Au coeur de Paris, le nouvel écrin de la Collection Pinault
François Pinault inaugurera samedi au coeur de Paris un troisième site d’exposition pour sa collection. Tout comme pour le Palazzo Grassi à Venise, les travaux de la Bourse de commerce ont été confiés à l’architecte japonais Tadao Ando. Visite
L’ancienne Bourse de commerce de Paris s’est métamorphosée en nouveau temple de l’art contemporain. Conçu par l’architecte japonais Tadao Ando, cet écrin culturel situé à mi-chemin entre le Louvre et le Centre Pompidou abritera la riche collection du magnat du luxe François Pinault. Visite.
Le coeur de Paris, selon l’Institut géographique national français, se trouve à la pointe de l’île de la Cité, vers la place Dauphine. Mais lorsqu’on regarde une image satellite de la ville, on se dit que la Bourse de commerce, à moins d’un kilomètre au nord, pourrait très bien prétendre à ce titre tant sa forme circulaire, circonscrite par la rue de Viarmes, est remarquable, et central, sur la carte.
A 500 mètres du Louvre, cette étonnante rotonde, monument surmonté d’une coupole en verre, abritait il y a quatre ans encore les bureaux, invisibles au grand public, de la Chambre de commerce et d’industrie. En 2016, le bâtiment a été confié par la mairie de Paris au milliardaire François Pinault, l’un des plus grands collectionneurs du monde d’art contemporain, qui cherchait depuis des années un lieu d’exposition dans la capitale française. Après l’échec, au début des années 2000, d’un premier projet sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, l’homme d’affaires retraité avait finalement choisi d’établir sa collection à Venise, d’abord dans le Palazzo Grassi en 2006, puis à la Punta della Dogana en 2009.
A la Bourse de commerce, la Collection Pinault – une société par actions de la holding familiale Artémis – jouit à présent d’un bail d’une durée de cinquante ans, signé contre un paiement initial de 15 millions d’euros et un loyer annuel de 60000 euros par année, plus un pourcentage des entrées. La rénovation et la transformation du lieu, entièrement réversible en théorie, sont à la charge du locataire, qui aura investi quelque 160 millions d’euros dans les travaux.
Tout comme les deux premiers sites vénitiens de la collection, la transformation de la Bourse de commerce a été confiée au Japonais Tadao Ando, en partenariat cette fois avec le duo français Lucie Niney et Thibault Marca, et l’architecte en chef des Monuments historiques de Paris, Pierre-Antoine Gatier. Le mobilier extérieur et intérieur est signé des designers bretons Ronan et Erwan Bouroullec.
Un cylindre de béton de 9 mètres de haut
Dans ce bâtiment circulaire, Tadao Ando réalise la prouesse d’intervenir d’une façon à la fois spectaculaire et minimaliste, puisqu’il n’a fait «que» placer, à l’intérieur de la rotonde, un cylindre de béton de 9 mètres de haut et 30 mètres de diamètre, élément central qui structure l’espace d’exposition et distribue la circulation dans les différents étages. Le reste des travaux a essentiellement consisté à rendre au bâtiment son lustre d’autrefois.
Pour son premier accrochage à Paris, François Pinault a fait le choix de présenter un ensemble d’oeuvres ancrées dans les questions brûlantes de notre époque: post-colonialisme, identités, genres et sexualités. Manière de démontrer la pertinence et la profondeur d’une collection commencée dans les années 1970 et riche de plus de 10 000 oeuvres, une collection capable à présent de refléter l’air du temps.
Dans le cercle de béton central, sous la verrière, c’est le Zurichois Urs Fischer qui a les honneurs de l’exposition inaugurale. Il y a placé neuf sculptures en cire, dont l’une, déjà présentée à la Biennale de Venise en 2011, reproduit à l’identique L’Enlèvement des Sabines de
Giambologna, une sculpture du XVIe siècle qui ornait une place à Florence. Alentour, des sièges d’avion, une chaise de bureau, une autre de jardin, et, debout, l’air contemplatif face à cet ensemble hétéroclite, une figure humaine à l’échelle, celle du peintre Rudolf Stingel. Dans six mois, ces neuf pièces de cire auront entièrement fondu. Samedi 22 mai, jour de l’inauguration au public, toutes les mèches de ces bougies monumentales seront allumées, et brûleront jusqu’à disparaître complètement.
La Bourse de commerce a beau être le projet de toute une vie, celle de François Pinault, 84 ans, fils de fermier breton devenu l’un des plus éminents collectionneurs d’art contemporain du monde, rien n’est ici triomphal ou clinquant. Au contraire, le mot d’ordre impérieux semble avoir été «modestie». Que ce soit la délicatesse des transformations menées par Tadao Ando, l’élégante discrétion du mobilier des Bouroullec, ou le programme de cette exposition inaugurale. Sobrement intitulée Ouverture, celle-ci semble avant tout se fondre dans l’époque, et vouloir rappeler que tout milliardaire n’est en ce monde qu’un humble passant parmi d’autres. Un passant qui, tout de même, vient de s’offrir le coeur de Paris. ■
Tadao Ando réalise la prouesse d’intervenir d’une façon à la fois spectaculaire et minimaliste