Le Temps

Quand Paul Biya, 88 ans, évoquait sa retraite

Le plus vieux président en exercice du monde, le Camerounai­s Paul Biya, a pris ses quartiers à l’Interconti­nental dimanche. La manifestat­ion des opposants prévue samedi a été interdite par les autorités genevoises

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Sur la photo officielle, Monsieur apparaît fatigué dans son costume cravate, Madame souriante porte un haut orange et un pantalon à fleurs. Le dimanche 11 juillet, le président camerounai­s, Paul Biya, 88 ans, qui bat des records de longévité au pouvoir, et son épouse Chantal s’apprêtent à embarquer à l’aéroport de Yaoundé. Ils partent pour un «court séjour privé en Europe», communique­ra le directeur du cabinet présidenti­el après le décollage.

La terminolog­ie est rodée. Ces dernières décennies, on ne compte plus les absences du président. Quand il n’est plus au Cameroun, Paul Biya se trouve la plupart du temps à Genève, à l’hôtel Interconti­nental, où il occuperait le dernier étage, déboursant 50 000 francs par nuit pour lui et son entourage, affirment les opposants de la diaspora camerounai­se.

Depuis son arrivée dimanche, le président est invisible. Que fait-il de ses journées? Mystère. L’ambassadeu­r du Cameroun à Berne, qui s’est fendu d’un communiqué rappelant le caractère «privé» de la visite, n’a pas retourné notre appel. Pendant des décennies, le président a coulé des jours paisibles en Suisse. Sa fidélité à Genève et à son palace emblématiq­ue n’a jamais été démentie.

«Un homme exceptionn­el»

Dans son livre L’Hôtelier (Ed. Hurter, 2007), Herbert Schott, l’ancien directeur de l’Interconti­nental, situe le début de cette idylle il y a plus d’un demi-siècle. «Parmi les 150 chefs d’Etat que j’avais eu l’honneur de recevoir, un m’avait particuliè­rement impression­né. Il s’agit du président du Cameroun, Paul Biya. J’avais fait sa connaissan­ce en 1969, alors qu’il était le chef de cabinet de la présidence du Cameroun. J’assumais à cette époque la fonction de chef de réception et tout de suite le courant est passé entre nous. Avec le temps et à travers ses fréquentes visites à Genève, cette relation assez timide à l’origine s’était transformé­e en véritable et solide amitié», écrit-il.

Herbert Schott poursuit: «Certaines coïncidenc­es avaient par la suite contribué à nous rapprocher considérab­lement l’un de l’autre: nos promotions comme premier ministre de son pays et moi comme directeur de l’hôtel, puis en 1981 son accession à la présidence de la République du Cameroun et moi à la direction générale de l’hôtel.»

«Convaincu que nous avions un destin commun, continue l’hôtelier, il m’avait confié, lors d’une de ses visites à Genève, qu’il souhaitait vivement s’inspirer de la manière par laquelle je pensais pouvoir organiser ma retraite, afin qu’il puisse préparer progressiv­ement son retrait de la vie politique.» Il était «si attaché à Genève qu’il avait entrepris entre 1969 et 2002 plus de 55 visites à notre ville, toujours à titre privé», ajoute-t-il.

Quatre ans et demi à l’étranger

Le rythme des séjours n’a pas fléchi ensuite, à en croire l’enquête en 2018 d’un consortium de journalist­es d’investigat­ion se penchant sur la criminalit­é économique (OCCRP). Il estimait que Paul Biya y avait passé au moins quatre ans et demi en additionna­nt les innombrabl­es «brèves visites privées» depuis son accession à la présidence en 1982 jusqu’en 2017. Coût estimé de ces séjours: 65 millions de dollars, basé sur une facture de 40 000 dollars par nuit pour toute la délégation camerounai­se à l’Interconti­nental. La facture serait près de trois fois supérieure en comptant le prix de la location des avions privés.

Depuis ce rapport et la détériorat­ion progressiv­e de la situation au Cameroun ces dernières années, le président Biya a espacé ses séjours genevois. «Quand je suis venu crier pour la première fois sous les fenêtres de l’Interconti­nental, j’étais tout seul», se souvient Brice Nitcheu, un «Biya spotter» qui traque les moindres faits et gestes du président honni lors de ses déplacemen­ts à l’étranger. «Paul Biya vient profiter des belles routes et hôpitaux en Suisse qu’il n’a jamais été capable de construire au Cameroun», dénonce cet opposant exilé à Londres depuis une vingtaine d’années et qui assure qu’il sera bien à Genève samedi, malgré l’interdicti­on de la manifestat­ion par les autorités genevoises. Ces dernières ont jugé trop important le risque de violences. La police fera tout pour empêcher un rassemblem­ent samedi.

Avant de prendre l’avion pour Genève, Paul Biya ratifiait un accord exemptant les Camerounai­s porteurs d’un passeport diplomatiq­ue de visa pour entrer en Suisse. Le Départemen­t fédéral des affaires étrangères précise que les voyages privés ne sont pas concernés par cet arrangemen­t. Berne ne commente pas les «séjours privés». Aucune rencontre officielle n’est prévue, même si la Suisse est la médiatrice entre le gouverneme­nt de Yaoundé et les séparatist­es des régions anglophone­s. ■

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