Le futur certificat covid fâche déjà
En Suisse, la création d’un certificat covid est prévue pour juin. Dimanche, on apprenait que seules les personnes vaccinées y auraient d’abord accès
■ Certains dénoncent une pression pour se faire vacciner et une inégalité de traitement entre les personnes qui le sont et celles présentant un test négatif
■ Les droits octroyés aux détenteurs du document seront précisés par le Conseil fédéral. Plusieurs voix doutent de sa pertinence, à ce stade de la crise
■ Plusieurs pays, dont Israël et les Etats-Unis, sont plus avancés que la Suisse. A New York, l’Excelsior Pass est un sésame pour les restaurants et les spectacles
En Suisse, quatre points fâchent déjà: l’accès au certificat, la date de sa mise à disposition, les droits qu’il octroiera et la pertinence même de ce document, attendu pour juin. Ailleurs, au Danemark et à New York, notamment, le document fait partie des stratégies de reprise
Pour l'heure, ce n'est rien. Juste l'idée d'un code QR imprimé sur du papier et disponible via une application. En Suisse, le futur certificat n'est qu'un projet, mais il cristallise de plus en plus de tensions, quand ce n'est pas des sentiments de colère. De nombreux scientifiques, politiciens et citoyens affichent, au minimum, leur scepticisme face à ce certificat, attendu pour juin au plus tôt. Voici les quatre points qui suscitent aujourd'hui le plus de débats.
1 La priorité aux vaccinés
Le 7 mai dernier, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) annonce le nom du prestataire qui réalisera le certificat. Ce sera l'Office fédéral de l'informatique et de la télécommunication. Mais ce jour-là, l'OFSP affirme autre chose: la mise à disposition de ce certificat à plusieurs groupes de la population. «D'ici à fin juin 2021, toutes les personnes vaccinées, guéries ou ayant reçu récemment un résultat de test négatif pourront, si elles le souhaitent, obtenir un certificat covid infalsifiable», écrit l'OFSP. Mais ce qui était annoncé alors n'est plus exact aujourd'hui.
Ce week-end, l'OFSP concédait ainsi au Tages-Anzeiger que «la mise en place du certificat covid se fera par étapes». Ce seront d'abord les personnes vaccinées qui auront droit à ce document. Ensuite suivront les personnes guéries et celles qui présentent un test négatif. Quand leur tour viendra-t-il? «Dès que possible», lâche sans davantage de précision l'OFSP.
Depuis, les réactions fusent. Certains dénoncent une inégalité de traitement entre personnes vaccinées et celles présentant un test négatif – et cela pose aussi indirectement la question du coût des tests PCR avant de se rendre à l'étranger. D'autres, notamment sur les réseaux, soupçonnent une pression déguisée pour inciter les gens à se faire vacciner.
2 Le retard pris
Corollaire du point précédent, la question des délais prend de l'ampleur. Le Danemark, plusieurs Etats américains ou encore Israël ont déjà mis à disposition de leurs citoyens des certificats. En Suisse, l'OFSP annonce sur son site que la version helvétique «devrait être à votre disposition dès l'été 2021», sans s'avancer davantage. Rien ne garantit qu'il sera disponible en juin, ce qui risque de poser problème pour les voyages à l'étranger dans le cadre des vacances de juillet et août. Car autour de la Suisse, l'Union européenne vise toujours juin pour l'entrée en vigueur de son certificat. Et il est possible – mais pas certain – que nos voisins exigent un tel document de la part des vacanciers suisses.
A l'inverse, des voix s'élèvent aussi pour que le certificat ne soit pas lancé en Suisse avant que tout le monde ait pu se faire vacciner. Or il semble a priori illusoire que ce soit le cas, au vu de la pression que pourrait indirectement exercer nos voisins européens pour les vacances d'été.
3 Les droits offerts par le certificat
On ne sait pas encore quels droits seront octroyés aux détenteurs du certificat covid. Il faudra attendre que le Conseil fédéral le précise dans une ordonnance d'ores et déjà très attendue. En avril, Alain Berset n'avait mentionné que les festivals comme des lieux devant exiger un certificat. Mais il pourrait en avoir d'autres: quid des théâtres, cinémas, fitness, églises et, bien sûr, des restaurants? Pour ces derniers, c'est exclu. Casimir Platzer, président de GastroSuisse, affirmait début mai qu'il ne revient pas aux restaurateurs de «faire la police ou d'engager un Securitas pour faire ce travail. Aller jusqu'à demander un test PCR négatif pour entrer dans un restaurant, c'est ridicule.» De leur côté, les responsables de festival attendent avec impatience des précisions de la part des autorités.
En parallèle, on ne sait pas encore si tout un chacun pourra exiger un certificat covid, ce qui pourrait être là aussi source de tensions. A priori, un privé, une entreprise ou même un restaurateur pourrait décider que seules des personnes munies du certificat pourraient entrer.
4 La pertinence du certificat en Suisse
De manière plus fondamentale encore se pose la question de la pertinence même de ce certificat à l'intérieur du pays. «L'idée selon laquelle l'état de mon système immunitaire devrait déterminer si je suis autorisé à assister à un événement me semble lourde de conséquences et génère de nombreuses questions», écrivait la semaine passée Marcel Salathé, directeur du laboratoire d'épidémiologie numérique de l'EPFL, sur le site Heidi.news. «Pendant combien de temps suis-je considéré comme immunisé? demandait-il. Qu'en est-il des variants? Chaque vaccin, malgré des efficacités différentes, est-il traité de la même manière dans l'application? Qu'en est-il des personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales?»
Pour Marcel Salathé, «ce type d'infrastructure numérique, qui peut facilement créer des profils de chacun d'entre nous selon ses possibilités de mouvement, ne semble plus proportionné dans la phase finale de l'épidémie de Covid-19 en Suisse. La volonté d'utiliser à l'avenir un tel outil dans le pays, alors que même les
Certains dénoncent une inégalité de traitement. D’autres soupçonnent une pression déguisée pour inciter les gens à se faire vacciner
Etats-Unis se sont prononcés contre un tel système au niveau national, interroge.» L'épidémiologiste juge le certificat «acceptable» pour les voyages internationaux.
Un avis partagé par Valérie D'Acremont, invitée la semaine passée dans le 19h30 de la RTS: «A partir du moment où il y a suffisamment de personnes vaccinées, que le virus ne circule plus et qu'il ne met plus en danger les personnes à risque, est-ce vraiment nécessaire de faire des choses aussi compliquées?» estimait l'infectiologue à Unisanté et professeure à l'Université de Lausanne. ■