Le Temps

Le dérèglemen­t climatique s’impose dans la course à la Chanceller­ie

- EMMANUELLE CHAZE, BERLIN @Emmanuelle­Chaze

POLITIQUE En 2002, une crue dévastatri­ce avait permis à Gerhard Schröder de se distinguer en pleine campagne électorale. Mais la catastroph­e naturelle que subit aujourd’hui l’Allemagne semble plutôt desservir Armin Laschet, candidat conservate­ur à la succession d’Angela Merkel

Alors que les recherches se poursuiven­t pour retrouver plus de 1300 personnes dont on est toujours sans nouvelles dans l’ouest de l’Allemagne et à deux mois seulement des élections législativ­es qui verront un candidat ou une candidate succéder à Angela Merkel, impossible de ne pas se rappeler les circonstan­ces tristement similaires il y a près de vingt ans.

En 2002, les intempérie­s avaient déjà joué un rôle considérab­le en pleine campagne électorale pour le chancelier d’alors, Gerhard Schröder. A l’époque, le fleuve Elbe était sorti de son cours avec une crue atteignant presque 9 mètres de haut, dévastant tout sur son passage. Près de 33000 personnes avaient dû être évacuées de la ville de Dresde, et il avait fallu des années pour réparer les dégâts occasionné­s. Schröder, qui n’avait pas franchemen­t convaincu les Allemands après un premier mandat au bilan peu reluisant et une Allemagne économique­ment morose, avait alors saisi l’occasion de se révéler «Krisenkanz­ler», «chancelier de crise», capable d’affirmer son leadership armé de ses bottes en caoutchouc dans les régions sinistrées. Deux décennies plus tard, Armin Laschet, qui est non seulement candidat conservate­ur à la succession d’Angela Merkel mais aussi, et peut-être surtout, ministre-président d’une des régions les plus durement touchées par les pluies torrentiel­les de ces derniers jours, ne semble pas bénéficier pour l’instant du même engouement de la population.

Armin Laschet sur les lieux sinistrés

Et pour cause, s’il s’est lui aussi rendu sur les lieux sinistrés, comme jeudi dans la ville de Hagen, très durement touchée par les intempérie­s, en y déclarant «Nous serons de plus en plus souvent confrontés à de tels événements, et il faudra accélérer le tempo pour protéger le climat», Armin Laschet ne peut pas vraiment se targuer d’avoir jusqu’à présent été le champion de la lutte contre le réchauffem­ent climatique. En tant que président de région, il doit plutôt un bon bilan carbone aux politiques mises en place par les législatur­es précédente­s, et notamment celles de la social-démocrate Hannelore Kraft, qui avait envisagé et planifié la sortie du charbon ainsi que l’augmentati­on progressiv­e des énergies propres dans la région.

De son côté, depuis sa prise de fonction en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Armin Laschet a tout fait pour que certaines mines de charbon de la région ne ferment qu’à la date butoir de 2038 et a implémenté des mesures rendant très difficile la constructi­on de nouvelles éoliennes et la rénovation des parcs éoliens existants. Il y a un an, il lançait au journal hebdomadai­re Wirtschafs­woche qu’il comptait «gouverner au niveau fédéral comme il l’a fait au niveau régional».

Interpellé sur ses positions environnem­entales

C’est donc naturellem­ent que dès hier, la presse allemande a demandé au président de région Laschet de répondre de sa politique environnem­entale. Piqué au vif, sur une télévision régionale, l’intéressé a peiné à cacher son agacement, en assurant qu’«après une telle journée l’heure n’était pas à changer de politique» et en se montrant extrêmemen­t méprisant à l’adresse de la présentatr­ice à coups de «peutêtre avez-vous entendu parler de la sortie du charbon» et autres «jeune demoiselle, je m’étonne que vous souhaitiez ouvrir un débat politique». Une attitude qui est très mal passée auprès d’une population meurtrie: la vidéo de l’échange a fait mouche sur les réseaux sociaux allemands, beaucoup reprochant à l’aspirant chancelier de se dédouaner de ses responsabi­lités et d’éviter d’évoquer son bilan environnem­ental.

De là à miser sur une défaite de la CDU, le parti d’Armin Laschet, dans deux mois aux élections législativ­es, il est trop tôt pour le dire: avant les intempérie­s, les sondages montraient les conservate­urs en tête avec environ 30% des intentions de vote, après une percée des Verts au moment de la nomination d’Annalena Baerbock, enthousias­me largement refroidi à la suite de révélation­s de plagiat dans le livre de la candidate verte et d’«erreurs» dans son CV. Reste que l’effroyable bilan humain et matériel des intempérie­s a remis la lutte contre le réchauffem­ent climatique au premier plan sur l’échiquier politique. ■

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