récente coopération avec Raiffeisen, les interrogations se multiplient sur la poursuite de l’ascension de ce groupe qui affiche 4,1 milliards de francs de primes encaissées en 2020 et 5885 collaborateurs.
Vous êtes l’une des rares femmes à la tête d’une assurance. Avez-vous une politique de diversité active?
Nous avons bien mieux à proposer que cela. Nous vivons, cultivons et promouvons une diversité qui ne se limite pas aux genres. Je pense aux régions, aux langues, aux formations de base, aux expériences. J’aime la diversité parce qu’elle produit davantage de succès et d’innovation sur le long terme et de meilleurs services aux clients.
Est-ce que vous avez des critères quantitatifs pour satisfaire cette vision?
Notre objectif numéro un est d’assurer un service cinq étoiles à nos clients. Si nous avons des collaboratrices et collaborateurs engagés et satisfaits de leur environnement de travail, le succès en affaires sera au rendez-vous.
En 2020, vous avez réagi avec une générosité supérieure à celle de vos concurrents lors du débat sur l’assurance épidémie. Avec le recul, auriezvous dû agir différemment?
Nos conditions générales d’assurance de PME ne faisaient pas de distinction entre l’épidémie et la pandémie. Il nous apparaissait logique d’honorer nos engagements auprès de notre clientèle. Cela nous a coûté 500 millions de francs, ainsi que 30 millions pour l’assurance voyages et les rapatriements. Nous avons adapté nos conditions durant l’année pour que l’assurance de PME atteigne son but initial, à savoir l’assurance d’hygiène, par exemple en cas de bactéries dans un restaurant.
Quelques cas juridiques sont en suspens. Quelle est leur situation?
Nous ne nous prononçons pas tant que les procédures ne sont pas terminées.
Que pensez-vous de la décision du Conseil fédéral de geler le projet d’assurance pandémie?
Nous regrettons cette décision, dans la ligne de la réaction de l’Association suisse d’assurances (ASA). La Mobilière continue de s’engager au sein de l’ASA en faveur d’une solution qui soit mieux à même de gérer les conséquences d’une future pandémie, respectivement d’un confinement imposé par l’Etat.
Toujours à propos de catastrophes naturelles potentielles, parlons climat. Si les températures devaient s’accroître nettement, est-ce que les assurances pourraient payer les frais de sinistres?
Votre modèle d’affaires serait-il impossible si la température augmentait de 4 degrés? En cas de pandémie, les dommages se produisent dans le monde entier, simultanément et en grand nombre. Les risques ne peuvent ni être diversifiés ni être réassurés. Quant aux risques climatiques, ils ne sont pas considérés comme des risques systémiques, du moins jusqu’à aujourd’hui, car ils ne se produisent pas partout en même temps. Il est essentiel d’identifier les risques induits par le changement climatique et de prendre des mesures appropriées. La Mobilière poursuit une stratégie climatique afin de réduire davantage ses propres émissions de CO2. Parallèlement, elle investit dans des projets climatiques en Suisse pour soutenir les efforts au niveau national.
Quelle direction prendra votre modèle d’affaires d’ici à cinq ans?
Dans cinq ans, nous fêterons nos 200 ans. Notre objectif consiste à croître de manière profitable par étapes. Nous ajouterons des cordes à notre arc sans procéder à une révolution de notre modèle d’affaires.
Dans quelles directions?
Nous modernisons notre infrastructure informatique et avons investi à cette fin près d’un milliard de francs depuis 2015. Cet investissement a permis à plus de 90% de nos collaborateurs de passer au télétravail du jour au lendemain. L’un des grands atouts du modèle de La Mobilière se situe dans son réseau de 80 agences générales. Nous sommes d’ailleurs la seule société dans laquelle plus de 90% des sinistres sont réglés localement. Nous maintiendrons cette force et renforcerons nos agences générales. Sur ce point, nous sommes anticycliques, dans la mesure où la tendance est à la réduction de la présence physique. Nous complétons cet atout avec nos capacités numériques. Nous savons que plus de 90% de nos clients souhaitent à la fois avoir accès à nos services à travers internet et via les conseillers locaux. Ces prochaines années, La Mobilière accompagnera partout ses clients en fonction de leurs besoins, que ce soit sur les plateformes numériques ou sur place.
Est-ce que vous aurez encore 80 agences générales dans cinq ans?
Nous n’avons aucun plan de réduction du nombre d’agences. Nous en avons même ajouté une l’an dernier. Nous avons renforcé notre ancrage local, par exemple à travers un partenariat avec Raiffeisen en début d’année. Dans le domaine des PME, nous avons investi dans Bexio qui offre des services de comptabilité à 40000 PME. Ces développements se poursuivront.
Qu’attendez-vous des hypothèques et de l’habitat?
L’habitat appartient à l’un de nos deux écosystèmes, l’autre étant les services aux PME. Nous sommes le premier assureur choses (ménages, bâtiments) en Suisse.
Et concernant les hypothèques? Le rapprochement de ces services et ceux de l’assurance évoquent-ils le modèle de bancassurance qui a échoué?
Non. Nous dépassons la bancassurance telle qu’elle a existé il y a deux décennies. Dans le passé, les partenariats entre banques et assurances étaient inégaux. Aujourd’hui, La Mobilière et Raiffeisen parlent d’égal à égal. La technologie a aussi évolué depuis l’époque de la bancassurance. Nous préparons pour cet automne le lancement d’une plateforme numérique, du nom de Liiva, qui mettra en commun les services des deux partenaires. De plus, avec la plateforme Flatfox, nous offrons des services numériques aux locataires de régies immobilières.
