Dupond-Moretti, le règlement de compte judiciaire
Mis en examen pour «prise illégale d’intérêts», le ministre français de la Justice est pris dans un étau infernal: subir les attaques des magistrats, ou leur tenir tête et fragiliser Emmanuel Macron
«Acquittator» est ressorti «mis en examen» de sa convocation, vendredi 16 juillet, devant la Cour de justice de la République (CJR), une première en France pour un membre du gouvernement en exercice. Nommé à la surprise générale garde des Sceaux – ministre de la Justice – en juillet 2020, le célèbre avocat Eric Dupond-Moretti est désormais poursuivi pour «prise illégale d’intérêts» devant l’institution chargée de juger les ministres pour des faits commis dans le cadre de leurs fonctions.
Accusé d’avoir diligenté une enquête administrative
Le pénaliste connu pour avoir obtenu de nombreux acquittements (d’où son surnom) est une recrue très médiatique d’Emmanuel Macron, et de la majorité présidentielle pour laquelle il s’est présenté (sans succès) à la récente élection départementale dans le Pas-de-Calais. Il est accusé d’avoir diligenté, quelques semaines après son arrivée au ministère en septembre 2020, une enquête administrative sur trois procureurs du Parquet national financier qui, dans le cadre d’une affaire impliquant l’ancien président Nicolas Sarkozy, avaient épluché les factures téléphoniques de plusieurs membres du barreau, dont luimême.
Le rapport d’enquête, avalisé par la hiérarchie judiciaire et publié en février dernier, estime que les magistrats en question n’ont pas commis d’illégalités, mais pointe plusieurs conflits d’intérêts et des «doutes sérieux sur le respect de leurs obligations déontologiques».
L’arrière-plan de cette «mise en examen» est toutefois très politique. D’abord parce qu’elle fragilise un ministre-novice engagé dans une réforme de l’institution judiciaire – il a fait nommer une avocate à la tête de l’Ecole nationale de la magistrature – qui n’a jamais caché ses divergences avec les juges, selon lui toujours tentés d’imposer leurs vues, en s’alliant parfois avec la presse pour dénigrer les avocats et leurs clients. Ensuite parce qu’elle repose, en France, la question de la transparence et de la responsabilité judiciaire des ministres.
Depuis les années 1990, les membres du gouvernement français inculpés ont toujours démissionné, même si la constitution ne les y obligent pas. Or cette fois, et compte tenu du débat juridique soulevé par les procédés du Parquet national financier, cette règle pourrait ne pas s’appliquer. Le premier ministre Jean Castex a d’ailleurs, dès l’annonce de sa mise en examen, renouvelé sa confiance à Eric Dupond-Moretti tandis que le syndicat de la magistrature parle, dans un communiqué, d’un «événement grave et sans précédent».
Pris dans la tenaille qu’il a souvent dénoncée
L’ancien avocat, auditionné durant six heures par cette Cour de justice composée à parité de magistrats et de parlementaires, se retrouve pris dans la tenaille qu’il a souvent dénoncée: celle d’une prétendue «république des juges», terme souvent utilisé en France par les politiques mis en cause et par leurs défenseurs. Son argument bute toutefois sur un écueil: jamais élu, et même sèchement battu le mois dernier, Eric Dupond-Moretti ne peut pas se prévaloir de la confiance acquise dans les urnes.
Il lui sera aussi difficile de mettre en oeuvre le projet de loi récemment adopté à l’Assemblée nationale et en cours d’examen au Sénat sur «la confiance dans l’institution judiciaire», vu le niveau de défiance qui l’entoure désormais dans son propre ministère.
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