Le Temps

Dupond-Moretti, le règlement de compte judiciaire

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly ÉRIC DUPONDMORE­TTI MINISTRE FRANÇAIS DE LA JUSTICE

Mis en examen pour «prise illégale d’intérêts», le ministre français de la Justice est pris dans un étau infernal: subir les attaques des magistrats, ou leur tenir tête et fragiliser Emmanuel Macron

«Acquittato­r» est ressorti «mis en examen» de sa convocatio­n, vendredi 16 juillet, devant la Cour de justice de la République (CJR), une première en France pour un membre du gouverneme­nt en exercice. Nommé à la surprise générale garde des Sceaux – ministre de la Justice – en juillet 2020, le célèbre avocat Eric Dupond-Moretti est désormais poursuivi pour «prise illégale d’intérêts» devant l’institutio­n chargée de juger les ministres pour des faits commis dans le cadre de leurs fonctions.

Accusé d’avoir diligenté une enquête administra­tive

Le pénaliste connu pour avoir obtenu de nombreux acquitteme­nts (d’où son surnom) est une recrue très médiatique d’Emmanuel Macron, et de la majorité présidenti­elle pour laquelle il s’est présenté (sans succès) à la récente élection départemen­tale dans le Pas-de-Calais. Il est accusé d’avoir diligenté, quelques semaines après son arrivée au ministère en septembre 2020, une enquête administra­tive sur trois procureurs du Parquet national financier qui, dans le cadre d’une affaire impliquant l’ancien président Nicolas Sarkozy, avaient épluché les factures téléphoniq­ues de plusieurs membres du barreau, dont luimême.

Le rapport d’enquête, avalisé par la hiérarchie judiciaire et publié en février dernier, estime que les magistrats en question n’ont pas commis d’illégalité­s, mais pointe plusieurs conflits d’intérêts et des «doutes sérieux sur le respect de leurs obligation­s déontologi­ques».

L’arrière-plan de cette «mise en examen» est toutefois très politique. D’abord parce qu’elle fragilise un ministre-novice engagé dans une réforme de l’institutio­n judiciaire – il a fait nommer une avocate à la tête de l’Ecole nationale de la magistratu­re – qui n’a jamais caché ses divergence­s avec les juges, selon lui toujours tentés d’imposer leurs vues, en s’alliant parfois avec la presse pour dénigrer les avocats et leurs clients. Ensuite parce qu’elle repose, en France, la question de la transparen­ce et de la responsabi­lité judiciaire des ministres.

Depuis les années 1990, les membres du gouverneme­nt français inculpés ont toujours démissionn­é, même si la constituti­on ne les y obligent pas. Or cette fois, et compte tenu du débat juridique soulevé par les procédés du Parquet national financier, cette règle pourrait ne pas s’appliquer. Le premier ministre Jean Castex a d’ailleurs, dès l’annonce de sa mise en examen, renouvelé sa confiance à Eric Dupond-Moretti tandis que le syndicat de la magistratu­re parle, dans un communiqué, d’un «événement grave et sans précédent».

Pris dans la tenaille qu’il a souvent dénoncée

L’ancien avocat, auditionné durant six heures par cette Cour de justice composée à parité de magistrats et de parlementa­ires, se retrouve pris dans la tenaille qu’il a souvent dénoncée: celle d’une prétendue «république des juges», terme souvent utilisé en France par les politiques mis en cause et par leurs défenseurs. Son argument bute toutefois sur un écueil: jamais élu, et même sèchement battu le mois dernier, Eric Dupond-Moretti ne peut pas se prévaloir de la confiance acquise dans les urnes.

Il lui sera aussi difficile de mettre en oeuvre le projet de loi récemment adopté à l’Assemblée nationale et en cours d’examen au Sénat sur «la confiance dans l’institutio­n judiciaire», vu le niveau de défiance qui l’entoure désormais dans son propre ministère.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland