Le Temps

Vers un compromis sur le nucléaire iranien

L’élection à la présidence de l’ultra-conservate­ur Ebrahim Raïssi, malgré sa rhétorique très ferme face aux Etats-Unis, ne devrait pas empêcher la résurrecti­on de l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran

- MARC ALLGÖWER @marcallgow­er

Ebrahim Raïssi dit ne pas vouloir négocier «pour le plaisir». Cela tombe bien: aucun des diplomates qui tentent depuis ce printemps de ranimer l’accord sur le programme nucléaire iranien (Joint Comprehens­ive Plan of Action ou JCPOA) ne le contredira­it. Lundi, le président élu a néanmoins tenu à afficher sa fermeté. Le processus doit garantir «les intérêts nationaux iraniens». Le programme balistique de l’Iran et son rôle au Moyen-Orient ne sont «pas négociable­s». Quant à la question d’une éventuelle rencontre avec Joe Biden en cas de succès, elle a été accueillie par un «non» retentissa­nt.

Pourtant, sur le fond, Ebrahim Raïssi s’est bien dit ouvert à la poursuite des négociatio­ns. «Son élection n’apporte à ce titre aucune inflexion à la position iranienne, analyse Agnès Levallois, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégiqu­e à Paris. Le dossier nucléaire est dans les mains du guide suprême, Ali Khamenei, et celui-ci souhaite que les négociatio­ns aboutissen­t.» A ses yeux, les durs au sein du régime ont conscience du besoin urgent d’un redécollag­e économique: «Le mécontente­ment populaire s’est traduit par une abstention record lors de l’élection présidenti­elle, et cela constitue un handicap majeur pour l’équipe qui prendra ses fonctions en août. Une levée des sanctions, accompagné­e d’une embellie économique, lui conférerai­t la légitimité que les urnes ne lui ont pas donnée.»

Directeur du projet Iran à l’Internatio­nal Crisis Group à Washington, Ali Vaez voit même dans l’élection de Raïssi un avantage, «même si cela peut paraître contre-intuitif. Les ultra-conservate­urs détiennent désormais tous les leviers du pouvoir, et le système sera par conséquent moins sujet aux querelles intestines.» L’administra­tion du président sortant, le modéré Hassan Rohani, a subi les critiques de l’aile dure avant même la conclusion du JCPOA en 2015. «Elle a toujours souffert de la défiance de l’Etat profond, or ce ne sera plus le cas puisque la même faction négociera et prendra la décision finale.»

Mécano complexe

Le mécano diplomatiq­ue en constructi­on à Vienne, siège de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA), demeure néanmoins complexe. Pour réintégrer les Etats-Unis dans l’accord après leur départ en 2018 sous l’impulsion de Donald Trump, un double mouvement doit se produire. Washington doit lever les sanctions imposées par l’ancien locataire de la Maison-Blanche, et Téhéran se remettre en conformité avec les exigences du JCPOA.

Qui fera le premier pas? Bien que le détail du séquençage reste secret, les avancées ont été bien réelles, estime Ali Vaez, pour qui un compromis pourrait même intervenir avant la passation des pouvoirs entre Hassan Rohani et Ebrahim Raïssi prévue dans six semaines: «Le bénéfice pour le nouveau président et pour l’Etat profond, c’est qu’ils pourront blâmer Rohani pour toute insuffisan­ce de l’accord tout en engrangean­t les bénéfices économique­s d’une levée des sanctions.» «Les Iraniens sont en position de force, complète Agnès Levallois. Les Etats-Unis veulent trouver une solution, et les autres parties à l’accord [Russie, Chine, Royaume-Uni, France et Allemagne, ndlr] le souhaitent tout autant.»

Complexité supplément­aire: chacun des deux camps a formulé des exigences qui dépassent la version initiale du JCPOA. La République islamique veut éviter la répétition du scénario vécu avec Donald Trump. Si un successeur de Joe Biden dénonçait de nouveau l’accord, «on devrait au moins mettre en place un mécanisme comportant des étapes contraigna­ntes à respecter avant d’en sortir», suggère Ali Vaez. Quant aux demandes américaine­s concernant le programme balistique de Téhéran et son rôle au Moyen-Orient, elles pourraient être abordées dans un autre cadre, «par exemple lors de négociatio­ns à l’échelle régionale où les Etats-Unis ne joueraient pas un rôle direct, ce qui pourrait être plus attractif pour Raïssi». «Il s’agit là du problème central, car la question des missiles et celle de l’influence régionale, qui sont liées, représente­nt des sujets tabous pour le régime», avertit Agnès Levallois, qui souligne toutefois que la reprise du dialogue entre l’Iran et l’Arabie saoudite dénote un infléchiss­ement.

Un président élu sous sanctions

Le dernier écueil tient à une particular­ité des sanctions imposées il y a trois ans par l’administra­tion Trump. Parmi les personnali­tés visées se trouve Ebrahim Raïssi en tant que chef du pouvoir judiciaire. Jeune procureur, il avait notamment participé en 1988 à une campagne de répression ayant fait plusieurs milliers de morts. A Washington, la question d’une levée des mesures contre le président élu est ouvertemen­t posée. «C’est en cela que la victoire de Raïssi est à double tranchant, conclut Ali Vaez. Son bilan en matière de droits humains et la moins grande aptitude des durs à dialoguer rendront les négociatio­ns plus coûteuses et difficiles pour l’Occident. Mais si elles réussissen­t, elles débouchero­nt sur un résultat plus tangible.»

«Le dossier nucléaire est dans les mains du guide suprême Ali Khamenei, et celui-ci souhaite que les négociatio­ns aboutissen­t» AGNÈS LEVALLOIS, MAÎTRE DE RECHERCHE À LA FONDATION POUR LA RECHERCHE STRATÉGIQU­E À PARIS

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(IMAGO IMAGES/ NURPHOTO Sur le fond, Ebrahim Raïssi s’est dit ouvert à la poursuite des négociatio­ns.

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