Vous êtes le troisième plus grand assureur non-vie du pays. Est-ce que vous privilégiez ce métier de base ou plutôt de nouvelles diversifications?
Historiquement, notre point fort est celui de l’assurance non-vie, avec une part de marché de 20%. Nous avons ajouté il y a une vingtaine d’années l’assurance vie, avec une part de 6,5% dans la prévoyance privée, qui croît de façon surproportionnelle (+5,2%). Les deux métiers devraient croître ainsi que des domaines supplémentaires. Lorsque le client exprime un besoin donné, nous devons le satisfaire au moment où il le souhaite et à l’endroit désiré.
Quelle est votre stratégie en matière d’innovation et de relations avec les start-up de l’insuretech?
Nous voulons numériser nous-mêmes notre modèle d’affaires. Nous investissons donc dans les systèmes existants et nous prenons des initiatives internes qui visent à explorer de nouveaux modèles d’affaires. L’an dernier, nous avons ainsi créé une entreprise à Dublin, dans l’assurance annexe, à l’image d’un retard lors d’un trajet en bus qui déclenche le paiement d’une prestation.Ce modèle d’assurance entièrement numérisé exige de très grands volumes de transactions pour être rentable. C’est pourquoi nous testons cette société sur le marché européen en raison de sa taille. Nous investissons aussi dans des entreprises qui nous apportent du savoir-faire ou qui élargissent notre modèle d’affaires, par exemple avec notre participation de 50% dans Scout 24, pour accéder à des plateformes numériques. C’est une forme d’apprentissage.
Est-ce que, dans cinq ans, les comportements d’assurance seront très différents d’aujourd’hui?
Les analyses indiquent qu’en Suisse à peine 10% des gens désirent une offre d’assurance entièrement numérique. La grande majorité des Suisses souhaitent disposer du choix du canal d’assurance. Il est difficile de prévoir les comportements futurs du marché.
Certains changements sont toutefois prévisibles. Avec le véhicule autonome, votre modèle d’affaires changera. Quel est votre plan dans ce domaine?
L’assurance véhicule est l’un de nos principaux marchés et il s’apprête à traverser une mutation d’où émergeront de nouveaux modèles d’affaires. C’est la raison pour laquelle nous privilégions le marché des occasions, lequel représente 75% du marché automobile. Nous développons aussi des solutions technologiques, par exemple avec la télématique, pour définir au mieux le niveau des primes, en fonction du comportement du conducteur, selon le principe du «pay how you drive» (soit «payer selon votre conduite»). Nous avons également pris une participation dans Carvolution, qui offre l’automobile par abonnement, un marché en fort développement.
La cyberassurance est peu populaire. Pour quelle raison?
Il serait dommage de ne pas s’y intéresser. Les clients qui ont subi une cyberattaque sont contents d’avoir pris une assurance. Les recettes de primes sont en forte croissance durant la pandémie et la généralisation du télétravail. En tant qu’assureurs, nous évaluons et couvrons un risque dès qu’il apparaît. Le cyberrisque est né avec internet et surtout avec la connectivité. Nous nous adaptons aux risques subis par la population.
Par rapport aux nouveaux grands risques, comme les véhicules sans conducteur ou le cyberrisque, est-ce que les géants de l’assurance globale ont un avantage sur vous?
La Mobilière ne peut pas négocier un contrat mondial avec un constructeur automobile global. Par contre, sa présence locale est très forte et sa connaissance du tissu des PME suisses est hors pair. Notre marché est distinct de celui d’un géant global. Mais il y a de la place pour les deux.
Quelles sont vos ambitions dans la prévoyance professionnelle?
Nous avons des objectifs de croissance clairs pour la prévoyance. Nous sommes leaders dans la réassurance des caisses de pension, qui couvre les risques d’invalidité et de décès des caisses de pension. Nous avons acquis Trianon, en Suisse romande, spécialisée dans la gestion d’institutions de prévoyance.
Dans les médias, vous avez pris 25% de Ringier, mais cet investissement semble mystérieux. Est-ce qu’il vous permet de mieux connaître le marché de l’information?
Avec l’entrée dans le capital de Ringier, nous ne sommes pas intéressés par les médias mais par les plateformes numériques et le savoir-faire du groupe dans ce domaine. Cette acquisition est importante pour nous préparer à l’assurance du futur. C’est aussi à travers une interaction avec ces plateformes que les clients chercheront une solution à leurs besoins.
En 2020, comment pouvez-vous présenter une croissance des primes dans l’assurance dommages alors que l’économie est en récession?
«Nous sommes la seule société dans laquelle plus de 90% des sinistres sont réglés localement. Nous maintiendrons cette force»
Une grande partie des primes d’assurance se répètent d’année en année sans égard pour la conjoncture. La croissance intervenue l’an dernier provient des nouvelles affaires. L’activité avait bien démarré avant la pandémie et il y a eu une nette baisse de volume durant le premier confinement. Au cours de l’année écoulée, nous avons pu convaincre de nouveaux clients des avantages de nos produits et services et atteindre une croissance profitable de 3,3%. Toutefois, il est clair que l’assurance est un secteur à cycle tardif. Lorsqu’il y a des corrections au niveau de l’économie, nous en ressentons les effets avec un retard pouvant aller jusqu’à deux ans. À ce stade, nous supposons donc que nous verrons les effets de la pandémie au cours du second semestre 2021 ou en 2022.
A contrario, si l’économie profite d’une forte reprise en 2021, votre volume d’affaires ne présentera-t-il qu’une modeste progression?
L’année 2021 a commencé de la même façon que l’année précédente. ■