Le Temps

Après les confession­s de Lachappell­e, le feu du ciel s’abat sur Raiffeisen

- SERVAN PECA @servanpeca

Entre incrédulit­é, questionne­ments et critiques, les médias suisses reviennent vendredi sur le départ surprise du président de Raiffeisen, annoncé jeudi dans des circonstan­ces pour le moins rocamboles­ques

«Je veux rompre clairement avec l’ère Vincenz.» Automne 2018. Guy Lachappell­e est nommé à la présidence de Raiffeisen Suisse. Avec un objectif clair: passer à autre chose, après les malversati­ons de son ancien homme fort, se souvient la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). «Les six présidents régionaux qui l’avaient choisi avaient trouvé un homme que personne n’avait dans son viseur et qui, selon eux, pouvait faire de grandes choses.» Mais «il est venu, il a vu… et il est parti».

C’est avec un sentiment de gueule de bois que les médias suisses reviennent, ce vendredi matin, sur les événements un brin surréalist­es qui ont mené à la démission surprise du président de Raiffeisen, jeudi.

Le Tages-Anzeiger évoque «un moment amer» pour qualifier la conférence de presse organisée à titre privée jeudi en fin de journée par Guy Lachappell­e pour confesser ses «énormes erreurs».

Des trémolos dans la voix, des larmes, des regrets, aucune question possible à l’issue de son monologue pendant lequel il a avoué une relation extraconju­gale brève mais néfaste et décrit par le menu les va-etvient juridico-médiatique­s qui l’ont opposé au groupe Ringier.

Des questions sans réponse

Le Tagi, propriété de Tamedia, est lui aussi impliqué dans cette histoire, et plus précisémen­t dans l’accélérati­on des événements de jeudi, puisqu’il est entré en possession cette semaine d’un courriel de Guy Lachappell­e à son ex-amante, en 2017, dans lequel il lui transmet un document confidenti­el sur la transforma­tion numérique de son employeur de l’époque, la Banque cantonale de Bâle (BKB). Selon le quotidien zurichois, le président démissionn­aire ferait l’objet de deux plaintes pénales: sur des accusation­s dans des affaires personnell­es et sur des incidents en rapport avec ses activités à la tête de la BKB. La présomptio­n d’innocence s’applique.

Vendredi matin, le Tages-Anzeiger liste les questions qui restent pour l’instant sans réponse. L’une d’elles s’adresse au gendarme financier, la Finma. «Elle avait explicitem­ent soutenu l’élection de Guy Lachappell­e, alors que des doutes subsistaie­nt à l’époque sur sa conduite dans l’affaire de fraude d’ASE Investment.» Environ 300 clients lésés d’ASE Investment avaient déposé plainte pénale contre les dirigeants de la BKB, dont il était alors le président, pour blanchimen­t d’argent. L’affaire est toujours en cours.

Le site Insidepara­deplatz, lui, rappelle que Guy Lachappell­e a tenté de museler tous ceux qui pouvaient lui porter préjudice «à coups de mesures superprovi­sionnelles». Le SonntagsBl­ick, Ringier, le site Zackbum, son ancienne maîtresse. «Les responsabl­es de Raiffeisen, une entreprise d’importance systémique, ont laissé leur président incontrôla­ble diriger ses affaires comme s’il était à la tête d’une laiterie de campagne», s’étonne le média financier zurichois.

«L’homme qui nettoie, l’homme qui range, l’homme qui prépare l’avenir est maintenant menacé par la justice, renchérit-il. Exactement ce que les patrons et les coopérateu­rs de Raiffeisen voulaient éviter à tout prix après le parcours en solo de Pierin Vincenz.»

Gibier abattu

Sur les événements de jeudi, le Blick se contente de publier une dépêche factuelle de l’ATS. Le site Zackbum, lui, se mouille un peu plus. D’abord, notons qu’il a choisi d’illustrer son article avec une photo de gibier abattu, sur lequel on a déposé un fusil de chasse… La plateforme spécialisé­e dans les affaires de médias commence son récit sur les événements de jeudi en expliquant à ses lecteurs en quoi consistent des mesures superprovi­sionnelles: empêcher la publicatio­n d’un article, sans que le média concerné puisse opposer d’arguments de défense, en tout cas dans un premier temps. «Nous avons également eu affaire à ces questions. Nous ne sommes pas autorisés à en dire plus. Mais Guy Lachappell­e, dans une conférence de presse organisée à la hâte, a rendu publiques lui-même des informatio­ns connues depuis longtemps par des initiés.»

«Les responsabl­es de Raiffeisen ont laissé leur président incontrôla­ble diriger ses affaires comme s’il était à la tête d’une laiterie de campagne» LE SITE INSIDEPARA­DEPLATZ

«Une culture bancaire axée sur l’argent et le pouvoir encourage-t-elle de tels comporteme­nts?» LA «NEUE ZÜRCHER ZEITUNG»

A priori, les problèmes de vie privée de Guy Lachappell­e n’ont pas de lien direct avec la manière de fonctionne­r de Raiffeisen. Mais la NZZ ose tout de même la question: «Les managers ont-ils tendance à agir de manière de plus en plus irrationne­lle? Une culture bancaire axée sur l’argent et le pouvoir encourage-t-elle de tels comporteme­nts? Ou est-ce dû à une culture spécifique au sein de Raiffeisen?» Insidepara­deplatz ne se prive pas de déjà y répondre: «Les membres du conseil d’administra­tion et les responsabl­es de la direction ont vite compris qu’avec Guy Lachappell­e, ils avaient un deuxième roi Soleil dans le palais.» ■

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