Le Temps

Au coeur de Paris, le nouvel écrin de la Collection Pinault

François Pinault inaugurera samedi au coeur de Paris un troisième site d’exposition pour sa collection. Tout comme pour le Palazzo Grassi à Venise, les travaux de la Bourse de commerce ont été confiés à l’architecte japonais Tadao Ando. Visite

- RINNY GREMAUD @rinny_ Bourse de commerce, Paris, ouverture le 22 mai.

L’ancienne Bourse de commerce de Paris s’est métamorpho­sée en nouveau temple de l’art contempora­in. Conçu par l’architecte japonais Tadao Ando, cet écrin culturel situé à mi-chemin entre le Louvre et le Centre Pompidou abritera la riche collection du magnat du luxe François Pinault. Visite.

Le coeur de Paris, selon l’Institut géographiq­ue national français, se trouve à la pointe de l’île de la Cité, vers la place Dauphine. Mais lorsqu’on regarde une image satellite de la ville, on se dit que la Bourse de commerce, à moins d’un kilomètre au nord, pourrait très bien prétendre à ce titre tant sa forme circulaire, circonscri­te par la rue de Viarmes, est remarquabl­e, et central, sur la carte.

A 500 mètres du Louvre, cette étonnante rotonde, monument surmonté d’une coupole en verre, abritait il y a quatre ans encore les bureaux, invisibles au grand public, de la Chambre de commerce et d’industrie. En 2016, le bâtiment a été confié par la mairie de Paris au milliardai­re François Pinault, l’un des plus grands collection­neurs du monde d’art contempora­in, qui cherchait depuis des années un lieu d’exposition dans la capitale française. Après l’échec, au début des années 2000, d’un premier projet sur l’île Seguin à Boulogne-Billancour­t, l’homme d’affaires retraité avait finalement choisi d’établir sa collection à Venise, d’abord dans le Palazzo Grassi en 2006, puis à la Punta della Dogana en 2009.

A la Bourse de commerce, la Collection Pinault – une société par actions de la holding familiale Artémis – jouit à présent d’un bail d’une durée de cinquante ans, signé contre un paiement initial de 15 millions d’euros et un loyer annuel de 60000 euros par année, plus un pourcentag­e des entrées. La rénovation et la transforma­tion du lieu, entièremen­t réversible en théorie, sont à la charge du locataire, qui aura investi quelque 160 millions d’euros dans les travaux.

Tout comme les deux premiers sites vénitiens de la collection, la transforma­tion de la Bourse de commerce a été confiée au Japonais Tadao Ando, en partenaria­t cette fois avec le duo français Lucie Niney et Thibault Marca, et l’architecte en chef des Monuments historique­s de Paris, Pierre-Antoine Gatier. Le mobilier extérieur et intérieur est signé des designers bretons Ronan et Erwan Bouroullec.

Un cylindre de béton de 9 mètres de haut

Dans ce bâtiment circulaire, Tadao Ando réalise la prouesse d’intervenir d’une façon à la fois spectacula­ire et minimalist­e, puisqu’il n’a fait «que» placer, à l’intérieur de la rotonde, un cylindre de béton de 9 mètres de haut et 30 mètres de diamètre, élément central qui structure l’espace d’exposition et distribue la circulatio­n dans les différents étages. Le reste des travaux a essentiell­ement consisté à rendre au bâtiment son lustre d’autrefois.

Pour son premier accrochage à Paris, François Pinault a fait le choix de présenter un ensemble d’oeuvres ancrées dans les questions brûlantes de notre époque: post-colonialis­me, identités, genres et sexualités. Manière de démontrer la pertinence et la profondeur d’une collection commencée dans les années 1970 et riche de plus de 10 000 oeuvres, une collection capable à présent de refléter l’air du temps.

Dans le cercle de béton central, sous la verrière, c’est le Zurichois Urs Fischer qui a les honneurs de l’exposition inaugurale. Il y a placé neuf sculptures en cire, dont l’une, déjà présentée à la Biennale de Venise en 2011, reproduit à l’identique L’Enlèvement des Sabines de

Giambologn­a, une sculpture du XVIe siècle qui ornait une place à Florence. Alentour, des sièges d’avion, une chaise de bureau, une autre de jardin, et, debout, l’air contemplat­if face à cet ensemble hétéroclit­e, une figure humaine à l’échelle, celle du peintre Rudolf Stingel. Dans six mois, ces neuf pièces de cire auront entièremen­t fondu. Samedi 22 mai, jour de l’inaugurati­on au public, toutes les mèches de ces bougies monumental­es seront allumées, et brûleront jusqu’à disparaîtr­e complèteme­nt.

La Bourse de commerce a beau être le projet de toute une vie, celle de François Pinault, 84 ans, fils de fermier breton devenu l’un des plus éminents collection­neurs d’art contempora­in du monde, rien n’est ici triomphal ou clinquant. Au contraire, le mot d’ordre impérieux semble avoir été «modestie». Que ce soit la délicatess­e des transforma­tions menées par Tadao Ando, l’élégante discrétion du mobilier des Bouroullec, ou le programme de cette exposition inaugurale. Sobrement intitulée Ouverture, celle-ci semble avant tout se fondre dans l’époque, et vouloir rappeler que tout milliardai­re n’est en ce monde qu’un humble passant parmi d’autres. Un passant qui, tout de même, vient de s’offrir le coeur de Paris. ■

Tadao Ando réalise la prouesse d’intervenir d’une façon à la fois spectacula­ire et minimalist­e

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(SARAH MEYSSONNIE­R/REUTERS)

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